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La mamie sourit toujours, bloquant la porte d'entrée comme un gardien de but.

Comme la grand-mère ne bouge pas, ne dit rien et se contente de sourire bêtement, le père finit par poser la question qu'elle redoute par-dessus tout.

-  Arthur est là ? demande-t-il jovialement, sans douter un instant de la réponse.

La grand-mère sourit davantage, comme si elle espérait suggérer une réponse positive pour ne pas avoir à mentir. Mais le père, trop bête pour saisir cette subtilité, attend sa réponse.

La grand-mère reprend alors son souffle et dit :

-  ... Vous avez fait bon voyage ?

Ce n'est pas vraiment la réponse que le père attendait, mais en bon technicien de la route, il se met en marche.

-   Nous avons coupé par l'ouest ! explique-t-il. Les routes sont plus petites mais d'après mes calculs nous avons économisé quarante-trois kilomètres. Ce qui nous fait, au prix du litre d'essence...

-   Ce qui nous fait un virage toutes les trois secondes, pendant deux heures ! se plaint la mère. Le voyage fut une horreur et je remercie le ciel qu'Arthur n'ait pas eu à subir une telle punition ! conclut-elle, avant d'ajouter :

- D'ailleurs, où est-il ?

- Qui ça ? demande la grand-mère, comme si elle entendait des voix.

-...Arthur, mon fils, lui répond la mère, légèrement inquiète. Non pas pour son fils, mais pour l'état mental de sa mère. La chaleur, peut-être.

- Aaah !.. Il va être tellement content de vous voir ! lance la mamie, en guise de réponse.

Les parents se regardent, se demandant si la vieille n'est pas devenue définitivement sourde.

- Arthur, où est-il ? articule calmement le père, comme s'il demandait son chemin à un paysan tibétain.

La grand-mère sourit davantage et dit oui de la tête.

Cette réponse ne convainc personne et elle se sent obligée de répondre enfin quelque chose.

- Il est... avec le chien, finit-elle par lâcher. Elle est au bord du mensonge mais la réponse semble satisfaire le jeune couple qui s'attendrit.

C'est le moment qu'a choisi Alfred pour arriver en remuant la queue, détruisant d'un seul coup ce parfait alibi.

La grand-mère voit son sourire s'effriter comme une vieille peinture dans le regard des parents.

- Où est Arthur ? demande la mère, d'un ton nettement plus ferme.

La grand-mère étranglerait bien volontiers Alfred pour avoir ruiné son affaire, mais elle se contente de le fusiller du regard.

La queue d'Alfred ralentit progressivement. Il sait qu'il a probablement fait une bêtise et plaide déjà coupable.

- Vous jouez à cache-cache, hein ? demande la grand-mère à Alfred qui fait celui qui comprend.

- Ils adorent jouer à cache-cache ces deux-là ! explique-t-elle. Ils pourraient y jouer pendant des jours ! Arthur se cache et...

-  Et c'est le chien qui compte ? rétorque le père qui finit par se demander si on ne se fout pas un peu de lui.

-   C'est ça ! Alfred compte jusqu'à cent et après il cherche Arthur !

On n'a pas idée de balancer de telles absurdités, avec une conviction à toute épreuve en plus.

Les parents se regardent, vraiment inquiets pour la grand- mère. Ça sent l'asile.

-   Et... vous avez une idée de l'endroit où Arthur peut se cacher ? demande gentiment le père, pour ne pas la brusquer davantage.

La mamie hoche énergiquement la tête, comme pour indiquer un oui franc et massif.

-  ... Dans le jardin !

Jamais un mensonge ne l'aura conduite aussi près de la vérité.

Chapitre 2

Au plus profond du jardin, en se laissant glisser le long des brins d'herbe immenses, en suivant cette galerie de fourmis qui s'enfonce dans les entrailles de la terre, là où naissent les racines des arbres, on trouve la base d'un vieux mur, construit par la main de l'homme.

Sur ce mur rongé par le temps, il y a une petite faille qui court entre les pierres. Mais quand on mesure à peine deux millimètres ce n'est pas une petite faille, c'est un gouffre impressionnant, au bord duquel nos trois héros avancent. Sélénia est toujours en tête, évidemment. La princesse ne semble rien avoir perdu de sa vigueur et sa mission semble occuper tout son esprit.

Elle longe le trottoir, comme si elle descendait les Champs-Elysées, ignorant totalement le vide absolu qui borde le chemin. Derrière elle, jamais très loin, Arthur. Il est toujours aussi fasciné par ce qui lui arrive. Lui qui, il y a quelques heures encore, était complexé par son un mètre trente, le voilà maintenant fier de ses deux millimètres. Et il remercie le ciel à chaque instant pour cette aventure qui l'a déjà tellement enrichi et musclé, de la tête aux pieds.

