Il avait aussi fait connaissance avec la mère d'Arthur qu'il trouvait très drôle. Quand elle cherchait un verre, elle ouvrait tous les placards en râlant pour finalement décider de ne plus boire. Pourtant, même lui, en quelques jours, savait où se trouvaient les verres, les assiettes, les couverts et autres ustensiles.
Il savait même où se cachait la petite bouteille de whisky qu'Archibald venait caresser de temps en temps. Maltazard avait enfermé Archibald pendant plus de trois ans dans ses fameuses prisons de Nécropolis et il le regrettait aujourd'hui, car Archibald était un homme bon. Tous les jours il venait réparer un truc dans la cuisine à la demande de Marguerite. Tantôt l'évier qui se bouche, tantôt une porte de placard qui grince. Il aiguisait les couteaux, enlevait le calcaire des machines, réparait le ventilateur et autres modernités qui tombaient régulièrement en panne. Maltazard était fasciné de voir ce petit couple s'entraider de la sorte et cette complicité, qui les rendait joyeux, le bouleversait. Il n'avait jamais eu ce genre de rapport avec qui que ce soit, pas même avec ses parents, puisqu'ils l'avaient abandonné dès sa naissance. L'amour, la complicité, l'amitié, le partage. Tout ceci lui était totalement inconnu et il avait pris depuis longtemps l'habitude de ne rien partager. Il allait donc envahir ce nouveau monde qui le fascinait et en devenir le maître absolu, sans que cela lui pose un problème particulier.
Mais il se fit à lui-même la promesse solennelle que, dès qu'il aurait pris les commandes de son nouveau royaume, il élèverait Marguerite au rang de citoyenne d'honneur et grand chef de la cuisine royale.
En attendant, Maltazard lui avait volé un grain de riz et il l'amena chez le graveur.
Maltazard avait dégoté l'artiste dans un bar de la Cinquième Terre. Le fameux « Stunning rapids bar » que tenait Max. Le graveur était le plus talentueux de la ville et on se l'arrachait à prix d'or pour créer dans la pierre des enseignes alléchantes susceptibles d'attirer le client. Il était donc très pris et son carnet de commandes était plein pour au moins dix lunes. Mais quand l'artiste aperçut Maltazard le maléfique, il aurait gravé n'importe quoi en un temps record.
Son Altesse devait maintenant trouver un messager, et qu'y avait-t-il de mieux qu'une araignée pour livrer rapidement un message ? Il s'adressa donc à la Tarentula-Express Compagnie. C'était évidemment un Toulabah qui tenait la boutique, puisque le dressage était leur spécialité. Il s'appelait Den-Hiro. Sa petite entreprise ne connaissait pas la crise et affichait une prospérité indécente. Il réalisait quatre-vingt-dix pour cent de son chiffre d'affaires dans la Cinquième Terre, grâce aux Koolomassaïs, beaucoup trop feignants pour délivrer eux-mêmes leurs messages.
Notre Toulabah se portait bien et il était d'ailleurs assez surprenant de voir un nomade des Deuxièmes Terres réussir ainsi dans les affaires. Mais au niveau des affaires, il rencontra son maître. Maltazard entra dans le bureau et ne prit même pas la peine de s'asseoir. Il proposa à Den-Hiro un arrangement assez simple : le Toulabah dressait une araignée à porter un message à Arthur et en échange il épargnait la famille de l'animal et la vie du patron. C'était une proposition qu'on ne pouvait refuser et Den-Hiro l'accepta.
- Voilà comment le grain de riz est parvenu jusqu'à toi, mon jeune ami ! dit Maltazard, assez fier de son machiavélisme. Toute cette histoire a fait gagner du temps, mais personne n'en a profité. Ces imbéciles de Minimoys, toujours aussi fleur bleue, se sont tous assis pour écouter le récit avec intérêt. Arthur est furieux. C'est pas comme ça qu'il va sauver sa princesse.
- Assez bavardé ! lance Maltazard en poussant son otage vers la salle des passages. Le soleil va bientôt se lever et j'aimerais être là pour le voir ! ajoute-t-il en ricanant comme une voiture qui tousse.
