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Mais il a la tête ailleurs. Probablement posée sur l'épaule de Sélénia, sa princesse adorée qu'il est venu sauver. Arthur se redresse, donne son verre à Leïla et tente d'échapper au sourire ravageur de Lala qui, visiblement, commence à tomber un peu amoureuse de notre héros. Il faut avouer que quelques taches de rousseur et un pedigree de prince rendent un homme irrésistible. Mais cet homme est encore un enfant, et un enfant avec une mission, c'est plus têtu qu'une mule avec une carotte.

- Max ! Je te remercie pour ton accueil, mais l'heure est grave ! Les Minimoys sont en danger ! lâche Arthur, aussi sérieux qu'un croque-mort.

Une telle annonce casse forcément un peu l'ambiance et les jeunes filles se tournent vers Max, ne sachant pas quoi faire.

- Les Minimoys en danger ? En es-tu sûr ? Car hier encore, je leur ai livré des centaines de fleurs pour leur cérémonie annuelle de la marguerite ?! s'étonne le patron des lieux. Arthur lui parle alors de l'araignée et de son message, du grain de riz qui vole dans le salon, de la panique qui s'en est suivie et de la course effrénée dans la nuit pour rejoindre la maison.

- Et puis il y a eu ce satané nuage ! Impossible de prendre le rayon ! Alors les guerriers m'ont fait passer par les lianes et voilà comment je suis arrivé jusqu'ici ! Désolé pour le plafond ! explique Arthur avec précipitation.

Max n'a pas tout compris, peu habitué à ces voyages interdimensionnels. Le patron réfléchit un instant. M le maudit ayant été écarté dans la précédente aventure, il ne voit vraiment pas ce qui pourrait menacer ainsi le peuple minimoy. Aucun cours d'eau débordant de son lit n'a été signalé, aucune démolition en perspective. Même l'été, plutôt clément, semble bien disposé à laisser gentiment sa place à l'automne.

- Tu es sûr de ton coup ? demande Max.

- J'en serai sûr quand j'aurai vu Sélénia, Bétamèche et le roi en bonne santé ! répond Arthur, bien décidé à aller jusqu'au bout. Peux-tu m'emmener jusqu'à leur village ? demande Arthur, de sa petite voix irrésistible.

Max semble un peu contrarié. Vu les tenues affriolantes de toutes ces jeunes femmes, il avait forcément prévu autre chose pour la journée. Mais la situation lui paraît assez importante pour qu'il la prenne au sérieux.

- Bon ! Je vais t'accompagner jusqu'à leur village, mais après je te laisse parce que j'ai beaucoup de travail aujourd'hui ! lance Max en râlant un peu.

- Quel genre de travail ? demande Arthur, qui ne l'imagine pas une seconde en train de travailler. Max le prend par l'épaule et l'entraîne un peu à part.

- Aujourd'hui c'est le jour des maris. Je dois passer la journée avec ces dames. Elles doivent me confier tous leurs problèmes, moi, je dois les écouter en remuant la tête, comme si je comprenais tout, et après je leur promets que je vais arranger tout ça, tu comprends ?

Arthur est loin d'avoir compris. Il regarde les jeunes filles, plus accueillantes qu'un bouquet de violettes, et ne voit pas bien quel genre de problèmes elles pourraient avoir.

- Oh ! Toutes sortes de problèmes ! Crois-moi ! réplique Max en levant les yeux au ciel. Et puis après, surtout, il faut les rassurer, les réconforter, les cajoler... tu vois ?

Arthur voit de moins en moins et il lui faudra encore quelques années pour que sa vue s'améliore.

- Je t'expliquerai en chemin ! répond Max afin d'écourter la discussion.

Il enfile un gilet de toutes les couleurs, comme s'il n'était pas assez voyant comme ça, et pousse Arthur vers la sortie.

- Bon, restez sagement ici, les filles. Je raccompagne mon ami Arthur et je reviens tout de suite.

Lala regarde partir son prince, aussi triste qu'une rose qui perd son premier pétale. Arthur a le cœur fendu, la main hésitante.

- Laisse tomber ! Il ne faut surtout pas la regarder dans les yeux, sinon elle t'hypnotise ! Un jour j'ai vu un cobra se suicider à cause d'elle ! lui explique Max en l'emmenant vers la sortie. Arthur détache son regard de Lala avec difficulté et s'aperçoit effectivement de l'emprise qu'elle avait sur lui.

