- On essayait de venir à bout d'une abeille récalcitrante qui nous a finalement échappé, mais c'est sans importance maintenant : j'ai repéré l'essaim et les pompiers vont venir demain pour nous en débarrasser ! explique le père d'une traite.
Archibald le regarde un instant. Un regard si froid que personne n'aimerait le voir se poser sur lui.
- Mon cher Armand, permettez-moi, sans mauvais esprit de ma part, de vous rappeler que vous êtes ici chez moi, et ce jusqu'à la barrière qui longe la route en contrebas. Et ce « chez moi » inclut évidemment les arbres et toutes les plantes qui ont la gentillesse d'y pousser, ainsi que tous les animaux, abeilles comprises, qui me font l'honneur d'y séjourner !
Le message a le mérite d'être clair et le père a beau chercher, il ne trouve rien à répondre.
La mère déplie la serviette qu'elle avait mise sur le radiateur plus par habitude qu'autre chose puisque qu'il est fermé depuis fin avril et ne chauffe absolument rien ni personne. Mais il faut avouer que maman n'a pas toute sa tête. Tous ces petits tracas de la journée, ces ponts, ces trains, ces fourmis, ces abeilles l'ont perturbée. Arthur ferme le robinet de la douche et fonce dans la grande serviette que sa mère tient grande ouverte. Elle l'enrobe d'un geste généreux, comme seules les mamans savent le faire, et commence à le frictionner avec tendresse.
- Regarde-moi ça ! soupire la mère en regardant les peintures de guerre encore collées sur le visage de son fils.
- C'est pas des peintures de guerre. C'est les codes de la nature pour chasser les mauvais esprits, avant de rejoindre les Minimoys, explique Arthur avec enthousiasme.
La mère met un peu de crème sur un bout de coton et commence à le démaquiller.
- C'est quoi cette histoire de Minimoys ? C'est encore tes lutins, là ? demande la mère qui visiblement ne croit aucune de ces histoires à dormir debout.
- Ce soir, c'est la pleine lune. La dixième. Le rayon va alors s'ouvrir pendant une minute et je pourrai rejoindre Sélénia, chuchote-t-il à l'oreille de sa mère sur le ton de la confidence. Ne dis rien à papa, je t'en supplie... je sais qu'il voulait partir demain, mais ne t'inquiète pas je serai de retour pour le petit déjeuner, se sent-il obligé de préciser.
Sa mère le regarde comme s'il venait de lui parler tibétain.
- Où as-tu l'intention d'aller ? tient à se faire préciser la mère.
- Ben, chez les Minimoys, dans le jardin, répond Arthur avec une simplicité déconcertante.
- Aaah ?!! lâche la mère, soulagée de comprendre qu'il ne s'agit que d'une histoire d'enfant, un jeu dans lequel il venait gentiment de l'inviter.
Il pouvait bien aller où il voulait du moment qu'il ne sortait pas du jardin.
- Promis, je ne dirai rien à ton père, lui répond-elle, complice.
- Oh ! Merci, maman ! lâche-t-il avec candeur en jetant ses bras autour du cou de sa gentille maman.
Les parents sont toujours surpris par les élans de tendresse que seuls les enfants sont capables de donner. La mère serre doucement son fils contre elle et le berce comme quand il était petit.
- Ton père s'est fait piquer par une abeille aujourd'hui, raconte la mère pour continuer la conversation.
- Il a essayé de la tuer. Elle n'a fait que se défendre, rétorque Arthur sans éprouver aucune inquiétude pour son père.
Sa mère marque un temps de réflexion. Elle vient apparemment de comprendre le tour de magie, ou comment une abeille traverse un verre sans l'opération du Saint-Esprit.
- C'est toi qui as libéré l'abeille ? questionne la femme. Arthur n'a pas le courage de mentir à sa mère, qui se montre si compréhensive depuis quelques minutes.
- Si quelqu'un t'agressait, je te défendrais de la même façon, répond intelligemment Arthur.
- C'est gentil, mon chéri, mais là, en l'occurrence, tu as libéré une bête féroce ! explique la mère, aussi convaincante qu'un arracheur de dents qui vous explique que cela ne fera pas mal.
