D'un seul coup, le haut d'une échelle vient s'interposer à l'autre bout de la lunette.
Arthur n'en croit pas ses yeux. Il quitte l'œilleton et regarde la terre autour de lui. Non, il n'a pas la berlue. Il y a bien une échelle au bout de sa lunette, une échelle qui ne doit pas mesurer plus d'un millimètre.
Arthur visse à nouveau son œil sur la lunette. L'échelle tremble un petit peu, comme si quelqu'un était en train de la gravir.
Arthur retient son souffle. Un petit bonhomme apparaît au bout de l'échelle et pose ses mains sur l'énorme lentille. C'est un Minimoy.
Arthur est en état de choc. Même dans ses rêves les plus fous, il n'aurait pas cru cela possible. Le Minimoy met ses mains en casquette pour tenter d'apercevoir quelque chose.
Il a des oreilles pointues, deux yeux comme des billes toutes noires et des taches de rousseur un peu partout sur le visage. En un mot comme en cent, il est craquant et il s'appelle Bétamèche.
Chapitre 8
Le Minimoy finit par discerner quelque chose, qui, de son point de vue, n'est qu'un œil énorme. « Archibald ? », demande le petit homme avec appréhension. Arthur n'en revient pas. Cette petite chose est douée de parole.
- Euh... non, répond-il, abasourdi.
- Présente-toi ! lui rappelle le guerrier Matassalaï. Arthur reprend ses esprits et se souvient de sa mission et du temps qui lui est imparti.
- Je... Je suis son petit-fils et... je m'appelle Arthur.
- J'espère que tu as une bonne raison, Arthur, pour utiliser le rayon comme ça, prévient le Minimoy. C'est formellement interdit par le conseil. Sauf en cas d'urgence.
- C'est un cas d'extrême urgence, lance l'enfant, d'une voix tonitruante. Le jardin va être détruit, rasé, ratiboisé ! Dans moins de deux jours, il n'y aura plus de jardin, plus de maison, et donc... plus de Minimoys.
Bétamèche s'affole un peu.
- Qu'est-ce que tu me racontes, mon garçon ? Serais-tu un petit plaisantin, comme ton grand-père ? lance-t-il voulant se rassurer.
- C'est pas des blagues. C'est un entrepreneur. Il veut raser le terrain et construire des immeubles ! lui explique Arthur.
- Des immeubles ?! questionne Bétamèche, avec un air horrifié. C'est quoi des immeubles ?
- Des grandes maisons en béton qui recouvrent tous les jardins, lui répond Arthur.
- Mais c'est horrible !! lance Bétamèche, avec une expression de terreur.
- Oui, c'est horrible ! insiste Arthur, et la seule façon d'éviter ça, c'est que je puisse retrouver le trésor que mon grand-père a caché dans le jardin. Je pourrai ainsi payer l'entrepreneur et rien de tout cela n'arrivera !
Bétamèche est évidemment d'accord.
- Très bien ! Parfait ! Voilà une très bonne idée ! concède le Minimoy, délivré.
- ... Pour que je puisse trouver le trésor, il faudrait que je puisse passer dans ton monde ! précise Arthur au Minimoy qui ne semble pas avoir fait la déduction.
- Ah oui ! Mais ça c'est impossible ! lui répond Bétamèche. On ne peut pas passer comme ça ! Il faut réunir le conseil, il faut leur expliquer le problème, après ils doivent délibérer et... Arthur le coupe sèchement : « Dans deux jours, il n'y aura plus de délibération, parce qu'il n'y aura plus de conseil, parce que vous serez tous morts ! »
Bétamèche se fige. Il vient de comprendre l'importance de la situation.
Arthur jette un œil au chef africain pour s'assurer qu'il n'y a pas été trop fort.
Le chef lève son pouce, signe qu'il a bien fait. « Comment tu t'appelles ? », lui demande Arthur en remettant son œil à l'œilleton.
- ... Bétamèche, lui répond le Minimoy.
