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- Simon ?! Laisse tranquille le mari de Madame !! Il ne t'a rien fait ! plaisante l'antiquaire. Excusez-le. Sa capacité musculaire est malheureusement inversement proportionnelle à sa capacité intellectuelle, lance-t-il comme une plaisanterie.

Il saisit le tableau et le tend à la vieille femme.

- Tenez. Prenez-le Madame. Cadeau de la maison ! a-t-il l'audace d'ajouter.

La porte arrière de la camionnette est grande ouverte et les deux costauds empilent les derniers cartons. Arthur est vautré sur le canapé du salon et observe sa grand-mère sur le pas de la porte en train de finir sa négociation avec l'antiquaire.

L'homme termine de compter les billets et met la liasse dans la main de la femme.

« 300 €. Tout rond ! », annonce-t-il fièrement. La vieille femme regarde la liasse avec tristesse.

- C'est peu d'argent pour trente ans de souvenirs.

- C'est un acompte, assure le boutiquier. Si je vends l'ensemble, vous avez une plus-value d'au moins dix pour cent !

- ... Merveilleux ! répond la Mamie, dépitée.

- La grande foire a lieu dans dix jours. Si vous changez d'avis, vous pouvez toujours venir les récupérer ! précise l'antiquaire.

- C'est bien aimable, lance-t-elle gentiment.

Elle ouvre la porte d'entrée pour laisser partir l'antiquaire et se retrouve face à un petit homme en costume gris, accompagné par deux policiers.

Pas la peine d'être détective pour comprendre que l'homme en costume est un huissier.

« Madame Suchot ? », demande poliment l'homme de loi, même si le ton de sa voix ne laisse aucune ambiguïté sur le but de sa visite.

- Oui ? s'inquiète la Mamie.

L'un des deux officiers de police tente de la rassurer en lui envoyant un petit geste amical. C'est Martin, l'officier qu'elle croise régulièrement quand elle va au supermarché. L'homme en gris enchaîne. « Frédéric de Saint-Clair. Huissier de justice. » L'antiquaire sent les embrouilles et préfère filer à l'anglaise. « À bientôt très chère madame. J'étais ravi de faire affaire avec vous ! », lance-t-il en souriant et décampant. L'huissier a l'œil naturellement attiré par la liasse de billets que la Mamie tient dans sa main.

« Je... je tombe à pic, je vois ! dit-il d'une voix mieux huilée qu'un compteur. Il exhibe une lettre : j'ai une demande de recouvrement à votre encontre pour un impayé sur travaux, sur la personne d'Ernest, Victor-Emmanuel Davido. Pour un montant de 185 € majoré de six pour cent de pénalités de retard ainsi que le recouvrement des frais de procédure. Soit un total de 290 €. »

Rien, dans sa voix, ne laisse espérer une quelconque négociation.

La grand-mère regarde son paquet de billets et le lui tend, comme un automate.

L'huissier l'attrape, un peu étonné de n'avoir à livrer aucune bataille.

« Vous permettez ? », dit-il en commençant à recompter les billets à une vitesse hallucinante.

Arthur regarde la scène de son canapé. Il ne semble ni inquiet, ni étonné. Simplement dégoûté. Il a compris depuis quelques heures qu'on a précipité sa Mamie dans une spirale dont elle n'échappera pas.

« Sauf erreur de ma part... Il manque 3 € », lâche l'huissier.

- Je ne comprends pas, je... Il y avait 300 € ! s'étonne la grand-mère.

- Vous voulez recompter ? demande-t-il poliment, sûr de lui. Il y a peu de chances qu'il ait fait une erreur. C'est comme un croque-mort, s'il vous dit que son client est mort, on peut lui faire confiance.

La grand-mère est accablée. Elle secoue légèrement la tête.

- Non, je ne crois pas... Vous devez avoir raison.

Dans son camion qui traverse la nuit, l'antiquaire paraît satisfait.

« Voilà une bonne petite affaire, rondement menée », confie-t-il à ses acolytes, hilares.

L'antiquaire plonge sa main dans sa poche.