Il respire profondément, comme pour mieux en profiter. À moins que ça soit pour bomber davantage le torse. C'est ce que font certains animaux pendant la saison des amours. Il faut dire qu'Arthur a moins les yeux sur le gouffre que sur Sélénia.

Il faut avouer aussi qu'elle est jolie, cette jeune fille. Un corps de déesse et un caractère de cochon. Un regard de panthère et un sourire de bébé. Même de dos, on sait qu'il s'agit d'une princesse. En tous cas, c'est ce qu'on peut lire dans le regard d'Arthur qui la suit comme Alfred.

Bétamèche est un peu plus loin, comme si être à la traîne faisait partie de ses fonctions. Il a toujours son sac à dos rempli de milliers de choses qui ne lui servent à rien, sauf éventuellement à lui donner du poids pour qu'il ne s'envole pas.

-   Bétamèche, avance un peu ! Le temps nous manque ! lui rappelle sa sœur, toujours aussi grincheuse à son égard. Bétamèche secoue la tête en signe de mécontentement et lâche un grand soupir.

-  J'en ai marre de porter les affaires !

-   Mais personne ne t'a demandé d'emporter la moitié du village ? ! lui rétorque la princesse, toujours aussi acide.

- On pourrait porter chacun son tour, non ? Comme ça je me reposerais un petit peu, et on pourrait aller plus vite ! propose Bétamèche, malin comme un singe.

Sélénia s'arrête tout à coup et regarde son frère.

-  T'as raison. On va gagner du temps. Donne !

Bétamèche enlève son sac à dos, la mine réjouie, et le tend à sa sœur qui, d'un seul geste, le jette dans le gouffre.

-  Voilà ! Comme ça tu seras moins fatigué et on gagnera du temps ! lui annonce la princesse. En route !

Bétamèche, atterré, regarde son sac disparaître dans ce précipice sans fond.

Il n'en croit pas ses yeux. S'il n'existait pas un petit muscle prévu à cet effet, sa mâchoire se serait probablement décrochée.

Arthur se fait discret. Il n'a aucune intention de se mêler de cette querelle de famille et se prend subitement de passion pour le comptage des cristaux qui recouvrent la paroi. Bétamèche bouillonne. Sa bouche est pleine d'insultes qui ne demandent qu'à sortir.

-  Tu n'es vraiment qu'une... qu'une petite peste ! se contente- t-il de hurler.

Sélénia sourit.

-   La petite peste a une mission à remplir qui ne supportera plus aucun retard et si le rythme ne te convient pas, tu peux rentrer à la maison ! Tu pourras en profiter pour conter tes exploits et te faire cajoler par le roi !

-   Il a un cœur lui au moins, le roi ! réplique Bétamèche, en suivant de loin.

-   Eh bien, profites-en, car le prochain roi n'en aura pas !

-   C'est qui le prochain roi ? demande timidement Arthur.

-  Le prochain roi... c'est moi ! dit fièrement Sélénia en levant le menton.

Arthur comprend mieux, mais il aimerait comprendre davantage.

-   C'est pour ça que tu dois absolument te marier dans les deux jours ? demande-t-il timidement.

-   Oui. Le prince doit être choisi avant que je prenne mes fonctions de souveraine. C'est comme ça. C'est la règle, lui répond Sélénia, qui augmente la cadence pour éviter d'autres questions.

Arthur pousse un léger soupir. Si seulement il avait un peu de temps. Le temps de savoir si cette petite chaleur qu'il sent dans sa poitrine, et qui souvent lui monte aux joues, peut être considérée comme une manifestation de l'amour. Tout comme ces mains moites sans raison et cette petite fièvre qui lui enflamme le front.

Le temps aussi de bien comprendre le mot « amour ». Un mot beaucoup trop gros pour lui. Tellement gros qu'il ne sait pas par quel bout le prendre.

Il aime sa grand-mère, son chien, sa voiture, mais n'ose pas dire qu'il aime Sélénia. D'ailleurs, rien que d'y penser, le voilà qui rougit.

-  Qu'est-ce qu'il t'arrive ? lui demande la princesse, amusée.

-   Rien du tout ! balbutie Arthur, qui rougit davantage. C'est juste la chaleur, il fait tellement chaud ici !

Sélénia sourit de ce petit mensonge. Elle décroche au passage l'une des nombreuses petites stalactites qui pendent à la paroi et tend le morceau de glace à Arthur.

-  Tiens passe-toi ça sur le front, ça va te calmer !