Maltazard entre dans la fameuse salle des passages, suivi par Arthur, Bétamèche et Miro. Eux seuls sont assez courageux pour oser affronter ce seigneur des ténèbres, qui coupe d'un ongle le cocon du passeur. Le vieil homme tombe au sol, comme une poire trop mûre.
- C'est pas bientôt fini ces va-et-vient ?! lâche-t-il, en râlant comme à son habitude.
- C'est le dernier ! affirme Maltazard en souriant. Après celui-là tu pourras dormir en paix !
Le vieux passeur regarde l'immonde personnage dans les yeux. Il n'est nullement impressionné.
- Tiens ?! Le petit Maltazard ! Ça fait longtemps que je ne t'avais pas vu ! Tu as grandi ! dit-il machinalement. Maltazard n'aime pas les arrogants et encore moins les familiers.
- Oui ! Et je vais grandir davantage ! lance-t-il avec certitude.
- Tu ferais mieux d'aller dormir au lieu de penser à grandir ! T'as vu ta tête ? C'est à toi qu'un bon roupillon ferait du bien ! lui conseille le passeur.
- Tais-toi, vieux fou ! Ou ton sommeil sera éternel !! hurle- t-il, incapable de contrôler sa colère.
Sélénia essaye de profiter de l'occasion pour s'enfuir, mais Maltazard resserre son étreinte autour de la jeune fille, et la lame est à deux doigts de s'enfoncer dans la peau.
- Calmez-vous tous ! crie Arthur à son tour avec une autorité surprenante.
La tension redescend progressivement et même Sélénia s'arrête de gesticuler.
- Si tu veux rejoindre le monde des humains, va ! Mais laisse ici Sélénia ! lui demande Arthur.
Maltazard sourit, ce qui n'est jamais agréable.
- Ne t'inquiète pas, mon jeune ami ! Je n'ai aucune intention d'emmener avec moi cette petite peste ! lui dit Maltazard. Il y en a plein qui m'attendent là-haut et qui seront ravies de me servir !
Il est impossible de faire confiance à un être aussi abject, mais Arthur est certain qu'il dit, pour une fois, la vérité. L'idée de voir Maltazard passer dans le monde des humains ne le réjouit pas, mais si c'est le prix à payer pour sauver son aimée, alors la question ne se pose même pas. Il s'occupera de Maltazard plus tard.
Arthur fait un signe à Miro qui comprend immédiatement ce que l'enfant a en tête.
- Passeur ! Lance la procédure ! dit Miro avec autorité.
Chapitre 21
Les Bogo-Matassalaïs sont tous assis autour du feu, le visage tourné vers la colline derrière laquelle le soleil ne va pas tarder à apparaître. La lunette est toujours là, aussi muette qu'un phare abandonné. Le feu crépite un peu et le chef remarque que les flammes ont changé de couleur. Il passe sa main au-dessus du feu, puis finit par la mettre carrément dans les flammes.
- Le feu ne chauffe plus, s'inquiète Grino, les mauvais esprits sont là et sortent du sol.
Cette terrible nouvelle est accueillie en silence et les Bogo- Matassalaïs se donnent la main afin de former un cercle protecteur, un courant de chaleur pour lutter contre ces ondes glaciales qui montent d'outre-tombe. Les premiers rayons du soleil chatouillent la crête de la colline voisine et envahissent de lumière la forêt de Chanterelle, située à deux kilomètres de la maison. Il ne reste donc plus qu'une minute à Arthur pour rejoindre son monde. Après, il sera trop tard, après il sera bloqué à vie dans le monde des Minimoys. Pourtant ce n'est pas Arthur qui s'apprête à passer, mais bien Maltazard.
Le passeur attrape la dernière des trois bagues, celle de l'âme, et lui fait faire un tour entier. Lorsqu'on connaît Maltazard, on se demande si son âme lui servira à quelque chose là où il va. Arthur est nerveux et n'arrête pas de faire des nœuds avec ses doigts. Bétamèche, pas très courageux, s'est à moitié caché derrière son camarade. Miro est sur le côté et mine de rien fait des petits pas de travers pour se rapprocher du mur. Il prépare assurément quelque chose. Maltazard n'a rien vu, trop excité qu'il est à l'idée de rejoindre ce nouveau monde qui n'a vraiment pas besoin de lui pour aller mal.