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- Ne t'inquiète pas ! dit le roi à Arthur. Elle ne va pas tarder à rentrer et dès qu'elle te verra, tout rentrera dans l'ordre, lui promet le souverain.

Arthur lâche un petit sourire. Il serait évidemment ravi que tout se termine aussi bien, mais quelque chose continue de le tracasser. Si Sélénia est en bonne santé, qui diable a pu écrire un tel message sur le grain de riz ?

Les guerriers bogo-matassalaïs ont fait un feu près du grand chêne, bien décidés à veiller jusqu'au retour du jeune Arthur. Même si la recette des « racines-qui-réduisent » est ancestrale et a montré son efficacité depuis des siècles, le chef a toujours un petit pincement au cœur au moment de l'utiliser. Sûrement à cause de cette histoire terrible que lui a racontée maintes fois son arrière-grand-père, à l'époque où il pouvait encore profiter du soleil.

Cette histoire s'était passée dans les années mille huit cent. L'Afrique était à l'époque le plus beau continent du monde. Son sol regorgeait de richesses et pas encore des poubelles de l'Occident. On vivait sans se soucier du lendemain. On se levait et traversait la savane juste pour le plaisir d'aller dormir à l'autre bout.

À chaque grande lune, le chef des Bogo-Matassalaïs, qui s'appelait à l'époque Cheevas, faisait passer quelques guerriers à travers le rayon, histoire de rendre visite aux Minimoys, leurs frères de sang, et d'entretenir ainsi les liens familiaux qui unissaient ces deux peuples. Malheureusement Cheevas abusait souvent de la liqueur de palmier et il avait de plus en plus de mal à trouver le chemin du grand baobab où se tenait régulièrement le rituel du passage. Un soir, il avait tellement bu qu'il finit par se perdre et les guerriers mirent plus d'une heure à le retrouver, assoupi dans un cactus, à quelques mètres au-dessus de trois coyotes patiemment installés, tels des renards qui attendraient leur fromage. Les guerriers avaient chassé les charognards à l'aide de quelques pierres et tiré leur chef du sommeil.

- Cheevas ?! Le rayon est fermé et les Minimoys nous attendent !! s'était plaint l'un des guerriers.

- Pas de problème, on passera par les racines ! avait répondu le chef qui dessoûlait aussi lentement qu'un ver au galop. Revenu sous le baobab, on ligota trois guerriers qui, une fois rétrécis, furent glissés au fond du bambou. C'est là que le drame arriva. Cheevas sortit la seconde fiole et, malheureusement, prit la mauvaise. Cette dernière était pleine de liqueur de cactus, un truc à vous brûler la gorge à tout jamais. Notre alcool de prunes ferait office de jus d'orange à côté de cette liqueur du diable. On disait même qu'on pouvait se noircir les yeux rien qu'en regardant l'étiquette. Cheevas versa le liquide dans le bambou. Pas quelques gouttes, comme l'indique le grand livre, mais la moitié de la bouteille, à cause de son hoquet qu'il ne parvenait pas à maîtriser. Le bambou s'était mis à trembler dans tous les sens, à fumer par tous les pores, avant de geler sur place, comme un bâton qui aurait perdu son esquimau.

On resta sans nouvelles de ces trois Bogos pendant plusieurs mois. Les guerriers du village étaient fort tristes et Cheevas jura qu'il ne boirait plus jamais une goutte de cette liqueur et que, d'ailleurs, il ne la fabriquerait plus.

Il tint parole quelque temps, mais la légende veut que ses descendants, quelques années plus tard, s'installèrent en Europe, en Ecosse exactement, où ils reprirent la fabrication de cette fameuse liqueur. En hommage à leur illustre ancêtre, ils lui donnèrent son nom.

Quant aux trois guerriers disparus, on retrouva un jour leur trace. Ils avaient erré dans le désert quelque temps, puis s'étaient finalement remis de leur cuite. Ils avaient monté un petit business : un élevage de scorpions. En effet, grâce à cette mauvaise expérience, ils étaient devenus complètement insensibles à tout venin.

Même si cette histoire s'était somme toute bien finie, elle restait un exemple à ne pas suivre qui avait marqué les esprits de ce peuple de fiers guerriers.