Arthur prend une voix solennelle : « Bétamèche, l'avenir de ton peuple est entre tes mains. »
Le Minimoy se met à tourner sur lui-même, affolé par tant de responsabilité.
« Oui, bien sûr. Entre mes mains. Il faut agir », se répète-t-il à voix basse.
Il gesticule tellement qu'il finit par tomber de son escabeau. « Il faut prévenir le conseil ! Mais le conseil est déjà réuni pour la cérémonie royale ! Je vais me faire lyncher si je perturbe la cérémonie royale ! »
Bétamèche se parle à lui-même, à voix haute. Il fait toujours cela quand il cherche une solution.
- Dépêche-toi, Bétamèche. Le temps presse, lui rappelle Arthur.
- Oui. Bien sûr. Le temps presse, se répète le Minimoy, de plus en plus affolé.
À force de tourner en rond, il a le vertige. Il s'arrête une seconde, puis part en courant dans un boyau, sorte de tunnel à taupe à peine plus haut que lui.
- Le Roi sera fier de moi ! Mais je vais ruiner la cérémonie ! Il va me haïr ! ressasse Bétamèche qui court à toutes jambes dans son tunnel.
Le chef des Bongo-Matassalaï s'approche d'Arthur et lui sourit. « Tu t'es bien défendu, mon garçon. »
- J'espère que ça suffira pour les convaincre ! répond Arthur, un peu inquiet.
Bétamèche court toujours au fond de son tunnel. Bientôt il déboule dans une salle immense, véritable grotte à même la terre.
Son village est là. Plus d'une centaine de maisons, faites de bois et de feuilles, de racines entremêlées, de champignons creusés, de fleurs séchées.
Souvent, des racines tressées servent de passerelles et relient les maisons entre elles.
Bétamèche s'engage dans la grande avenue, totalement déserte à cette heure-ci.
On en découvre d'autant mieux l'architecture. Un peu baroque, définitivement écolo, c'est un tissu végétal incroyable, un patchwork à taille humaine qui utilise tout ce qui existe dans la nature. Certains murs sont en terre séchée, d'autres en tiges de pissenlit serrées les unes contre les autres, en palissades.
Les feuilles séchées servent généralement de toit, mais d'autres ont préféré des copeaux de bois, posés comme des tuiles. Des petits murets, en écailles de pommes de pin, séparent souvent les maisons.
Bétamèche remonte l'avenue à toute allure, éclairé par les fleurs à boules lumineuses régulièrement plantées et qui font office de réverbères.
L'avenue débouche sur la place du conseil. Il s'agit d'un immense amphithéâtre à la romaine creusé dans la terre, formant un demi-cercle face au palais royal. Le peuple Minimoy au grand complet s'est donné rendez-vous sur cette place et Bétamèche doit maintenant fendre la foule s'il veut atteindre le conseil.
Il joue un peu des coudes, s'excuse à tours de bras et finit par se retrouver au bord de l'arène.
« Oh là, là ! En pleine cérémonie ! Je vais me faire tuer !! », se dit-il à voix basse pour ne pas perturber le silence général. Au centre de la place vide, la pierre des Sages, qui retient en son cœur l'épée magique.
L'arme est magnifique. Un acier finement ciselé et gravé de mille insignes. Mais la moitié seulement en est visible. L'autre partie est comme soudée dans la pierre. Devant l'édifice, un Minimoy a mis un genou à terre, la tête humblement penchée vers la pierre sacrée. On ne voit pas son visage absorbé par la prière, mais quelques détails dans son costume laissent penser qu'il s'agit d'un guerrier.
Des lacets lui enserrent les pieds jusqu'aux mollets. À la ceinture, différents coutelas en dents de souris et des petites bourses en peau de grains de maïs. Pas de doute, il s'agit d'un guerrier.
« Oh là, là ! On est en plein dedans ! », s'inquiète Bétamèche. La porte du palais s'ouvre solennellement. Il s'agit d'une porte immense qui mange une bonne partie de la façade du palais.
Il faut quatre Minimoys pour l'ouvrir entièrement tant elle est lourde et massive.