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- Mourir ? La belle affaire ! lui avait-elle répondu, telle une diva. Elle ajouta qu'elle avait tellement appris de choses durant son voyage qu'elle partirait sans regret. Cette attitude avait un peu déstabilisé Maltazard. À quoi bon faire souffrir un prisonnier si celui-ci est insensible à la douleur ? Mais Maltazard n'était pas devenu le maître de l'ombre par hasard. Il méritait son poste, car son esprit était plus tortueux que les racines d'un arbre millénaire.

- Si tu n'as pas peur de ta souffrance, peut-être auras-tu peur de celle de tes proches ? avait chuchoté Maltazard à travers un sourire machiavélique.

Sélénia ne savait pas encore ce que cela voulait dire, mais un frisson lui avait quand même parcouru le dos, comme si son corps avait compris plus vite que sa tête. Maltazard avait envoyé un message au père de Sélénia, le roi des Minimoys. Il avait gravé lui-même le message sur le dos d'un séide, seul moyen d'être sûr que cet abruti ne le perde pas, et envoyé un deuxième séide, tout neuf, afin qu'on grave la réponse sur son dos.

Le message de Maltazard était une négociation, un échange, une proposition tellement odieuse que le roi tomba trois fois dans les pommes avant d'arriver à la lire jusqu'au bout. Maltazard annonçait qu'il allait tuer sa fille avec lenteur et plaisir. Mais pour se montrer magnanime, il acceptait éventuellement de l'épargner, à une condition : que la reine prenne la place de sa fille. Le roi avait évidemment refusé et tout cassé dans le palais, histoire d'apaiser sa colère. Pendant ce temps, la reine avait calmement fait sa valise, avec une dignité à faire pleurer tout le monde. Elle embrassa tendrement son mari et plongea son regard dans le sien. Il y avait tellement de force et de conviction dans ces yeux-là que le roi n'eut même pas le courage de dire un mot.

- Tu m'as apporté tout ce qu'une femme pouvait rêver pendant plus de deux mille ans. La moindre plainte serait déplacée, avait-elle dit de sa voix si douce.

Puis elle l'embrassa longuement. Toute la vie qu'il y avait encore en elle passa dans ce baiser. Maltazard se contenterait d'une coquille vide. Sélénia n'était évidemment pas au courant de cet odieux chantage, sinon elle aurait probablement donné sa vie pour sauver celle de sa mère. La jeune princesse ne découvrit l'insupportable vérité que le jour où elle regagna son village.

Sa mère avait déjà disparu à jamais entre les griffes de Maltazard. Sélénia s'était effondrée et n'avait rien mangé pendant des mois. Elle avait appris tellement de choses pendant son voyage, mais cette dernière leçon était de très loin la plus dure. En désobéissant à son père, elle avait perdu sa mère. Elle se jura de ne plus jamais désobéir, ni à son père, ni au grand livre qu'elle passa des années à apprendre par cœur, comme si son salut et sa survie en dépendaient.

Un jour de mai, elle tourna la page sept mille deux cent vingt-cinq du grand livre. Une seule phrase y était inscrite : « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » Son auteur était un certain Archibald, un bienfaiteur dont elle avait beaucoup entendu parler. Sélénia n'étant pas morte, elle comprit alors qu'elle était maintenant plus forte. Elle venait d'avoir cinq cents ans, l'âge auquel une petite fille devient officiellement une jeune femme.

Chapitre 20

Arthur regarde Miro qui pleurniche en finissant son histoire. L'enfant est captivé, comme une grenouille devant une mouche. Il réalise seulement maintenant qu'il avait épousé Sélénia sans vraiment la connaître. Certes, leurs premières aventures les avaient rapprochés, mais il ignorait tout de son passé.

- Merci de me raconter tout ça, Miro, dit le garçon. Je comprends mieux, maintenant !

