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Maltazard se met sur la plaque qui doit le propulser vers la lunette. Il a pris soin de ne pas mettre Sélénia sur la plaque, tout en laissant le couteau sous sa gorge. Son autre main est sur la manette d'éjection. C'est ce qui inquiète Arthur. Il a peur que le scélérat quitte la pièce tout en exécutant sa menace.

Miro est arrivé à ses fins. Il s'est glissé jusqu'au mur sans que personne ne s'en aperçoive. Il a maintenant la main sur le bouton qui commande la pression d'éjection. Il tourne la molette au maximum. Puissance dix.

- Au revoir, petites gens, et au plaisir de vous écraser un jour ! lance Maltazard qui trouve toujours quelque chose de gentil à dire dans des moments pareils.

À la façon dont il replace sa main sur le couteau, il paraît évident qu'il va égorger sa victime avant de partir, histoire de laisser sa signature à l'encre rouge.

Arthur ne sait pas quoi faire et Bétamèche encore moins, mais Miro semble avoir une idée. Il se souvient du petit Maltazard qui n'a pas toujours été le monstre que l'on connaît. L'enfant était particulièrement mauvais à l'école, mais il avait déjà d'énormes capacités physiques. Il était donc adulé par ses camarades dès qu'il mettait les pieds sur un terrain de sport. Avant-centre au pousse-groseille, pilier au passe-olive, meilleur lanceur de tape-noyau, il était aussi le plus rapide à la course, quelle que soit la distance. Mais le sport l'ennuyait car la concurrence était inexistante. « À gagner sans mérite on triomphe sans gloire », avait-il lu dans le grand livre. C'est d'ailleurs la seule chose qu'il avait retenue de ces longues années d'études.

Ce qu'il aimait, plus encore que le sport, c'était les jeux, car ça lui donnait l'occasion de battre intellectuellement les autres. Mais ses capacités n'étaient pas à la hauteur de ses ambitions et, comme il n'était pas question pour lui de perdre, ne serait-ce qu'une seule fois, il trichait allègrement, tout le temps et par tous les temps. Il y avait un jeu qu'il affectionnait plus particulièrement : le jeu du caméléon. C'était pourtant un jeu de tout-petits, mais Maltazard, n'ayant pas eu de parents, se rattrapait avec des enfantillages. Le jeu du caméléon se jouait à deux, face à face. Le premier joueur commandait le deuxième qui faisait le caméléon. C'est-à-dire qu'il devait imiter tout ce que l'autre faisait. Si le premier joueur levait la jambe, le deuxième devait en faire autant, comme un jacadi en minuscule, un « chat- perché-caméléon ».

Ce détail sur la jeunesse de Maltazard va avoir son importance.

- Adieu ! balance Maltazard, comme s'il finissait un vaudeville.

Mais au moment où il s'apprête à appuyer sur le déclencheur et sur la lame, Miro se met à hurler :

- Maltazard ?!

L'affreux sursaute et dévisage Miro.

- Caaa... mééé... léon ! Tête !! lui chantonne Miro en mettant immédiatement ses mains sur la tête.

Dans un geste réflexe totalement inconscient, Maltazard réagit instinctivement à cette musique en mettant ses deux mains sur la tête et en criant :

- Perché !!!

Arthur est alors plus vif que l'épervier, plus rapide que le guépard et surtout plus intelligent que Maltazard. Maintenant que M a les bras en l'air et que Sélénia est dégagée de son étreinte, il se rue sur la manette et éjecte Maltazard, qui disparaît d'un seul coup, littéralement happé par la lunette. C'est du supersonique, du puissance dix, made in Miro. Maltazard a disparu sans laisser de trace. Sauf une, sur la gorge de Sélénia qui vacille. Avant qu'elle ne s'écroule au sol, Arthur la récupère dans ses bras. Miro se précipite et regarde tout de suite la plaie. Rien de bien grave. Juste une légère coupure due à la pression trop longue du couteau sur sa peau fragile. Sélénia revient à elle et sourit enfin à son prince. Elle peut maintenant lui caresser le visage, comme elle rêvait de le faire depuis si longtemps.

- Je suis si contente de te revoir, mon bel Arthur, lui dit-elle avec amour.

