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De ses mains puissantes, Patouf attrape le roi bien calé sur sa tête et le pose délicatement à terre.

-   Allez, Patouf, ferme-moi cette porte !

Patouf le regarde deux secondes de son air idiot mais néanmoins gentil. Deux secondes, c'est toujours le temps qu'il prend pour comprendre ce qu'on lui dit. La langue minimoy n'est pas sa langue natale. Les gens ont tendance à l'oublier et penser que Patouf est un peu simplet, mais essayez de parler le patouf, et vous passerez vous aussi pour un benêt.

L'animal pose donc ses mains énormes sur la porte et la pousse de ses grands bras musclés.

Ça va beaucoup plus vite avec Patouf, mais la vague n'est plus loin. Quelques mètres seulement.

Arthur saute sur le verrou, prêt à le fermer. Patouf pousse encore et même lui est obligé de forcer pour lutter contre ce souffle impressionnant.

La vague arrive sur la porte... mais, dans un ultime effort, Patouf parvient à la claquer. Arthur se jette sur le verrou qu'il pousse entre les anneaux.

La vague vient se fracasser contre la porte, avec une violence inouïe. Le choc la fait trembler de partout, et nos petits amis sont projetés à terre.

Arthur atteint le deuxième verrou qu'il s'efforce de fermer.

De l'autre côté, l'eau envahit tout le tunnel et il ne reste pas une seule bulle d'air.

La deuxième barre traverse enfin ses anneaux et bloque définitivement la porte.

Tout le monde garde quand même les mains sur la porte, histoire de la soulager un peu. Elle en a bien besoin car la pression que l'eau exerce de l'autre côté est énorme.

Ce liquide est puissant mais aussi sournois, et il profite de la moindre faille pour s'infiltrer à l'intérieur.

Le roi constate que sa porte fuit de partout.

-  Espérons qu'elle va résister ! se dit-il avec inquiétude.

Darkos regarde son boulier. La dernière boule roule doucement sur les deux tiges qui la guident et va rejoindre toutes les autres, indiquant ainsi la fin d'un cycle réglementaire.

-  Et voilà ! lâche-t-il avec beaucoup de plaisir.

Il se tourne vers son père.

-  À partir de cet instant, Majesté, vous êtes le seul et unique empereur et vous régnez en maître absolu sur l'ensemble des Sept Terres !

Darkos se fend d'une révérence plus prononcée que d'habitude. Maltazard savoure sa réussite. Il gonfle lentement sa poitrine, comme s'il respirait pour la première fois, puis soupire de plaisir.

-  J'ai beau ne pas être sensible aux honneurs, je dois reconnaître que cela fait tout de même quelque chose, de se savoir maître du monde, avoue-t-il en toute modestie. Mais ce qui me fait plaisir par-dessus tout... c'est de les savoir tous morts ! ajoute Maltazard que la victoire n'a pas rendu moins diabolique.

Si nos petits héros ne sont pas encore morts, ils ne sont pas pour autant sortis d'affaire.

-   La porte a l'air de tenir ? demande le roi qui aimerait qu'on le rassure.

-  Elle tiendra, lui répond Miro.

Venant d'un ingénieur aussi réputé que Miro, la réponse satisfait tout le monde.

Sélénia et Bétamèche lâchent progressivement la porte et s'autorisent à courir dans les bras de leur père.

-  Mes petits, quelle joie de vous savoir sains et saufs ! s'exclame le roi, submergé par l'émotion.

Il les serre très fort contre lui, trop heureux de pouvoir à nouveau les toucher. Puis il lève la tête vers le ciel, les yeux pleins de larmes.

- Merci ! Merci mon Dieu d'avoir exaucé mes prières ! dit-il, avec beaucoup d'humilité.

Chapitre 13

La grand-mère aimerait bien, elle aussi, que ses prières soient entendues. Elle en est à la troisième depuis ce matin, mais rien ne vient.

Elle soupire un peu, resserre ses petits genoux sur le prie-Dieu, qui est installé dans le salon sous une croix magnifique ornant le mur principal, et commence un nouvel Ave Maria. C'est le moment que choisit le père d'Arthur pour débouler dans le salon comme un Martien.

