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Arthur a raison, pendant trois secondes. Puis une tronçonneuse monstrueuse vient trancher la paille, à ras de Sélénia qui se met à hurler.

C'est l'horreur dans le compartiment. Les éclats pètent de partout et le bruit est insupportable. La paille est amputée, à ras du petit accordéon situé à ses deux tiers. Nos trois héros fuient à quatre pattes à l'autre bout, mais la créature a avancé d'un bond et les oblige à faire demi-tour. Nos héros se retrouvent dans l'accordéon, au bord de l'eau, au bord de la fin.

La créature tronçonne à nouveau, à ras de l'accordéon. Elle détache cette petite partie boudinée qui cache nos trois amis et qui semble être la seule partie qui l'intéresse.

Nos trois Minimoys sont terrorisés. Collés dans les bras les uns des autres, comme des Mül-müls. La créature est toujours debout sur l'accordéon à rayures. On ne voit toujours que le dessous de ses pieds. Mais quelque chose a dû l'interpeller, car on distingue maintenant l'empreinte de ses genoux, puis de ses mains. Elle s'est mise à quatre pattes. Sa tête apparaît à l'envers, dans l'ouverture de la paille. La créature a de longues nattes tressées de coquillages qui pendent dans le vide.

C'est un Koolomassaï. On dirait Bob Marley en version Minimoy.

L'homme relève ses lunettes de protection, observe un instant nos trois héros terrorisés et finit par lâcher un grand sourire qui dévoile ses belles dents blanches. Comme il a la tête en bas, son sourire est à l'envers et Arthur n'est pas sûr du signal.

« Qu'est-ce que vous faites là-dedans ? », questionne le Koolomassaï, hilare.

Sélénia hésite à répondre, surtout en voyant, au loin, un moustik s'approcher.

- Si les séides nous trouvent, on n'aura pas le plaisir de vous l'expliquer ! lui dit Sélénia sans humour.

Le Koolomassaï a compris le message.

- Un problème ? lance le séide qui vient de stabiliser son moustik au-dessus de ce qui reste de la paille.

- Non. Rien de spécial. Je regardais juste s'il n'était pas abîmé, répond l'employé avec nonchalance.

- Il n'y a que les tubes qui nous intéressent, cette partie-là ne nous intéresse pas, dit le séide en parlant de l'accordéon.

- Ça tombe bien ! Nous, il n'y a justement que cette partie qui nous intéresse ! Comme ça, on ne risque pas de se fâcher ! ajoute le travailleur avec humour.

Mais le séide n'aime pas l'humour, d'une façon générale.

- Dépêche-toi. Le maître attend, conclut le séide, dont la patience et l'intelligence semblent limitées.

- No problemo ! lance le Koolo. Bougez pas, chuchote-t-il à Arthur, je reviendrai vous chercher !

Puis il disparaît en sautant d'une paille à l'autre.

- Dépêchez-vous, le maître attend ! hurle le Koolo à ses camarades dispersés sur les autres pailles qui flottent sur le lac. Les travailleurs accélèrent pour montrer leur bonne volonté, mais le cœur n'y est pas. Un peu comme ces chauffeurs de taxi qui ralentissent quand vous êtes pressé.

Le Koolo se sert de sa perche pour guider les longs tubes vers un autre cours d'eau. Au passage, il sépare les accordéons et les pousse vers la rive. Nos trois amis ont suivi le conseil du Koolo et n'ont pas bougé.

Une espèce de grue, faite de bois et de lianes, attrape le petit morceau de paille boudiné et le jette au milieu d'un panier immense. L'accordéon tombe au milieu d'une vingtaine d'autres, une vraie récolte.

Le panier est accroché sur le dos d'un énorme insecte. C'est un gamoul, une espèce de scarabée très résistant qui sert souvent de mule. L'animal est aussi très utilisé dans les expressions populaires telles que « aussi têtu qu'un gamoul » ou encore (et c'est ici le cas) « chargé comme un gamoul ».

- Où sommes-nous ? s'inquiète Arthur.

- Sur le dos d'un gamoul. Pour l'instant ils nous cachent.

