- Faites-leur confiance, mon bon roi, votre fille est d'un courage exceptionnel. Quant à ce jeune Arthur, il me paraît plein de ressource et de bon sens ! Je suis persuadé qu'à eux deux, ils y arriveront !
Le roi sourit légèrement, soulagé par ces bonnes paroles.
Il tapote l'épaule de son ami pour le remercier et lui témoigner à son tour son amitié.
- Que les dieux t'entendent mon bon Miro ! Que les dieux t'entendent !
Malgré la fatigue, Arthur se cramponne toujours à son volant. Il a pris l'habitude de la vitesse et son regard est rivé sur la route qui défile.
La Corvette a réussi à semer la vague qui les suivait et qui ne pensait qu'à les doubler.
- Merci Mamie ! pense Arthur, qui ne s'en serait jamais sorti sans ce magnifique cadeau. Jamais sa grand-mère n'aurait pu imaginer qu'un jouet serait un jour à ce point utile, et encore moins qu'il sauverait la vie des êtres qui lui sont chers. Bétamèche tourne la tête d'un seul coup. Il semble avoir reconnu l'endroit, malgré la vitesse.
- Je crois qu'on est presque arrivés ! C'était la borne qui marque l'entrée du champ de pissenlits.
Sélénia scrute au loin dans le tunnel et aperçoit effectivement quelque chose.
- Là ! La porte ! C'est la porte du village ! ! hurle-t-elle de joie. Cette nouvelle est accueillie avec émotion dans la voiture et tout le monde se congratule, s'embrasse et se trémousse dans tous les sens. Mais ce bonheur est de courte durée car le bolide se met à ralentir.
- Oh non ! chuchote Arthur, pour ne pas affoler tout le monde. La Corvette ralentit davantage et, faute de ressort, s'arrête définitivement. À bord, c'est la consternation.
- Tu vas pas me faire le coup de la panne ? demande Sélénia, que la blague ne ferait pas rire.
Arthur, un peu perdu, n'a pas le temps de répondre car Bétamèche lui coupe la parole.
- Vite ! Il faut remonter le ressort avant que l'eau ne nous rattrape !
- Impossible ! Cela prendrait trop de temps ! Et mes bras sont en compote ! répond Arthur.
- Et tes jambes ? demande Sélénia.
En quelques secondes, le groupe a quitté la voiture et s'est mis à courir dans le tunnel, en direction de la porte.
Il ne reste plus qu'une centaine de mètres et même en courant cela paraît le bout du monde. La Corvette aurait avalé la distance en quelques secondes, tout comme la vague dont le bourdonnement se fait de nouveau entendre.
- Dépêchez-vous ! L'eau nous rattrape ! hurle Arthur à l'adresse de son grand-père et de Bétamèche qui, rompus de fatigue, traînent un peu la patte.
À l'intérieur de la cité, le murmure de l'eau commence aussi à se faire entendre.
Le roi tend l'oreille.
- Quel est ce bourdonnement ? demande le roi à son fidèle Miro.
- Aucune idée, répond honnêtement la taupe, mais je sens, sous mes pieds, des ondes négatives, cette vibration ne me dit rien qui vaille !
Le petit groupe n'a plus qu'une vingtaine de mètres à parcourir.
Arthur a fait demi-tour et s'est glissé sous le bras de son grand-père.
- Un dernier effort ! lui demande le jeune garçon, en l'aidant à avancer.
Le petit Arthur développe une énergie phénoménale et insoupçonnée. Lui, qui, à l'école ou à la maison, avait tendance à éviter les tâches ménagères en donnant pour prétexte des devoirs qu'il ne faisait pas, est devenu maintenant un petit garçon méconnaissable, qui se donne sans compter, valeureux comme un guerrier, tenace comme un curé. Sélénia arrive la première à la grande porte qui protège le village et se met à frapper de toutes ses forces.
- Ouvrez la porte ! crie-t-elle, d'une voix épuisée.
Le roi reconnaîtrait cette petite voix fluette entre mille. C'est sa fille bien-aimée, sa princesse, son héroïne qui revient de mission.
