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Armand se met debout sur ses freins. Les roues se bloquent aussitôt dans un crissement suraigu. La femme se prend immédiatement le pare-brise en pleine poire et se met à hurler. Le hurlement insupportable de cette femelle de race inconnue affole évidemment le troupeau qui s'immobilise un peu plus au milieu de la route. Armand donne des coups de volant dans tous les sens, mais ses roues bloquées ne font que glisser sur la poussière de la route. Profitons-en pour préciser que des roues bloquées sur une route glissante n'ont jamais arrêté une voiture. Elle fonce donc irrémédiablement vers le troupeau qui commence à s'affoler, comme à l'approche du loup. Mais le gros bouc, patron du troupeau, n'a pas peur du loup et tandis que ses congénères commencent à fuir de tous côtés, le chef se met bien en évidence.

Armand se fige sur son volant, les yeux exorbités de terreur, certain qu'il ne pourra éviter l'impact. De son côté, l'animal aperçoit, au milieu de la lumière surpuissante des phares, le visage de l'ennemi. Il ne s'agit pas d'un loup, mais d'un bélier à la tête d'argent. Il faut dire que l'emblème de la marque est bien imité et le fait qu'un vrai bouc puisse se méprendre en est la preuve.

L'animal (le vrai) se campe donc sur ses pattes arrière et baisse la tête, offrant ses cornes, prêtes au combat. Son adversaire est dix fois plus gros que lui, mais notre bouc est orgueilleux et il ne faillira pas devant le troupeau. Armand ferme les yeux. Les deux animaux se percutent, cornes contre cornes. D'habitude, dans ce genre de combat, les adversaires se mettent des coups de tête pendant des heures, jusqu'à ce que les cornes cèdent. Ici, un seul assaut aura suffi. La voiture est détruite. Les phares louchent grossièrement, le radiateur fume copieusement. On ne compte plus les fuites sous le véhicule. Le bouc est un peu sonné. On le serait à moins.

- Excusez-moi !! balbutie le père qui réalise seulement maintenant qu'il a ignoré le panneau « Attention, animaux sauvages ».

Le bouc titube quelques secondes puis retrouve ses esprits. Il éternue un bon coup et gonfle à nouveau le torse. Sa victoire est éclatante et le troupeau bêle de soulagement, avant de disparaître à nouveau dans l'épaisse forêt qui borde la route. Armand n'a toujours pas bougé, les yeux toujours aussi globuleux, les mains toujours crispées sur le volant. Si seulement il avait eu les moyens, il se serait acheté une Jaguar et la panthère, à l'avant de la voiture, n'aurait fait qu'une bouchée de ce stupide animal, bon qu'à faire des fromages. Armand remonte un peu sa mâchoire qui pend mollement et jure ses grands dieux que plus jamais il n'astiquera ce foutu bélier, aussi emblématique soit-il.

Chapitre 12

La beetle de Max ne risque pas de croiser un bouc à cette altitude. Elle vole dans la nuit, au-dessus du sol que les vers luisants, collés sous la voiture, prennent soin d'éclairer. C'est joli de voir les herbes sortir ainsi du noir, pendant quelques instants. Cela ressemble aux temples oubliés qu'on découvre au hasard de la torche. Arthur regarde souvent des reportages à la télévision. Les secrets de la grande pyramide, le monde englouti d'Atlantis, le temple oublié d'Angkor. Toutes ces aventures le font rêver. Jamais il n'aurait imaginé qu'un jour, il serait lui aussi au centre de la plus incroyable des aventures.

Arthur, mille ans, deux millimètres, traverse le jardin à dos de coccinelle, aux côtés d'un Koolomassaï à sept femmes. Ça vaut bien les pyramides.

Max tire un peu sur les rênes et la coccinelle pique vers le sol. Avant même qu'Arthur ait eu le temps d'avoir peur, la beetle a plongé entre deux brins d'herbe et s'est engagée dans une vieille canalisation éventrée. Il faut vraiment connaître l'endroit pour conduire de la sorte. La coccinelle avance en oscillant dans le tuyau, projetant sa belle lumière violette tout autour de la paroi. Max conduit d'une main, comme le veut la tradition. Pas question de jouer les stressés agrippés au volant. Quand on est un Koolomassaï, la règle est de rester cool en toute circonstance. Arthur regarde défiler le tuyau et la bifurcation que Max prend sans même hésiter.