Arthur est tellement heureux d'entendre le son de sa voix qu'il en oublie de lui répondre. Sélénia se redresse un peu et le serre dans ses bras.

- J'aimerais ne plus jamais te quitter, lui chuchote-t-elle à l'oreille.

Le visage d'Arthur s'assombrit légèrement.

- Je crois que même si je le voulais... je ne pourrais plus jamais te quitter, dit-il, avec dans sa voix un curieux mélange de bonheur et de tristesse.

La lunette s'est mise à trembler et les Matassalaïs la regardent, comme s'il s'agissait d'un volcan qui se réveille. Le feu s'est éteint d'un seul coup, sans crier gare, sans un coup de main, ni même un coup de vent. Par contre, un coup de tonnerre retentit, dans le ciel d'azur. Ce n'est pas l'orage. Le coup est parti de la lunette, comme un coup de feu. Le chef a bien vu passer quelque chose, qui a été expulsé de la lunette, mais c'était bien trop rapide pour qu'on puisse dire ce que c'était. Archibald sort de la maison, affolé.

- Qu'est-ce que c'est ?! Des coups de feu ?! demande-t-il, en donnant de la voix pour être entendu.

Le chef bogo montre la lunette du bout de l'index et semble bien incapable de fournir toute autre explication. Armand et sa femme arrivent à leur tour sur le devant de la porte.

- Vous ne devriez pas rester ici, Archibald ! J'ai entendu le ciel gronder. Il ne va pas tarder à pleuvoir et vous allez attraper mal ! lui dit gentiment son gendre, en le prenant par les épaules. Archibald aimerait bien le traiter de bougre d'âne et lui montrer le ciel tout bleu, mais il lui faudrait alors expliquer la véritable provenance du coup de tonnerre, et Archibald n'est pas sûr que cela soit vraiment une bonne idée.

- Tu as raison, mon bon Armand ! Rentrons ! Tu vas m'aider à faire un feu, lui répond donc le grand-père pour éviter tout problème.

Pendant ce temps, le soleil est au pied de la lunette et remonte inexorablement le long de la colonne. La terreur se lit sur le visage des guerriers, mais la dignité les empêche de l'exprimer. Ils aimeraient crier, hurler, courir dans tous les sens pour trouver une solution, mais il n'y a rien à faire, juste à se plier une nouvelle fois aux caprices de la grande roue de la vie qui avait ainsi décidé des événements. Le rayon de soleil arrive jusqu'au petit bout de la lorgnette et brise définitivement le rayon de la dixième lune.

Arthur est maintenant prisonnier de son corps, prisonnier de la terre et il a sûrement le sentiment de payer très cher sa désobéissance.

Maltazard, dans sa jeunesse, avait lui aussi passé l'épreuve de la nature, imposée par le grand conseil des Minimoys, comme par celui des Matassalaïs. Il avait d'ailleurs remporté les épreuves en un temps record qui forçait à tel point l'admiration que son nom fut inscrit sur une feuille de palmier et glissé dans le livre des records. Il avait particulièrement été remarqué lors de son saut final où il avait plané comme un oiseau pendant fort longtemps.

Mais tout cela n'est rien à côté du bond quasi spatial qu'il vient d'accomplir avant de se gaufrer. Miro, en mettant la manette sur maximum, l'a projeté à plus de trois kilomètres. Maltazard a hurlé pendant tout le trajet, car il ne supporte pas l'altitude. Il a d'ailleurs le vertige, même si son rang de divinité l'a toujours empêché de l'avouer. Les rares personnes qui l'ont vu paniquer face au vide et appeler sa mère (alors qu'il ne la connaît même pas) ne sont plus là pour raconter l'histoire. Maltazard les a, à chaque fois, égorgées lui-même, prétextant une insulte faite à Sa Grandeur.

Il n'a donc pas eu le loisir d'admirer le paysage puisqu'il a gardé les yeux fermés pendant toute la durée du vol. Tous ceux qui ont vu à la télé un spoutnik atterrir dans le désert de Gobi n'auront aucun mal à imaginer l'atterrissage de Maltazard. L'impact a été sec et violent car il est tombé sur le seul caillou qui dépassait dans la clairière.