Elle s'arrête net. Mais d'où vient donc cette question sournoise et cette petite voix qu'elle n'ose reconnaître ?
Sélénia se retourne alors et voit Arthur apparaître, la tête en bas, contrôlant de moins en moins ses positions.
- Et quoi encore ? demande-t-il au passage, ravi de tant de compliments.
La fureur monte instantanément au visage de Sélénia. Une vraie bouilloire prête à siffler. Mais il n'y a pas que de la fureur dans cette grimace, il y a aussi un peu de honte, celle d'avoir dévoilé, en si peu de temps, tous ses sentiments.
La colère crispe tellement sa mâchoire qu'elle n'arrive même pas à proférer des insultes.
- Et... un sacré baratineur ! ! finit-elle par hurler, tellement fort qu'elle lui remet la tête en haut.
Arthur disparaît à nouveau, tandis que Sélénia s'approche du bord pour découvrir la supercherie.
Arthur rebondit sur une gigantesque toile d'araignée située en contrebas et qui est tissée d'un côté à l'autre du précipice. Sa chute était donc sans risque et sa sortie purement théâtrale. Mais Sélénia n'apprécie pas la pièce et les fourberies de ce Scapin vont se payer. Elle sort son épée et attend qu'Arthur remonte pour lui cracher son encre.
- Tu es l'être le plus manipulateur que je connaisse ! lui balance-t-elle, entre deux coups d'épée qu'Arthur évite de justesse.
- Tu vas voir ce qu'il en coûte de jouer avec les sentiments d'une princesse.
- Sélénia, si tous ceux qui t'aiment doivent se tuer pour te le prouver, tu n'arriveras jamais à trouver un mari ! lui répond Arthur, plein de bon sens.
- Il a raison ! ajoute Bétamèche, toujours prêt à jeter un peu d'huile sur le feu.
Sélénia se retourne et, d'un seul coup d'épée, coupe les trois cheveux rebelles qui se dressaient sur le crâne de Bétamèche.
- Toi, tu es son complice depuis le début ! Tu es un faux frère ! D'ailleurs, je me demande tout simplement si tu es vraiment mon frère ! dit Sélénia qui ne décolère pas. Et voilà les deux qui se chamaillent et ça fait beaucoup rire Arthur qui commence à maîtriser le rebond et apparaît chaque fois plus à l'aise.
La toile résiste parfaitement mais sur le côté on distingue un fil, qui se tend légèrement à chaque rebond. Ces petites vibrations régulières courent le long du fil et, si l'on s'amuse à le suivre, on longe la paroi jusqu'à une sorte de caverne.
Le fil disparaît alors dans le noir d'une grotte.
Un noir bien plus dense que celui du vide, bien plus inquiétant aussi.
Mais la curiosité étant plus forte que l'inquiétude, on ne peut s'empêcher d'avancer un peu dans cette grotte suintante, d'avancer vers ce noir et de suivre ce fil qui vibre et doit bien mener quelque part.
Au bout d'un moment, deux formes se distinguent dans l'obscurité.
Deux yeux. Rouges. Gorgés de sang.
Cela n'empêche pas Arthur de rire de bon cœur. La menace est trop lointaine.
- Allez Sélénia ! Pardonne-moi ! lance-t-il à l'occasion d'un nouveau rebond. Je savais qu'il y avait une toile d'araignée, mais je t'ai écoutée, jusqu'au bout ! Cette toile, c'est juste ma bonne étoile !
Sélénia n'est pas encline aux jeux, même de mots. Elle pencherait plutôt pour une bonne fessée, histoire de punir cet effronté.
Mais la punition vient toute seule, et, en guise de bonne étoile, il se prend à la toile et s'y empêtre. Finies les pirouettes. Arthur s'est emmêlé la jambe dans les fils de la toile.
La vibration change donc de nature et ce nouveau message court le long du fil, jusqu'à la grotte.
Les deux yeux rouges qui l'habitent semblent apprécier la nouvelle, et l'araignée commence à avancer, jusqu'à sortir du noir.
Quand on ne mesure que deux millimètres, on voit la vie sous un autre angle, et ce qui nous apparaissait avant comme une gentille petite araignée, devient maintenant un véritable tank à huit pattes, poilu comme un mammouth.