L'idée de perdre ainsi sa mère, de payer aussi cher une si petite faute bouleverse Arthur car lui aussi a désobéi à son père. Il s'est enfui et n'en a fait qu'à sa tête. Un frisson le parcourt. Il n'a pas envie que son aventure se termine aussi mal et que sa petite maman chérie disparaisse à jamais. Arthur se promet de rentrer très vite à la maison. Un bonjour à sa princesse, pour s'assurer qu'elle va bien, et il filera dans la salle des passages pour traverser la lunette, avant que le premier rayon du soleil n'apparaisse, comme le lui a fortement conseillé le chef des Matassalaïs.

- Quelle heure est-il ? demande Arthur.

Miro consulte son sablier.

- Le soleil se lèvera dans exactement cinq minutes ! lui répond la taupe.

Arthur soupire. Il espère évidemment qu'il n'est rien arrivé à la princesse et qu'elle reviendra au plus vite, mais l'idée de ne la voir qu'une minute, après tout ce qu'il vient d'endurer, ne le réjouit vraiment pas. Mais peut-être y a-t-il là aussi une leçon à retenir ? Arthur réfléchit un instant et se dit qu'il aurait pu traverser la terre entière pour l'apercevoir, ne serait-ce qu'une seule seconde. Et même si cette seconde n'arrive jamais, il tournera facilement encore une fois autour de la planète pour tenter à nouveau sa chance. Voilà ce que cette aventure lui a appris : son amour pour Sélénia est entier, pur et sans limite.

Cette pensée le ravit et il se met à sourire.

- Allez ! dit-il en se levant, commençons à nous diriger vers la salle des passages. Ce sera plus raisonnable !

Miro est surpris de le voir d'un seul coup si adulte.

- Voilà qui est sage, Arthur, lui répond-il, un sourire satisfait aux coins des lèvres.

Les deux amis se lèvent, tournent le dos à la porte d'entrée et s'éloignent.

Mais la grande roue de la vie, celle qui règle tout en toute circonstance, a parfois des rouages bien sournois que l'on surnomme « les caprices du temps ». C'est assez poétique comme nom, pour une simple roue à dents, mais plus sympathique que le nom barbare que lui ont donné les hommes : la coïncidence. Ce mot sonnait, aux oreilles des Minimoys, comme un instrument de torture.

« Avoue ton crime où on te passe à la coïncidence ! » se répétaient-ils entre eux, pour illustrer leur vision.

Même dans le grand dictionnaire minimoy le mot n'avait pas bonne réputation puisqu'il se trouvait entre « coincer » et « insidieux », ce qui prouvait bien le peu d'affection qu'on lui portait.

Archibald, il y a quelques années, avait bien essayé de leur expliquer la vraie nature du mot, qui pouvait parfois amener de bonnes choses, rapprocher des familles, ou faciliter des circonstances. Mais le roi et ses conseillers ne voulaient rien entendre. La coïncidence n'existait pas. C'était une notion philosophique et comme l'être humain avait traversé des siècles de barbarie avant de toucher du doigt la philosophie, il était hors de question pour les Minimoys de se taper tout l'âge de pierre pour comprendre le sens d'un mot, si philosophique soit-il.

Quoi qu'il en soit, la grande roue de la vie a programmé le « toc-toc » à la porte d'entrée avec le départ d'Arthur vers la salle des passages. La nature fait donc bien les choses, parce que sinon, quelques secondes plus tard, Arthur n'aurait jamais entendu cet appel et n'aurait donc pas su qui frappait à cette porte.

- C'est Sélénia ! s'écrie Arthur en se raidissant d'un seul coup comme un bambou.

Il est tellement droit qu'il mesure un millimètre de plus. Son visage s'illumine, comme la tour Eiffel à minuit.

- C'est elle ! C'est elle ! J'en suis sûr ! dit-il en bondissant partout, tel un cabri.

Arthur se rue sur la porte et ne prend même pas le temps de jeter un coup d'œil à travers le périscope. Miro s'apprête à lui faire remarquer que c'est l'une des consignes principales de sécurité et qu'il ne faut en aucun cas l'ignorer. Le vieux sage a tellement d'exemples catastrophiques à raconter sur ce sujet qu'il lui faudrait la journée. Mais Arthur ne lui laisse même pas le temps d'ouvrir la bouche. Il se jette sur la barre qui bloque la porte de part en part et la pousse de toutes ses forces.