« C'est pas un trésor comme ça qu'on cherche, cannibale ! C'est un vrai trésor ! », s'exclame Arthur avant de jeter l'os et d'entamer un nouveau trou.
La grand-mère s'est changée. Elle se passe un peu d'eau sur le visage et se regarde un instant dans la glace. Elle dévisage cette vieille femme épuisée par le malheur, dont le cœur saigne depuis trop longtemps. Elle a de la peine pour cette femme et semble se demander comment elle fait pour être encore debout.
Elle lâche un long soupir, s'arrange légèrement les cheveux et lance un sourire à ce reflet complice. La porte du bureau d'Archibald s'ouvre lentement. La grand-mère fait quelques pas à l'intérieur et contemple ce lieu, véritable pièce de musée.
Elle décroche délicatement un masque africain et le regarde un instant.
Son regard croise celui de son mari, figé sur la toile.
« Je suis désolée, Archibald, mais nous n'avons plus guère le choix », dit-elle à son mari, avec amertume.
Elle baisse les yeux et quitte la pièce, le masque africain sous le bras.
Arthur est au fond d'un nouveau trou et ressort un nouvel os. Alfred baisse les oreilles et prétend ne pas être au courant. « Tu as dévalisé une boucherie, c'est pas possible ?! », lui lance Arthur, exaspéré.
La grand-mère sort de la maison, le masque emballé dans du papier journal pour ne pas affoler son petit-fils. « Je... Je dois faire une course en ville », dit-elle, mal à l'aise.
- Tu veux que je vienne avec toi ? répond poliment l'enfant.
- Non, non ! Continue à creuser, c'est bien ! On ne sait jamais.
Elle monte avec empressement dans la vieille Chevrolet et démarre.
- Je ne serai pas longue ! hurle-t-elle à cause du moteur toujours aussi bruyant.
La voiture s'éloigne dans un nuage de poussière.
Arthur reste un peu perplexe devant l'empressement subit de sa grand-mère mais le devoir l'appelle et il se remet à creuser.
Chapitre 4
Le pick-up roule au pas au milieu de la grande ville. Rien à voir avec le charmant village où la grand-mère fait régulièrement ses courses. Il s'agit d'une vraie métropole. Les boutiques étalent leurs vitrines aux yeux des centaines de curieux qui déambulent. Tout ici semble plus beau, plus grand, plus riche.
La grand-mère se redresse, histoire d'être à la hauteur. Elle s'arrête devant un magasin et sort de son sac une carte de visite. Elle vérifie que l'adresse est bien la bonne et pénètre dans la petite boutique d'antiquités. Petite par sa vitrine, mais le magasin semble s'allonger à n'en plus finir. Des centaines d'objets et meubles en tous genres et de tous les âges s'entassent en quantités. Des faux dieux romains en pierre côtoient des vraies vierges mexicaines en bois, de vieux fossiles traînent au milieu des vases en porcelaine comme une incitation au massacre. Les vieux livres reliés en cuir fréquentent de simples romans de gare et semblent bien cohabiter malgré leurs différences d'âge et de langage.
Derrière son comptoir, le propriétaire lit le journal. Moitié antiquaire, moitié prêteur sur gages, l'homme n'inspire pas la confiance.
À l'approche de la vieille femme, il ne daigne même pas lever les yeux de sa lecture.
« Puis-je vous renseigner ? », lâche-t-il comme une ancienne habitude.
La grand-mère ne l'avait même pas vu, au milieu de tout ce fouillis.
- Excusez-moi, dit-elle en exhibant nerveusement la petite carte de visite. Vous étiez passé chez nous, il y a quelque temps, nous disant que... si un jour on voulait se débarrasser de vieux meubles ou de bibelots...
- Oui, c'est fort probable, répond-il, un peu vague.
Vu les milliers de cartes qu'il a dû distribuer dans toute la campagne, comment se souvenir de cette pauvre femme ?
- Voilà, j'ai... un objet qui vient d'une collection personnelle, bredouille la grand-mère. J'aurais aimé savoir si cela avait une certaine... valeur.