- Je crois que je reconnais ! dit Arthur. J'étais passé par là avec ma voiture.

- Qu'est-ce que tu as comme véhicule ? demande Max, intrigué.

- Une Ferrari. Cinq cents chevaux, lâche Arthur, qui se la joue un peu.

- Cinq cents chevaux ? Ça fait combien, en coccinelles ? questionne Max qui n'a jamais entendu parler d'une telle mesure.

- Euh... je n'en sais rien ! répond le gamin.

C'est vrai qu'il n'est pas facile, au pied levé, d'imaginer combien de coccinelles on pourrait éventuellement faire tenir dans un cheval.

Max tire doucement sur une autre manette. Ça doit être le frein, car l'animal ralentit fortement. Elle pose les pattes arrière, soulève un peu de poussière, rentre ses ailes sous sa carapace et reprend sa marche à huit pattes.

- Et ça ? Elle sait le faire, ta Ferrari ? lance Max, pas peu fier de sa coccinelle.

- Non, ça, elle ne sait pas le faire ! répond gentiment Arthur, qui ne veut pas gâcher le plaisir de son ami.

Le véhicule arrive au fond du tuyau, là où se trouve la fameuse porte qui marque l'entrée du monde des Minimoys. Arthur se souvient de cette porte pour avoir tapé dessus comme un sourd, tandis que l'eau s'engouffrait dans le conduit. C'était lors de sa première aventure. Il avait, ce jour-là, échappé de peu aux griffes de M le maudit. Et voilà Arthur à nouveau devant cette porte, le cœur serré, les mains nouées, ému comme au premier jour. Il va revoir Sélénia et cette pensée emballe son cœur. Un vrai tambourin. Le retour est souvent ce qu'il y a de plus éprouvant. On est ivre de bonheur à l'idée de retrouver son compagnon, mais cette excitation cache aussi une crainte, plus profonde, plus insidieuse. Et si l'autre avait changé ? Et si l'autre, à cause de ce temps qui défait tout, avait changé d'avis et d'amour ? « Loin des yeux, loin du cœur », dit le proverbe. Cette pensée lui glace le sang et un frisson lui traverse le corps, de la tête aux pieds.

- Bon ! Je vais y aller ! Je ne voudrais pas laisser les filles trop longtemps toutes seules ! dit Max, sans se rendre compte qu'il aggrave la situation.

Si Max a peur de quitter ses femmes rien qu'une heure, que doit penser Arthur qui a abandonné Sélénia pendant dix lunes ?

- Elle va même pas me reconnaître ! pense Arthur, pris de panique.

Max lui jette un signe d'adieu, puis nous fait un retournement-décollage digne des plus grands kakous. Arthur le regarde s'éloigner avec un peu d'amertume. Il aurait préféré ne pas être tout seul pour affronter l'inconnu, mais la vie est ainsi faite. Comme le dit souvent son grand-père : « C'est comme ça ! » Que Sélénia le reconnaisse ou pas, il lui faut répondre à un message de détresse. « Au secours ! » disait le grain de riz.

L'heure est donc à l'intervention rapide, à l'opération commando et pas à la mélancolie. Arthur frappe alors sur la porte comme un forcené. Chacun de ses coups résonne dans le tuyau immense, mais aucune réponse ne lui parvient. La porte reste muette. Arthur frémit à nouveau. Pourvu qu'il n'arrive pas trop tard. Ne pas être reconnu par Sélénia est une chose, la perdre en est une autre. La pensée d'une telle catastrophe lui donne encore plus de forces pour taper sur cette foutue porte qui ne veut rien savoir.

La panique commence à monter en lui et il doit faire tous les efforts du monde pour qu'elle ne le submerge pas.

« Réfléchis, Arthur ! Réfléchis ! Il doit y avoir une solution ! » se répète-t-il sans cesse en longeant la porte comme un lion en cage.