Puis soudain, une étincelle.
- Le périscope ! lance-t-il à lui-même.
Il se souvient effectivement de cette petite cavité qui permettait aux habitants de scruter le tuyau sans avoir à sortir du village. Arthur pose ses mains sur la porte et cherche à tâtons une épaisseur ou une fente qui trahirait l'emplacement de cette ouverture.
- Là ! crie Arthur, renseigné par ses doigts, qu'il glisse aussitôt dans l'interstice.
Il tire de toutes ses forces et le panneau finit par céder. Derrière, il y a une vitre bleutée, Arthur l'avait oubliée. Ça bloque malheureusement le passage, mais ça lui permet au moins de voir à l'intérieur du village et ce qu'il voit le terrifie. Il ne s'y passe absolument rien. Pas un seul mouvement. Pas âme qui vive. Le village d'habitude plein de vie, si coloré, si joyeux, est aujourd'hui d'une tristesse à mourir. Arthur colle ses mains contre la vitre, pour éviter les reflets. Il a beau scruter les environs, il n'y a pas un Minimoy qui traîne. Pas même un mül-mül. Arthur ne connaît pas encore la nature du problème, mais il peut déjà en mesurer l'ampleur. On ne parle plus ici d'un drame ou d'une menace, mais bien d'un désastre national, puisque le peuple tout entier a disparu. Qui a bien pu commettre un acte pareil ? Ont-ils été capturés ? Jetés tous en prison, ou exterminés les uns après les autres ? Autant de questions auxquelles Arthur ne peut pas répondre pour l'instant et son impuissance le rend malade. La colère lui monte jusqu'au visage, jusqu'au bout des doigts et il assène un violent coup de poing sur cette glace bleutée, qui ne lui a pourtant rien fait. La vitre tombe en arrière, comme un vulgaire volet mal verrouillé. Encore un garde royal qui a mal fait son travail. Arthur est tout étonné par sa découverte. Pour une fois que la colère lui sert à quelque chose. Il avance son petit visage dans l'ouverture et regarde dans les coins, là où la glace l'empêchait de le faire. Mais rien de nouveau dans les coins. Le village est toujours aussi désert, toujours aussi mort.
- Il y a quelqu'un ? se risque-t-il à crier, mais son appel n'obtient pas plus d'écho que les précédents.
Il essaye une nouvelle fois, un peu plus fort, mais le résultat est le même. Alors que la dépression se réjouissait à l'idée de pouvoir l'envahir, Arthur jette un regard sur cette petite ouverture, pas si petite que ça. Il se demande même si un garçon de dix ans, mesurant provisoirement deux millimètres, ne pourrait pas s'y glisser.
« Qui ne tente rien n'a rien ! » se dit-il, comme pour se donner du courage. De toute façon, il n'a pas le choix. C'est sa seule idée. Sa seule chance. On dit généralement que quand les fesses passent, le reste passe. Sauf que dans le cas d'un petit garçon, transformé en Minimoy, la tête est plus grosse que le popotin. Il décide donc de passer les pieds d'abord. Les fesses passent de justesse, mais au passage de la tête, il se fait tirer les oreilles, ce qui est un comble pour quelqu'un qui est en train de commettre une bonne action. Il tombe par terre, comme un paquet de linge sale au fond d'un panier. Il se remet rapidement sur pied et s'époussette afin d'être présentable, même s'il n'y a personne pour l'accueillir. Arthur fait un tour sur lui-même, scrute tous les recoins, mais le lieu reste définitivement désert.
Chapitre 13
Il avance doucement vers la place centrale, habituellement pleine de vie puisque c'est là que le roi réunit son peuple, lors des grands événements populaires. Les Minimoys se rassemblent souvent car ils aiment particulièrement les hommages. Ce n'est pas un peuple de guerriers, mais plutôt un peuple à la larme facile. Le moindre défilé les réjouit, le moindre poème les séduit. Ce qu'ils préfèrent par-dessus tout, ce sont les cérémonies florales. Comme il y a trois cent soixante-cinq fleurs dans le royaume, on en honore une par jour.