- L'abeille ? Une bête féroce ?! Maman ! ? s'indigne Arthur, comme pour réclamer un peu de sérieux dans la conversation.
- Oui, féroce ! Car elle peut te faire aussi mal qu'un lion ou un rhinocéros ! Une simple petite piqûre et c'en est fini des aventures d'Arthur ! sermonne la mère, qui, pour une fois, n'est pas loin de la vérité.
Mais Arthur n'a pas peur. Malgré son jeune âge, il sait déjà que les êtres les plus dangereux sont les hommes. C'est un concours que cet affreux bipède gagne régulièrement depuis, justement, qu'il tient sur ses deux jambes. Jamais un animal, si féroce soit-il, ne lui arrive à la cheville en la matière. On n'a jamais vu, par exemple, un animal en dépecer un autre pour s'en faire un manteau. Quoi qu'il en soit, Arthur comprend l'inquiétude de sa mère, qui a peur pour son petit. C'est bon d'ailleurs de voir sa maman s'inquiéter. On se sent tellement plus fort.
- T'inquiète pas maman, je ferai attention, lui dit Arthur en lui caressant le visage, comme si elle avait quatre ans. Tu sais, je suis très populaire là-bas, chez les Minimoys. Les gens m'accueillent à bras ouverts, ils pensent que je suis un futur roi.
Sa mère lui sourit en guise de réponse.
- Moi, je sais bien que je suis encore qu'un petit garçon, mais quand je suis là-bas, je me sens si fort, presque invincible ! confie-t-il à sa mère qui l'écoute, de l'amour plein les yeux. Je pense que c'est Sélénia qui me rend fort comme ça. Elle est tellement belle et intelligente. Elle ne renonce jamais et elle est tellement courageuse ! Le regard d'Arthur est un peu vague, son corps s'est ramolli. Voilà des signes qui ne trompent pas une mère.
- Tu ne serais pas un peu amoureux d'elle, par hasard ? lui demande-t-elle gentiment.
- Maman ! s'insurge Arthur, elle est beaucoup plus vieille que moi ! Elle a mille ans !
- Ah ?! répond la mère, un peu perdue dans le décompte.
Il lui faudrait une table de conversion.
- C'est drôle, quand je suis ici je mesure un mètre dix et je me sens petit, alors que quand je suis là-bas, je mesure deux millimètres et je me sens très grand ! explique Arthur avec honnêteté.
Sa mère a de plus en plus de mal à suivre, il lui manque trop de paramètres.
- Tellement grand que je ne crains rien ni personne, pas même Maltazard ! continue-t-il sur sa lancée, avant de réaliser qu'il vient de prononcer le mot interdit, le nom qui réveille la terreur, les trois syllabes bannies à jamais du grand livre des Minimoys. Neuf lettres qui, dès qu'on les prononce, provoquent le malheur.
- Oups ! laisse échapper Arthur, regrettant déjà son erreur. Mais le malheur est déjà à la porte et l'ouvre sans frapper. Une silhouette étrange en contre-jour, un visage rongé par la souffrance. Cela aurait pu être Maltazard, mais ce n'est qu'Armand, un sac à dos sur les épaules, le visage toujours aussi boursouflé, comme une pomme qu'on aurait oubliée dans le four.
- Préparez vos affaires, on s'en va ce soir ! dit le père sans détour.
Arthur et sa mère sont aussi surpris l'un que l'autre.
- On devait partir demain ? dit Arthur, pris de panique.
- Oui, eh bien, il y a un changement de dernière minute et c'est comme ça ! De toutes façons, il y aura moins de monde sur la route à cette heure-ci et nous serons moins incommodés par la chaleur.
- C'est pas possible papa ! Pas ce soir ! supplie Arthur, au bord des larmes.
- Ça fait deux mois que tu es en vacances, Arthur ! Et toute bonne chose a une fin ! Je te rappelle que tu reprends l'école dans trois jours ! répond le père, aussi catégorique qu'une pendule.
- Pas ce soir, balbutie l'enfant, totalement désemparé.
La mère ressent sa détresse et, même si elle ne croit pas une seule seconde à toutes ces histoires de Minimoys, ni à cette princesse Sélénia de mille ans son aînée, elle décide de venir en aide à son fils.