- Ils nous cachent pour mieux nous trahir ! lance Bétamèche. Comment peux-tu faire confiance à un Koolomassaï ! Ce sont les plus grands menteurs et baratineurs des sept terres réunies !

- S'il voulait nous trahir, il l'aurait déjà fait ! réplique Sélénia avec bon sens. Je pense qu'on va nous emmener dans un lieu sûr.

Chapitre 16

Une trappe métallique s'ouvre à flanc de coteau. Le gamoul se penche en arrière et s'apprête à vider le contenu de sa hotte dans un trou noir qui ressemble étrangement à une poubelle.

« C'est ça ton endroit sûr ? », lance Bétamèche, inquiet pour la suite des événements.

Les dizaines d'accordéons tombent dans le trou noir en un chaos impressionnant. On n'ose même pas imaginer dans quel état vont finir nos héros.

Les accordéons roulent sur un sol un peu sombre, et finissent par s'immobiliser. Plus rien ne bouge. Le silence revient. L'inquiétude aussi.

« Il a dit de ne pas bouger. Alors on bouge pas et on attend qu'il vienne nous chercher ! », lance Sélénia avec autorité. Un bras automatique attrape d'un seul coup l'accordéon et le remet à la verticale, posé sur sa base. Aussitôt le morceau de paille s'éloigne sur un tapis roulant. Nos amis ne savent plus comment se tenir, tellement ils sont sans arrêt chahutés. Le bras mécanique continue son travail et aligne tous les accordéons sur le tapis qui les entraîne.

Un peu plus loin, une autre machine vient encastrer une boule lumineuse au centre de chaque accordéon, comme une couronne intérieure. Nos héros évitent de justesse de se faire « couronner » à leur tour.

L'accordéon a maintenant une lumière orangée en son milieu et l'on commence à comprendre l'utilisation qui va être faite de ces objets.

Une dernière machine attrape les morceaux de paille et les accroche sur un câble qui s'éloigne et laisse découvrir cette magnifique guirlande jalonnée de lampions à rayures. Le câble avance toujours et vient délimiter le cercle d'une piste de danse. Il s'agit en fait d'un trente-trois tours, posé sur un vieil électrophone faisant office de bar et de dancing. La lumière chaude des lampions donne au lieu une ambiance plus feutrée et sûrement plus propice aux rencontres. Il y a d'ailleurs de nombreuses petites tables prévues à cet effet. Vers la droite, le bras de l'électrophone, le saphir et le D.J. Vers la gauche, le bar immense est en pleine activité. La moitié des clients sont évidemment des séides de l'Armée royale.

Arthur et ses amis observent cette étrange boîte de nuit, toujours agrippés à l'intérieur de leur lampion. « Je ne vais pas tenir longtemps comme ça », précise Arthur, épuisé.

- Tu veux vraiment descendre ? demande Sélénia en pointant, du bout de son nez, un nouveau groupe de séides qui pénètre dans le bar.

- ... Je vais tenir encore un petit peu ! répond Arthur, après réflexion.

Le Koolomassaï arrive sur la piste de danse par une porte de service. Il est suivi par son chef, plus grand, plus costaud et coiffé de plus de dreadlocks.

Le Koolo lève le nez et observe les lampions un par un, à la recherche des fugitifs. Ils sont plutôt faciles à repérer, on les voit en transparence, agrippés à la paroi dans des positions grotesques.

- C'est bon ! Vous pouvez sauter ! leur dit le Koolo en souriant.

Arthur tombe aussitôt sur la piste, tellement il n'en peut plus. Il se relève un peu embarrassé, et Sélénia lui tombe dans les bras, suivie par Bétamèche qui tombe dans ceux de sa sœur. Arthur reste une seconde comme ça, ces deux colis dans les bras, à sourire bêtement. Puis ses jambes flageolent et les trois s'écroulent à terre.

- C'est ça les trois mercenaires que les séides cherchent partout ? demande le balaise, un peu sceptique.

- Je... Je devais être un peu stone, avoue le Koolo.

- Tu sais que c'est la racine qu'il faut fumer, pas l'arbre entier ?!