Si Copperfield le magicien avait fait disparaître une ville tout entière devant ses yeux, Davido n'en aurait pas été plus étonné. C'est plus qu'un tour de magie. C'est plus qu'un miracle. C'est une catastrophe.
Archibald lui balance un sourire, même pas amical, juste poli.
- Vous avez raison Davido... c'est un très beau dimanche ! s'exclame le vieil homme, qui a toujours le mot pour rire. Davido est incapable de bouger, tellement la surprise le paralyse.
- Nous avons quelques papiers à signer je crois ? lui demande le grand-père.
Il faut quelques secondes à Davido pour qu'il remue enfin la tête.
Le choc a visiblement endommagé ses pauvres capacités mentales déjà bien réduites.
- Passons donc au salon, il y fait plus frais et nous serons plus à notre aise, propose Archibald avec une courtoisie exemplaire.
Tandis qu'il se dirige vers la maison, il glisse quelques mots à l'oreille d'Arthur, le plus discrètement du monde.
- C'est maintenant qu'on va avoir besoin du trésor ! lui chuchote-t-il à l'oreille. Moi, je fais diversion et j'essaie de gagner du temps, toi tu t'occupes de récupérer les rubis !
Arthur n'est pas sûr d'avoir hérité de la mission la plus facile, mais cette marque de confiance le rend tout fier.
- Tu peux compter sur moi ! répond-il discrètement, avant de bifurquer vers l'arrière du jardin.
À peine a-t-il fait quelques mètres qu'il tombe dans l'un des trous creusés par son père. Arthur s'étale de tout son long dans la fosse.
Alfred pointe son museau au bord du trou et constate les dégâts.
- C'est pas gagné ! lui dit Arthur, de la terre plein la bouche.
Chapitre 14
L'heure est aux préparatifs de guerre sur la grande place de Nécropolis.
L'armée de séides finit de s'aligner, formant ainsi au sol un immense M.
Ce sont des milliers de soldats, juchés sur leurs moustiks qui s'apprêtent à envahir les nouvelles terres.
Maltazard avance doucement sur son balcon qui surplombe la place immense où s'est rassemblée son armée impeccable. Il a, pour la circonstance, mis une nouvelle cape, d'un noir absolu sur laquelle scintillent une centaine d'étoiles, plus brillantes les unes que les autres.
La clameur de l'armée accueille son puissant souverain qui lève les bras vers son peuple, comme le pape à son balcon. Le prince des ténèbres savoure sa victoire éclatante, terrassante, écœurante même, pense Mino, toujours sur le côté de la pyramide et qui se demande bien ce qu'il doit faire. Comment Arthur aurait-il pu survivre à un tel raz-de-marée ?
C'est pratiquement impossible, mais ce n'est pas le « impossible » qui le gêne, c'est le « pratiquement ». Même s'il n'y avait qu'une chance sur un million, il y a tout de même une petite chance qui traîne et Mino n'a pas le courage de la gâcher.
Mino consulte sa nouvelle montre. Arthur n'a oublié qu'un seul détail. Si la petite taupe est tout à fait capable de lire l'heure, elle est par contre incapable de voir d'aussi près.
Mino s'affole. Il a beau reculer son bras le plus loin possible de son corps, rien n'y fait. Il est miro. Comme une taupe. Comme son père.
Arthur arpente le jardin dans tous les sens. Impossible de reconnaître quoi que ce soit à cette échelle. À part le minuscule ruisseau qu'il a dévalé, à bord de sa noix. Il remonte le cours d'eau, longe le petit mur, haut de quelques briques seulement, et arrive au pied de l'énorme réserve d'eau.
Il doit y avoir une minuscule grille, quelque part, enfouie dans l'herbe, mais Arthur a beau chercher, il ne trouve rien. Alfred, lui, a retrouvé sa balle. Il la dépose aux pieds de son maître qui semble la chercher partout.
- C'est pas le moment de jouer, Alfred ! dit l'enfant, vraiment concentré.