Arthur la remercie et se colle le morceau de glace sur le front.

Sélénia sourit davantage. Elle sait bien que la chaleur qui l'anime n'a pas grand-chose à voir avec la température ambiante. Il fait environ zéro degré dans ce gouffre sans fin. Mais elles sont comme ça les vraies princesses, toujours à s'amuser des sentiments des autres. Il n'y a évidemment que les siens qui aient de l'importance.

Le bâton de glace a déjà fondu et Arthur hésite à en prendre un autre.

Mais un sursaut de fierté, ou de courage, l'envahit soudain. Le voilà qui se rapproche de la princesse pour engager une conversation.

L'amour donnerait-il des ailes ?

-  Puis-je te poser une question personnelle, Sélénia ?

-   Tu peux toujours la poser, je verrai si je la prends ! lui répond la princesse, toujours aussi maligne.

-  Tu dois te choisir un mari dans les deux jours mais... en mille ans, tu n'en as pas trouvé un seul qui te convenait ? questionne Arthur.

- Une princesse de mon rang mérite un être exceptionnel, intelligent, courageux, téméraire, bon cuisinier, aimant les enfants... énonce-t-elle avant que son père ne lui coupe la parole.

-  Qui fait bien le ménage et la lessive, pendant que madame fait la sieste ! l'interrompt Bétamèche, ravi de casser le bel élan de sa sœur.

-   Un être hors du commun, qui comprend sa femme et la protège, même contre la bêtise de certains membres de sa famille ! rétorque Sélénia, son regard noir rivé sur son frère. Et puis Sélénia se met à rêver à voix haute :

- Un homme beau évidemment, mais aussi droit, loyal, ayant le sens du devoir et des responsabilités. Un être infaillible, généreux et lumineux !

Son regard accroche celui d'Arthur. Il est dépité. Chaque adjectif a sonné comme un coup de marteau qu'on lui donnait sur la tête.

-  ... Pas l'un de ces faibles qui se saoulent à la moindre occasion ! ajoute la princesse, histoire de l'achever.

-   ... Bien sûr... répond Arthur, l'échine courbée sous le poids du malheur.

Comment avait-il pu imaginer une seule seconde qu'il avait une chance ?

Lui, Arthur, du haut de son un mètre trente, réduit à quelques millimètres. Du haut de ses dix ans, qui sonnent comme une seconde dans la vie de Sélénia.

Arthur n'est rien de tout ça. Ni infaillible ni lumineux, et s'il avait à se décrire, il utiliserait plus facilement les adjectifs : petit, bête et moche.

-   Choisir son fiancé est la chose la plus importante pour une princesse. Et le premier baiser est un moment crucial, affirme Sélénia. Mais cela n'a rien à voir avec le plaisir qu'on peut éprouver lors d'un premier baiser ! L'acte est ici beaucoup plus symbolique car c'est lors de ce premier baiser que la princesse transmet tous ses pouvoirs au prince. Des pouvoirs immenses qui lui permettront de régner à ses côtés. Tous les peuples des Sept Terres lui devront allégeance.

Arthur ne soupçonnait effectivement pas l'importance de ce premier baiser et comprend mieux pourquoi Sélénia se doit d'être prudente et de bien choisir.

-   Et c'est pour ça que... M veut t'épouser, c'est cela ? C'est pour tes pouvoirs ? la questionne Arthur.

-  Non ! c'est pour sa beauté, sa gentillesse et surtout pour son bon caractère ! glisse sournoisement Bétamèche. Sélénia ne répond même pas et se contente de hausser les épaules.

C'est vrai qu'elle est belle cette petite princesse qui trottine fièrement le long de ce gouffre suintant, ignorant la peur et le vertige. Elle est certes un peu prétentieuse mais qui ne le serait pas avec des yeux comme ça ?

Arthur la boit du regard, prêt à lui pardonner tous les défauts de la terre en échange d'un sourire. C'est d'ailleurs la seule chose qu'il espère, un sourire, car tout le reste lui paraît inaccessible. Elle est bien trop belle, trop grande, trop intelligente et trop princesse pour s'intéresser davantage à un petit bonhomme comme lui. Il le sait bien et pourtant, une petite force en lui, provenant probablement de la région du cœur, le pousse inlassablement à se découvrir, à se livrer. Comme une fleur qui attendrait la pluie, jusqu'à la mort.

-   Il ne m'aura jamais ! lance Sélénia, comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage. Arthur le prend pour lui, évidemment. Il baisse donc la tête, accablé par cette nouvelle. Sélénia sourit en coin.

-  Je parlais de M le maudit, évidemment, dit-elle, plus espiègle que d'habitude.