-  Là ! Là ! Ils sont géants ! Beaucoup trop ! Cinq ! Dans le jardin ! Noirs ! Tout noirs ! Et ils ont pas l'heure ! balbutie le père, aussi clair qu'un télégramme.

Il fait un tour sur lui-même, comme si l'air lui manquait.

-   Vite ! Sinon grand Noir fâché tout rouge ! Très fâché ! Pas perdre le temps ! ajoute-t-il avant de filer vers l'entrée.

Il n'est pas venu chercher l'heure, comme il l'a fait croire aux Matassalaïs, il est simplement venu chercher le courage de s'enfuir, laissant femme et enfant derrière lui. En l'occurrence, l'enfant, c'est fait depuis longtemps, et la femme, ça fait, de toute façon, un moment qu'il y pense.

Le père regarde à travers la cretonne qui pend aux fenêtres et constate que les visiteurs sont toujours dans le jardin. C'est le moment idéal pour prendre la fuite.

-  Je... je reviens ! parvient-il à dire à la grand-mère, avant de filer à l'autre bout de la maison, vers l'entrée principale. Le père ouvre la porte et sursaute à nouveau. Il y a un autre visiteur. Trois exactement.

Le premier n'est pas si grand et n'est pas si noir.

Il serait même plutôt élégant. Le père se calme un peu, tandis que Davido enlève son chapeau. Les deux autres sont bien noirs, mais ce qui est noir, c'est leur uniforme. De gendarme.

-  Il est midi ! dit Davido, avec un grand sourire, comme un gagnant du loto.

Le père le regarde sans comprendre. Davido sort sa montre, soigneusement enchaînée à son gilet.

-  Moins... une, pour être précis ! ajoute-t-il avec bonheur. Ce sera la limite de ma patience !

La petite troupe, Bétamèche en tête, déboule dans la salle des Passages.

Le vieux gardien a une nouvelle fois été dérangé, et a dû quitter son cocon. Ce qui n'est pas fait pour le mettre de bonne humeur.

-  Dépêchez-vous ! J'ai déjà tourné la première bague ! lâche- t-il en bougonnant. Il ne vous reste plus qu'une minute ! Archibald passe le premier et il vient se placer devant le miroir gigantesque, dernière lentille de la lunette magique. Le roi fait partie du comité d'adieu. Il est venu sans Patouf, trop grand pour la salle des Passages. Le souverain s'approche d'Archibald. Les deux hommes se font un sourire complice et se serrent la main.

-  À peine es-tu de retour qu'il faut déjà que tu nous quittes ! dit le roi, avec une tristesse qu'il a bien du mal à dissimuler.

-   C'est la loi des étoiles et les étoiles n'attendent pas ! répond Archibald, avec un sourire navré.

-  Je sais, et c'est bien dommage. Il y a tellement de choses que tu devais encore nous apprendre ! reconnaît le roi, avec beaucoup d'humilité. Archibald pose sa main sur son épaule.

-   Vous en savez aujourd'hui autant que moi et n'est-ce pas là le plus important ? À nous deux, nous formons un tout, les connaissances de l'un venant compléter les connaissances de l'autre. N'est-ce pas là le secret de l'équipe ? Le secret des minimoys ? lui dit gentiment le grand-père.

-  Oui, c'est vrai, acquiesce le roi, « Plus on est, plus on rit ». Cinquantième commandement.

-    Tu vois, ça, c'est vous qui me l'avez appris ! ajoute Archibald, avec un large sourire. Le roi est tout ému de cette marque d'amitié et de respect.

Les deux hommes, petits par la taille mais grands par le cœur, se serrent vigoureusement les mains. Le passeur tourne la deuxième couronne, celle de l'esprit, qui aurait bien besoin d'un peu d'huile.

-   Prenez bien soin de mon gendre ! lui dit le roi en souriant.

-   Avec plaisir. Et vous, prenez bien soin de ma belle-fille ! répond Archibald.

Le passeur finit de tourner la troisième couronne, celle de l'âme.

-   En voiture ! hurle-t-il, comme un chef de gare.