Le garde ouvre la petite meurtrière qui donne sur le tunnel. Même si la vague n'est pas encore visible, son souffle est déjà là, et le gardien se prend une rafale de vent en pleine figure.
- Qui va là ? ! demande-t-il en prenant une grosse voix pour prouver qu'il n'a pas peur.
Sélénia met sa main dans l'ouverture, puis monte sur la pointe des pieds pour montrer un bout de sa frimousse. Bétamèche arrive en courant et pousse sa sœur pour montrer la sienne.
Le gardien les regarde une seconde, un regard vide de toute expression, et leur claque la porte au nez.
Sélénia se vexe aussitôt et tape de plus belle. Arthur et Archibald les rejoignent et tout ce petit monde se met à tambouriner sur la porte.
Le roi arrive à l'entrée du village, et s'étonne que le gardien ne réagisse pas à ce tintamarre.
- Que faites-vous ? Pourquoi n'ouvrez-vous pas cette porte ?
- C'est encore un leurre ! explique le gardien, sûr de lui. Mais on me la fait pas deux fois à moi ! Cette fois-ci, ils ont fait un dessin, comme animé, à l'effigie de Sélénia et de Bétamèche. Celui de la princesse est particulièrement bien fait, mais celui de Bétamèche a quelques défauts et on voit du premier coup d'œil que c'est un faux !
Le petit groupe continue à taper de toutes ses forces, tandis que le souffle du torrent se fait de plus en plus pressant. Archibald se retourne pour estimer le temps qu'il leur reste. Il constate avec stupéfaction que la vague est déjà visible. La masse d'eau en furie est en train de débouler vers eux à la vitesse d'une fusée.
- Ouvrez cette porte, bon sang de bon Dieu ! hurle soudain Archibald auquel l'instinct de survie a permis de retrouver ses forces.
Le roi entend ce cri pressant : si sa mémoire est bonne, il s'agit de la voix d'Archibald. Le souverain s'approche de la lourde porte. Il veut en avoir le cœur net.
Il entrouvre la petite porte et découvre brutalement le visage de Sélénia et celui de Bétamèche.
- Au secours ! hurlent-ils en chœur, les traits déformés par la peur.
Le roi, fou de colère, se retourne aussitôt vers le gardien.
- Ouvrez cette porte immédiatement triple gamoul ! ! s'écrie-t-il, comme jamais.
Le gardien se rue sur la porte et, avec l'aide de ses camarades, déverrouille les énormes loquets.
- Dépêchez-vous ! trépigne Bétamèche qui regarde la vague monstrueuse engloutir la Corvette, en à peine une seconde. Le souffle est maintenant si puissant qu'il plaque nos héros contre la porte.
Le dernier verrou est retiré et les gardes entrouvrent légèrement la porte, mais le souffle surprend tout le monde et elle s'ouvre d'un seul coup.
Nos amis se ruent à l'intérieur et aussitôt se placent derrière la porte.
- Vite ! La vague arrive ! Il faut refermer ! hurle Arthur, sans prendre le temps de saluer personne.
Le gardien s'agace un peu.
- On ouvre, on ferme, savent pas ce qu'ils veulent ces gens-là ! bougonne-t-il.
Mais il aperçoit la vague, bavant d'écume, qui s'apprête à tout envahir.
Son attitude change aussitôt et il se rue sur la porte.
- Au secours ! crie-t-il à ses collègues qui viennent aussitôt l'aider.
Ils sont une dizaine à pousser cette porte, dix à regretter qu'elle soit aussi lourde et que le souffle soit aussi violent. La vague, elle, ne se plaint pas, bien au contraire. Elle semble ravie d'arriver enfin à destination et c'est avec plaisir qu'elle va engloutir tout ça.
Miro montre l'exemple et se jette à son tour sur la porte.
La petite taupe est plus habile à creuser les tunnels qu'à pousser des portes mais, dans un cas d'extrême urgence comme celui-là, toute aide est la bienvenue.
Le roi, malgré son rang, décide de se joindre à la manœuvre.
- Allez, mon bon Patouf, descends-moi ! demande le roi à son animal porteur.