Chapitre 15

Le chef actuel, surnommé Pelle-Grino, n'est pas de ce genre-là et sa sobriété est exemplaire. Pas question, pour lui, de se tromper de fiole. Mais ce soir-là, Pelle-Grino est inquiet et il a déjà vérifié une bonne dizaine de fois s'il a bien utilisé la bonne bouteille.

- Ne vous inquiétez pas, chef. Tout va bien se passer. Arthur a suivi nos rites tout l'été. Il fait partie des nôtres maintenant, lui dit calmement l'un des guerriers, dont le visage est rougi par la chaleur du feu de camp.

- Je te remercie pour tes paroles apaisantes, lui répond Grino, avant de se décontracter un peu et d'entamer une nouvelle prière.

Effectivement, Arthur avait passé l'été à apprendre les rites et coutumes de cet incroyable peuple et il possédait maintenant toute la connaissance nécessaire pour faire partie du clan. Il avait aussi subi un entraînement physique des plus intenses et l'on ne comptait plus les soirs où il était monté se coucher sans manger, brisé de fatigue.

Les exercices qu'on lui imposait étaient des plus variés et ne correspondaient pas vraiment à ce qu'on lui faisait faire à l'école, en cours d'éducation physique. Il s'agissait ici de se rapprocher de la nature, de l'animal et de retrouver sa place dans la grande boucle de la vie. L'homme n'avait eu de cesse, depuis quatre mille ans, d'essayer de sortir de cette fameuse boucle. Il voulait absolument maîtriser tout et tout le monde, et surtout pas qu'on lui dise qu'il descendait du singe. C'était évidemment une grande erreur, affirmaient les Bogo-Matassalaïs. L'homme descend autant de l'arbre que du singe. Le baobab est son cousin, la fourmi sa cousine. D'ailleurs, le rapprochement avec les fourmis fut le premier exercice qu'on fit faire à Arthur.

Dès l'aube, il s'était allongé presque nu dans l'herbe, au beau milieu d'un chemin généralement emprunté par les fourmis. Il portait uniquement autour de la taille un petit bout de tissu que le chef matassalaï lui avait confectionné dans un morceau de cuir provenant du célèbre Zabo le zébu. Arthur devait rester sans bouger et attendre que les premières travailleuses arrivent. Evidemment cet obstacle de taille avait semé la panique dans la colonie et il y eut une réunion extraordinaire pour déterminer sur-le-champ s'il fallait contourner l'obstacle ou prendre le risque de le traverser. Faire le tour était fort long et l'on prenait le risque de se perdre. Traverser était donc la solution, même si elle paraissait dangereuse. D'autant plus que les premières fourmis éclaireuses avaient ramené une information essentielle : le corps était vivant.

Que faisait donc cet humain, presque nu comme un ver, allongé dans la nature, à six heures du matin ? Le général en charge de la colonne n'avait pas le temps de répondre à cette question et il déclencha la traversée de cette terre étrangère. La colonne de fourmis grimpa alors sur le pied d'Arthur, remonta le long de sa jambe, passa à côté du nombril puis longea son bras gauche jusqu'à la main qui rejoignait précisément le chemin initial des fourmis.

Arthur dut rester comme ça pendant toute la journée, à servir de pont aérien à près de cent mille fourmis. Le plus dur était de ne pas rire, car toutes ces petites bêtes le chatouillaient en permanence. Arthur fit cet exercice quatre jours de suite, aux quatre coins du jardin. C'est ainsi que naquit cette amitié entre Arthur et les fourmis, qu'il pouvait maintenant appeler ses cousines.

Il y avait un autre exercice qu'Arthur avait tout particulièrement apprécié. Il avait dû se mettre presque tout nu à nouveau et prendre le gros chêne dans ses bras. Il devait rester ainsi toute la journée, jusqu'à ce qu'un oiseau le confonde avec une branche de l'arbre et se pose sur lui. Les premières heures, Arthur s'était copieusement embêté et se sentait plutôt comme une mouche plaquée sur un carreau que comme une branche qui sort d'un chêne. Mais bientôt, il commença à écouter tous ces petits bruits qui venaient de l'arbre. Le bruit de la sève qui monte, des nervures qui poussent et qui s'étirent, de toutes ces feuilles qui hurlent au vent de leur envoyer plus de lumière. Il parvint même à sentir l'énergie solaire qui descendait dans l'arbre, comme du sable dans un sablier.