- À quoi bon courir si on a une chance sur un million de s'en sortir ? ajoute la princesse.
- Une chance sur un million ? Je te trouve un peu optimiste. Je dirais, une chance sur cent millions ! précise-t-il avec humour. Mais c'est mieux que rien, non ? Allez !.. bon voyage ! Maltazard lève à nouveau le bras, comme il peut, et fait signe à ses séides de les pousser dans le tuyau. Pendant que Bétamèche se met à trembler comme une feuille, Arthur a enfin trouvé l'idée qu'il cherchait.
- Puis-je demander à Votre Grandeur sérénissime une dernière faveur avant de mourir ? Une toute petite faveur qui ne ferait que mettre en lumière la bonté extrême de votre majesté ! dit-il pompeusement en se courbant comme un esclave.
- Il me plaît bien ce petit-là ! avoue Maltazard, toujours sensible à la flatterie. Quelle est donc cette faveur ?
- J'aimerais léguer ma seule richesse, ce bracelet, à mon ami Mino, ici présent.
La petite taupe est toute surprise de l'intérêt subit que tout le monde lui porte, surtout ce jeune garçon qu'il ne connaît pas du tout.
Maltazard regarde la petite montre qu'Arthur exhibe sous son nez.
Le maître a beau flairer, il ne sent pas de piège là-dessous.
- Accordé ! finit-il par lancer.
Les séides se mettent à applaudir devant la générosité, enfin mesurable, de leur maître.
Pendant que Maltazard se laisse griser par les applaudissements et les flatteries de son entourage, Arthur file jusqu'à Mino.
- C'est ton père qui m'envoie ! lui glisse-t-il à l'oreille.
Il enlève sa montre et la passe au poignet de la petite taupe.
- Quand je serai dehors, il faut que tu te débrouilles pour m'envoyer un signal, afin que je sache où se trouve le trésor ! Tu enverras le signal à midi précis ! C'est clair ? lui demande Arthur, pressé par le temps.
Mino est affolé.
- Mais comment veux-tu que je fasse ? !
- Avec tes miroirs, Mino ! Avec tes miroirs ! insiste l'enfant qui joue là sa dernière carte. Tu as bien compris ?
Mino, déboussolé, acquiesce d'un signe de tête, plus pour faire plaisir à Arthur qu'autre chose.
- Suffit maintenant, ma clémence a des limites ! Emmenez-le ! s'exclame Maltazard.
Il est rassasié des compliments répétés que sa cour lui a adressés. Maintenant, il lui faut un peu d'action. Les séides attrapent Arthur et le jette au milieu de son groupe, à l'entrée de l'immense tuyau.
Mino regarde son nouveau compagnon s'éloigner, sans savoir quoi faire.
- À midi ! chuchote Arthur en articulant de façon excessive. Les gardes poussent le groupe à l'intérieur du tuyau. La grille tombe aussitôt derrière eux, les séparant ainsi de la place et ne leur offrant qu'une seule issue.
Devant eux, ce long tuyau qui les mène à la liberté, mais une liberté qu'ils n'atteindront jamais. Ce tuyau sera aussi leur tombeau.
À l'idée de cette mort inévitable, le petit groupe est complètement déprimé. Personne n'a envie de courir. À quoi bon ? Pour retarder leur souffrance de quelques secondes ? Mieux vaut en finir tout de suite, et le petit groupe reste là, anéanti devant la grille.
Le spectacle n'est pas très réjouissant et Maltazard soupire.
- Je vous laisse une minute d'avance. Ça mettra un peu de piment ! dit-il, prêt à changer les règles du jeu pour mettre un peu d'ambiance.
Darkos est tout excité par cette nouvelle.
- Apportez la table des temps ! hurle Darkos.
Deux séides apportent un énorme tableau. Au centre, il y a un clou sur lequel un paquet de feuilles mortes a été planté. Sur la première feuille, on peut lire « soixante ».
Sélénia, accrochée aux barreaux, regarde Maltazard. Il y a tellement de venin dans ses yeux qu'elle espère qu'une petite goutte pourra l'atteindre.