Chaque matin donc, les habitants se réunissaient sur la place, face au palais, et chantaient les louanges de la fleur du jour. Ces cérémonies étaient toujours très émouvantes, et chacun y allait de sa larme. Evidemment, le larmanteur passait dans les rangs et récupérait toutes ces précieuses larmes dans un ver à soie, autrement dit un verre à lui. Toutes ces perles de tristesse, ou de joie, étaient récoltées et mises à l'abri dans un grand vase. À la fin de l'année Sélénielle, qui correspondait bizarrement au premier avril de notre calendrier à nous, le précieux liquide était alors répandu au cours d'une gigantesque cérémonie, appelée la fête du poisson. C'était une cérémonie de la plus haute importance, même si certains la trouvaient grotesque et pensaient que ce poisson d'avril avait tout l'air d'une blague. D'ailleurs, il paraît que cette mauvaise rumeur avait traversé les frontières jusqu'à remonter à la surface et que même les hommes passaient la fameuse journée d'avril à se moquer de l'événement.
Quoi qu'il en soit, la tradition demeure et, le premier avril, le roi, à l'aide de Mogoth, son fidèle porteur, verse les larmes récoltées pendant l'année au pied d'un gigantesque poisson gravé dans la pierre. Pourquoi diable un poisson me demanderez-vous ? Parce que dans la culture minimoy on se doit de remercier le ciel et d'honorer tout ce que l'on connaît. Mais aussi tout ce que l'on ne connaît pas. Il est effectivement fort méprisable et malvenu d'ignorer quelqu'un sous le simple prétexte qu'on ne le connaît pas. Le poisson étant probablement l'animal le plus éloigné de leur style de vie, il est donc devenu le symbole de cette ignorance, et c'est lui qu'on honore chaque année au nom de tous ces inconnus qui pourtant participaient, autant que les Minimoys, à cette grande chaîne de la vie qu'ils chérissent tant. Apporter ces larmes de bonheur, donner cette eau précieuse à un poisson, est un geste symbolique, mais qui traduit à merveille la sensibilité du plus petit des peuples.
Maintenant que vous connaissez la vérité sur ce fameux poisson d'avril, vous verrez qu'il vous sera beaucoup plus difficile d'en rire et plus aisé d'en pleurer.
Arthur s'assoit sur un rocher. Il est tout dépité. Pas âme qui vive et le mystère de cette disparition reste entier. Il a bien vu quelques traces de pieds au sol, mais rien de significatif. Il pose son coude sur son genou et plonge son menton dans sa main, en poussant un grand soupir. Il est beau comme ça, Arthur, quand il pense, on dirait une statue. Il regarde un instant une autre statue, située sur la gauche, à l'entrée du palais. Il n'est pas rare d'avoir ce genre d'ornement à l'entrée d'un bâtiment officiel, mais celle-ci a une position bien étrange. Le modèle est couché sur le sol, les mains croisées sur la joue. On dirait qu'il dort. Arthur fait un bond en arrière. « Mais ce n'est pas une statue ! » réalise-t-il tout d'un coup. C'est un Minimoy ! Arthur traverse la place en courant. « Pourvu qu'il ne soit pas mort ! » se dit-il, car il est son seul espoir, la seule personne qui puisse expliquer cette mystérieuse disparition collective.
Arthur s'approche du corps, mais ce dernier est inerte, sans vie. Que s'est-il donc passé ? S'est-il battu pour défendre sa vie ? Pour protéger la fuite de son roi ? Mais battu contre qui ? Contre quoi ? Aucune trace suspecte autour du corps, aucun indice qui pourrait le guider. Le garde est au sol, un peu recroquevillé, comme s'il piquait tout simplement un petit roupillon. Le seul indice, peut-être, c'est ce petit couinement, presque inaudible. Arthur met un genou à terre et se penche sur le corps, pour mieux identifier la provenance de ce sifflement. On dirait plutôt un ronflement, d'ailleurs, un peu comme celui de Marguerite, mais en moins violent.
- Mais... il ronfle ! ? s'écrie Arthur, qui réalise d'un seul coup sa méprise.
Il se redresse et balance, sans ménagement, un coup de pied dans les fesses de cet imposteur. Le garde sursaute et se dresse instantanément, la lance en avant.