Il prend la balle et la jette au loin, ce qui n'est pas le meilleur moyen de dire à un chien que le jeu s'arrête.
Pendant ce temps, Mino s'approche de l'un des gardes qui entourent le trésor.
Il toussote et l'interpelle très poliment.
- Excusez-moi de vous déranger. Pourriez-vous me lire l'heure s'il vous plaît ? Je ne vois pas très bien de près !
Le séide a une tête de brute. C'est déjà un miracle qu'il lui ait laissé le temps de finir sa phrase. Le garde se penche et regarde le bracelet.
- Chais pas lire ! aboie-t-il comme un ogre.
Brute et abruti.
- Ah ? ! Tant pis ce n'est pas grave, regrette la petite taupe.
- Allez, Mino ! Dépêche-toi ! ! l'encourage Arthur, même si ses prières ne lui parviennent pas.
Alfred lui ramène sa balle en frétillant de la queue.
Il ne comprend décidément pas la tragédie qui est en train de se dérouler devant lui. Il ne voit que sa balle, et le jeu qui va avec.
Arthur, excédé, attrape la balle et la lance de toutes ses forces à l'autre bout du jardin.
En fait, c'est là où il aurait aimé envoyer la balle. Malheureusement, un bras fatigué et un vent léger en décident autrement. La balle dévie de sa trajectoire et traverse le carreau du salon.
Davido sursaute et renverse son café sur son beau complet blanc crème.
Comme il avait pris son café sans lait, il n'y a rien à faire, ça se voit.
Davido baragouine quelques insultes que la douleur transforme en onomatopées.
La grand-mère se précipite, un torchon à la main, tandis que le grand-père prend un air embêté.
- Oh ! ? Vraiment désolé ! Vous savez ce que c'est ! Les enfants ! Davido arrache le torchon des mains de la grand-mère et s'essuie lui-même.
- Non, Dieu merci ! Je n'ai pas encore le plaisir de connaître ! postillonne-t-il entre ses dents.
- Ah ! Les enfants ! s'émerveille Archibald. Un enfant, c'est comme un petit agneau, ça vous remplit la vie et dans mon cas précis, ça a sauvé la mienne ! confesse-t-il, dans une allusion qu'il est le seul à comprendre.
- Et si nous laissions les agneaux tranquilles et que nous revenions à nos moutons ? suggère Davido, qui pousse à nouveau les papiers à signer sous le nez d'Archibald.
- Bien sûr ! lui répond le grand-père en regardant les papiers.
Il doit absolument trouver une nouvelle idée qui lui permettrait de gagner encore un peu de temps.
- Laissez-moi d'abord vous refaire un petit café ! lâche-t-il en se levant.
- Ce n'est pas la peine ! lui répond Davido, mais le grand-père joue les sourds et se dirige déjà vers la cuisine.
- C'est un café qui me vient d'Afrique centrale. Vous allez m'en dire des nouvelles !
Maltazard tient toujours ses bras levés, face à la foule en liesse.
- Mes fidèles soldats !
C'est par ces mots qu'il commence son discours et le silence se fait progressivement. Un silence religieux, pour des paroles qu'on boit comme une liqueur divine.
- L'heure de gloire est arrivée ! hurle le souverain, d'une voix à vous glacer le dos et que l'écho se charge de répéter à qui veut l'entendre.
Le peuple séide hurle de joie. Comme à chacune de ses phrases. C'est à se demander s'ils les comprennent ou s'ils obéissent bêtement au panneau que leur montre régulièrement Darkos, sur lequel on peut lire « Applaudissements ». Mais comme la plupart ne savent pas lire, ils se contentent de pousser des hurlements.
Maltazard attend le silence et continue son discours.
- Je vous promets richesse et pouvoir, grandeur et éternité ! Les séides crient à nouveau, sans vraiment comprendre ce que leur chef promet et qui ne leur sera jamais destiné. Ce sont des mots que le maître se réserve et il y a peu de chances qu'il partage richesse et pouvoir, et encore moins grandeur et éternité !