« Voyons ce que ce petit monstre essayait de nous cacher. »

Il sort le papier qu'Arthur lui a donné à contre-cœur et le déplie avec un lent plaisir. Il s'agit de la liste des courses du supermarché.

Chapitre 5

Dans le salon, Arthur déplie à son tour son papier. Il s'agit du dessin de la princesse Sélénia qu'il a subtilement échangé. Arthur caresse le dessin, comme son seul espoir. L'huissier poursuit son affaire :

« Malgré la faible somme due, la loi est la loi. Je vais donc procéder à la saisie du bien pour recouvrer la créance à hauteur de 3 € », annonce-t-il.

Il y a deux points communs entre l'huissier et le pit-bull, ils ne lâchent jamais leur prise, et ils ont le même sourire devant la souffrance.

Martin, le gentil officier, se sent un peu obligé d'intervenir.

« Écoutez, la somme restant due est très faible, on peut quand même lui donner quelques jours pour payer, non ? », dit-il avec bon sens.

L'huissier semble un peu embarrassé.

- J'aimerais bien, mais... Le jugement précise un acquittement immédiat et total de la somme. Si je n'applique pas le jugement à la lettre, je risque d'être sanctionné.

- Je comprends, dit gentiment la Mamie, dont la bonté est décidément sans limite. Allez-y, faites votre travail, ajoute-t-elle en s'écartant pour lui laisser le passage.

L'huissier se sent d'un seul coup tout penaud, et hésite à entrer. Ça ne dure pas longtemps et il s'avance, mais le gentil policier l'arrête dans son élan.

« Attendez ! dit-il en sortant son portefeuille. Voilà... 3 €, le compte est bon ! », finit-il en tendant l'argent. L'huissier se sent tout bête, et ça fait toujours bizarre quand on est le dernier à s'en rendre compte.

- C'est... C'est pas exactement la procédure mais... vu les circonstances, j'accepte !

La Mamie est au bord des larmes, mais la dignité contrôle tout ça.

- Merci Officier, je... Je vous rembourserai dès que... Dès que je le pourrai !

- Ne vous inquiétez pas Madame Suchot, je suis sûr que lorsque votre mari sera de retour, il trouvera le moyen de me dédommager, dit-il avec une extrême gentillesse.

- J'y veillerai, lui répond la grand-mère, trop émue pour soutenir son aimable regard.

Le policier attrape l'huissier par l'épaule et l'entraîne.

- Allez, vous avez assez travaillé pour aujourd'hui ! On va rentrer maintenant.

L'huissier n'ose pas le contredire.

- Madame, mes respects, prend-il le temps de dire avant de se faire embarquer.

La grand-mère ferme doucement la porte et reste là un moment, un peu abasourdie.

Le téléphone sonne, juste à côté d'Arthur. Il décroche sans entrain.

« Allo ? Arthur chéri ? C'est Maman ! Comment ça va ? », siffle la voix dans le combiné.

- Ça va super ! répond Arthur, sarcastique. Mamie et moi, on est en super-forme !

La grand-mère revient dans le salon et fait des grands signes à son petit-fils, qu'on pourrait traduire par : « Ne leur dis rien ».

- Qu'est-ce que tu as fait de beau ? se renseigne machinalement sa mère.

- Du rangement ! lance Arthur. C'est fou le nombre de vieilles choses qui ne servent à rien et qu'on peut entasser dans une maison. Mais grâce à Mamie, on a tout jeté !

- Arthur, s'il te plaît, ne les affole pas ! chuchote la grand-mère. Arthur fait mieux que ça. Il raccroche.

- Arthur ?! Tu as raccroché au nez de ta mère ?! s'offusque la grand-mère.

- Mais non. Ça a raccroché tout seul ! explique-t-il en se dirigeant vers l'escalier.

- Mais où vas-tu alors ? Reste là, elle va rappeler dans la minute.

Arthur s'arrête au milieu de l'escalier et dévisage sa grand-mère.

- Ils ont coupé la ligne, Mamie ! Tu ne vois pas ce qu'il se passe ? Tu es tombée dans un piège. Un piège qui toutes les heures se resserre un peu plus. Mais je ne me laisserai pas faire. Moi vivant, ils n'auront pas cette maison !