Et vu le potin qu'elle fait à chaque fois qu'elle pose une patte par terre, on comprend vite qu'elle n'est pas là pour faire guili-guili.
Elle étire sa gueule pleine de piques et bave un peu partout. En langage araignée, ça s'appelle un sourire.
Les grosses mandibules se mettent en action et ravalent le fil, au fur et à mesure que l'animal avance vers sa toile.
Chapitre 3
Arthur a un mal de chien à se défaire de ce piège. Les fils sont entourés d'une substance légèrement collante qui n'arrange pas les choses et Arthur s'emberlificote de plus en plus.
- Sélénia, je suis emmêlé ! dit Arthur, suffisamment fort pour que sa voix porte jusqu'au chemin.
- Eh bien, restes-y ! Ça t'apprendra ! lui répond Sélénia, trop contente de tenir enfin sa vengeance. Tu auras tout le temps pour méditer sur ce que tu as fait !
- Mais je n'ai rien fait ! se défend Arthur. Je n'ai fait que t'écouter et avoir un peu de chance. C'est tout. Il ne faut pas m'en vouloir pour ça. Et puis c'était très joli tout ce que tu as dit sur moi !
Sélénia tape du pied. La colère lui revient.
- Je ne pensais pas tout ce que j'ai dit ! se défend la princesse.
- Ah bon ? Pourquoi l'as-tu dit alors ? Tu dis des choses que tu ne penses pas maintenant ? lui rétorque Bétamèche, toujours prêt à mettre le souk.
- Si, je dis toujours ce que je pense, balbutie Sélénia, mais ce coup-ci, c'est différent ! J'étais poussée par le remords et la culpabilité ! Alors j'ai dit n'importe quoi, pour soulager ma conscience !
- Tu as donc menti ? insiste Bétamèche.
- Non, je ne mens jamais ! rétorque Sélénia qui se sent de plus en plus coincée. Et puis zut ! Vous m'embêtez tous les deux ! finit-elle par lâcher. D'accord ! je ne suis pas parfaite ! Ça vous va comme ça ?
- Moi, ça me va très bien, concède Bétamèche, ravi de cet aveu.
- Moi, ça ne me va pas du tout ! lance Arthur, qui vient d'apercevoir l'araignée. Bien qu'elle soit impressionnante, ce n'est pas sa taille ou son allure qui affole Arthur, c'est surtout la direction qu'elle a prise. L'animal est en train de venir droit sur lui et sûrement pas pour lui dire bonjour. Ce serait plutôt pour un au revoir.
- De quoi te plains-tu ? demande Sélénia en se penchant vers Arthur. Tu te trouves parfait peut-être ?
- Pas du tout ! Bien au contraire, je me sens petit, coincé et totalement démuni ! Et j'ai énormément besoin d'aide, répond Arthur qui commence à paniquer.
- Voilà un bel aveu. Un peu tardif certes, mais agréable à entendre, se félicite la princesse.
L'araignée continue sa route et avale son fil qui la guide directement vers Arthur.
- Sélénia ! À l'aide ! Il y a une araignée géante qui vient sur moi ! s'affole Arthur.
Sélénia regarde un instant l'araignée qui, effectivement, est bien partie pour le croquer.
- Elle est de taille tout à fait normale cette araignée ! Il faut toujours que tu en rajoutes, commente la princesse, absolument pas impressionnée par l'animal.
- Sélénia ? ! Aide-moi ! Elle va me dévorer ! hurle le jeune garçon, totalement paniqué.
Sélénia met un genou à terre, et se penche un peu, comme pour rendre leur conversation plus intime.
- J'aurais préféré que tu meures de honte, mais... dévoré par une araignée ce n'est pas mal non plus ! dit-elle, avec une pointe d'humour qu'elle semble être la seule à apprécier.
Elle se lève à nouveau, lui balance un grand sourire et lui fait un signe de la main.
- Adieu ! dit-elle avec légèreté, avant de disparaître. Arthur est à la merci du monstre. Abandonné, pétrifié, liquéfié. En un mot, déjà mort. L'araignée se lècherait volontiers les babines, si elle en avait.