L'homme pose son journal en soupirant et chausse nonchalamment ses lunettes. Il faut dire qu'il a passé sa journée à évaluer des soi-disant trésors qui n'avaient aucune valeur. Il défait le papier journal et prend le masque dans ses mains.
- Qu'est-ce que c'est ? Un masque de carnaval ? dit-il, visiblement pas amateur.
- Non. C'est un masque africain. Celui-ci appartient au chef de la tribu des Bongo-Matassalaï. Il est unique, dit la grand-mère avec fierté et respect, non sans cacher son amertume de devoir se séparer d'un aussi beau souvenir.
L'antiquaire semble intéressé.
- 1,50 €, lâche-t-il avec assurance.
On imagine le désastre s'il n'avait pas été intéressé. La grand-mère a le souffle coupé.
- 1,50 € ?! Mais ce n'est pas possible ! C'est une pièce unique, d'une valeur inestimable qui...
L'antiquaire ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase.
- 1,80 €. C'est tout ce que je peux faire, concède-t-il. Ce genre d'objet exotique se vend très mal en ce moment. Les gens veulent du pratique, du concret, du moderne. Désolé. Vous n'avez rien d'autre à offrir ? La grand-mère est un peu perdue.
- Si... Peut-être... Je ne sais pas, bredouille-t-elle. Qu'est-ce qui se vend le mieux en ce moment ?
L'antiquaire a enfin le sourire.
- Sans hésiter ?.. Les livres !
Arthur jette sa pelle. Il est découragé. Alfred, lui, est joyeux et pose devant un tas d'os. Le jardin ressemble maintenant à un champ de mines.
Arthur se sert un grand verre d'eau au robinet de la cuisine et le boit d'une traite. Il souffle un coup, regarde le jour qui tombe à travers la vitre et s'en ressert un autre. Il entre dans la chambre de la grand-mère, récupère la clef accrochée au lit à baldaquin et se dirige vers le bureau du grand-père.
Il entre doucement, son verre d'eau à la main. Il allume une des belles lampes vénitiennes et s'assied au bureau. Il regarde longuement le portrait de son grand-père qui, malgré son sourire, reste désespérément muet. « Je ne trouve pas, Grand-père ! finit par lancer Arthur, un peu dépité. J'arrive pas à croire que tu as caché ce trésor dans le jardin sans laisser un mot quelque part, un indice, quelque chose pour qu'on puisse le retrouver. Ça ne te ressemble pas. » La peinture sourit toujours. Archibald est toujours muet. «... À moins que je n'aie pas bien cherché ? », se demande Arthur, incapable pour l'instant d'avouer sa défaite. L'enfant attrape le premier livre au-dessus du bureau et commence à l'éplucher.
En quelques heures, Arthur a feuilleté presque tous les livres et les a entassés sur le bureau. La nuit est définitivement tombée et il a des crampes un peu partout.
Il termine par le livre que lui lisait sa grand-mère la veille. Il revoit le dessin des Matassalaï, puis celui des Minimoys. Il saute quelques pages et tombe sur un dessin beaucoup plus inquiétant.
C'est une ombre maléfique, comme un corps décharné, vaguement humain.
Le visage n'a pas d'expression, seuls deux points rouges font office de regard.
Un frisson parcourt Arthur, des pieds à la tête. C'est de loin ce qu'il a vu de plus laid dans sa courte vie. Sous le dessin de la créature de l'ombre, on peut lire, écrit à la main :
« MALTAZARD LE MAUDIT ».
Dehors, dans la pénombre, deux yeux jaunes se faufilent sur les crêtes. Il s'agit d'une camionnette banalisée qui perce la nuit de ses phares puissants. Guidé par la pleine lune, le véhicule s'engage dans les lacets qui mènent à la maison. Arthur tourne précipitamment les pages, afin d'oublier au plus vite cette vision de cauchemar et ce maudit Maltazard. Il tombe sur le dessin de Sélénia, la princesse Minimoy. Le voilà réconforté. Il caresse le dessin du bout des doigts et s'aperçoit que celui-ci est mal collé.