- Tu finiras en enfer ! marmonne-t-elle entre ses dents serrées.
- Il y est déjà ! lui répond Arthur en l'attrapant par le bras. Dépêchons-nous, maintenant !
- À quoi bon courir ? ! s'insurge la princesse en se dégageant. Pour mourir un peu plus tard ? Je préfère rester là et mourir dignement en regardant la mort en face !
Arthur lui attrape violement le bras.
- Une minute, c'est mieux que rien ! ! Ça nous laisse le temps d'avoir une idée ! hurle-t-il avec conviction.
C'est la première fois qu'il fait preuve d'autorité envers Sélénia et elle en reste tout impressionnée. Son petit prince un peu gauche serait-il en train de mûrir, de devenir un petit homme ?
Arthur lui attrape la main et l'oblige à courir. Sélénia se laisse entraîner, fascinée par la détermination et le courage de son jeune ami.
Maltazard se réjouit de les voir disparaître en courant.
- Enfin un peu de sport ! Commencez le décompte ! ordonne-t-il avec plaisir.
Le séide enlève la première feuille, marquée « soixante », qui dévoile la prochaine, marquée d'un magnifique « cinquante-neuf ».
L'horloge est rudimentaire, à faire pâlir un Suisse, mais Maltazard s'amuse beaucoup. Il balance même sa tête au rythme des feuilles égrenées.
- Préparez les vannes ! demande-t-il, entre deux dodelinements. Darkos part se mettre en place en frétillant comme un poisson, tandis que le séide-horloger dévoile une nouvelle feuille marquée d'un « cinquante-deux ».
Chapitre 11
Le groupe de fuyards court comme il peut, au milieu des détritus et de la couche de saletés qui, avec le temps, s'est déposée au fond du tuyau. Mais Archibald fatigue vite et il commence א ralentir. Le vieil homme a passé quatre ans dans les prisons du maître, sans faire le moindre exercice, et les muscles de ses pauvres jambes sont complètement asphyxiés.
- Désolé, Arthur, mais je n'y arriverai pas ! constate le vieil homme, qui s'arrête définitivement.
Il s'assied sur un objet rond, accroché sur un autre objet beaucoup plus gros. Arthur fait demi-tour et vient se mettre face à lui.
- Allez-y ! Moi, je vais rester là, à attendre la fin avec un peu de dignité, soupire le grand-père.
- C'est pas possible ! Je ne peux pas le laisser là ! Allez papi, encore un effort ! lui dit Arthur, avec conviction.
Il lui attrape gentiment le bras mais le vieil homme se dégage.
- À quoi bon Arthur ? ! Il faut se rendre à l'évidence, mon fils, nous sommes perdus !
À ces mots, le reste du groupe craque aussitôt. Si un scientifique pense que les chances de survie sont maintenant de zéro, à quoi bon lutter ? Les mathématiques sont implacables et le temps ne s'arrête jamais.
Un par un, les membres du groupe se laissent tomber sur le sol, anéantis par la tristesse.
Arthur soupire, ne sachant plus quoi faire.
Maltazard, lui, a le moral au beau fixe et collectionne les feuilles mortes. Celle marquée d'un « vingt » lui plaît beaucoup. Il en chantonne presque.
- Tout ceci m'a donné faim ! N'y a-t-il rien à grignoter ? J'aime grignoter pendant le spectacle ! dit-il, s'amusant comme un roi.
Aussitôt un séide amène une large assiette pleine de petits cafards grillés, le plat préféré de Son Altesse. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il y a toujours une assiette de ces délicieux amuse-gueules dans toutes les pièces du palais.
Il aurait été plus simple de le suivre toute la journée, avec un porteur de friandises, mais Maltazard s'y est toujours refusé. Il prend autant de plaisir à les grignoter qu'à voir s'affoler son entourage quand il réclame sa gâterie. C'est là une partie de son plaisir, savoir que de pauvres bougres vont suer pour apporter le plat le plus vite possible, quitte à en mourir. Plus que ces petits insectes grillés, la souffrance des autres est bien son met favori.