- Tu la regardes sourire plus de cinq minutes et tu ne sais plus comment tu t'appelles... D'ailleurs, comment tu t'appelles ? vérifie Max, un peu inquiet.

- Euh... Arthur, Arthur Bigantol !

- C'est bien ! lui lance Max, satisfait de sa réponse. Et maintenant... en voiture !

La voiture à tête de bélier traverse la nuit, toujours aussi lentement. La bonne nouvelle, c'est que la mère n'a plus mal au cœur, grâce à son mari qui a accepté de rouler encore moins vite. La mauvaise nouvelle, c'est qu'à cette vitesse-là, ils auraient pu rentrer à pied. Le moteur ronronne à la perfection, tout comme le passager arrière, toujours dissimulé sous sa couverture.

- J'ai un peu froid, avoue la mère.

Mais pas question pour le mari de mettre le chauffage. Ça tire sur la batterie, abîme les résistances, consomme davantage et donc coûte une fortune. Il pourrait citer ainsi, à l'infini, la liste des raisons pour ne pas mettre le chauffage.

- Prends donc la couverture du petit ! Il dort à poings fermés. Il ne sentira pas la différence, lui répond Armand.

La jeune femme a quelques scrupules à découvrir son fils, mais c'est vrai qu'il dort si bien. Et puis elle a droit, elle aussi, à un peu de confort après cet éprouvant début de voyage. Elle tire donc la couverture et pousse un cri d'horreur. Armand se raidit et mouline son volant pour éviter l'accident, la collision avec Dieu sait quoi, puisque que la route est déserte.

- Qu'est-ce qui te prend de hurler de la sorte ?! grogne le mari en reprenant ses esprits.

- Arthur... il... il s'est transformé en chien !! s'écrie-t-elle, terrifiée.

Armand pile, debout sur les freins. Tant pis pour l'usure. Il se retourne et découvre Alfred qui préfère remuer la queue que de dire quoi que ce soit. Mieux vaut prétendre qu'il est content de les voir, vu qu'eux n'ont pas l'air contents du tout de le voir.

- Mais... c'est pas Arthur... c'est Alfred !! répond le père, excédé.

- Oh ?! Excuse-moi ! Je... je n'avais pas bien vu dans le noir ! balbutie la mère, ajustant ses lunettes, mal à l'aise d'avoir confondu son fils avec un chien.

« Mais si le chien est là, où diable est Arthur ? » se demandent maintenant les parents. Armand regarde sous la banquette, sous les sièges, puis il descend et fait trois fois le tour de la voiture. Rien, et surtout personne.

- Il s'est tout de même pas envolé ?! grogne le père, encore une fois très agacé par ce nouveau tour de magie.

Il n'aime décidément pas ça, les mystères. Ni les surprises. Encore moins celles de sa femme. Il se souvient du jour où son épouse lui avait annoncé qu'elle attendait un heureux événement. Il lui avait ordonné immédiatement de lui dire de quelle nature exacte était l'événement dont elle parlait. Quand sa femme lui avoua que c'était un bébé, il n'eut de cesse de savoir s'il s'agissait d'un garçon ou d'une fille.

- Je n'en sais rien ! répondait inlassablement la pauvre femme, incapable en ces années anciennes de lui fournir une réponse.

Le père n'en croyait pas un mot. Comment pouvait-elle porter en elle quelque chose sans savoir ce que c'était ? se répétait-il à longueur de journée. Il harcelait aussi ses parents, persuadé qu'ils faisaient partie du complot. Ce fut un grand soulagement pour tout le monde quand Arthur vint au monde.

- Peut-être est-il retourné chez Archibald ? suggère la mère. Armand réfléchit à cette explication et l'accepte, vu qu'il n'en a pas d'autre.

- Bien sûr qu'il est retourné chez Archibald ! répond-il, avec une mauvaise foi évidente. La seule question qui se pose c'est : quand a-t-il bien pu sauter de la voiture en marche ?! ajoute-t-il, sûr de lui.

Avec un partenaire comme Armand, il aurait fallu cent ans à Rouletabille pour élucider le mystère de la chambre jaune. Quoi qu'il en soit, Armand prend les choses en main, en l'occurrence le volant, direction la maison qu'ils ont quittée, il y a à peine une heure.