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Quand la Mamie rejoint Arthur à la caisse, il est déjà en train de vider le chariot sur le petit tapis roulant. Quoi de plus amusant, en effet, que de jouer au petit train, alternant pâtes et dentifrice, sucre et shampoing aux pommes. La grand-mère jette un coup d'œil à la caissière qui semble être dans le coup.

La jeune femme en blouse la rassure d'une petite mimique. Un paquet de pailles passe, l'air de rien. « Tu as tout trouvé ? », lui demande la Mamie.

- Oui, oui, lui répond Arthur, absorbé par les aiguillages.

Un deuxième paquet de pailles passe sous le nez de la grand-mère.

- J'avais peur que tu ne puisses pas lire mon écriture.

- Non. Pas de problème. Et toi, tu as trouvé ce que tu cherchais ?

Panique chez la grand-mère. Mentir à un enfant est parfois la chose la plus difficile au monde.

- Euh... Oui... Non. En fait... C'est pas prêt. La semaine prochaine peut-être, balbutie-t-elle en remplissant nerveusement les premiers sacs de paquets de paille.

Troublée par son mensonge, il lui aura fallu attendre le sixième paquet de cent pailles pour qu'elle daigne enfin réagir :

- Arthur ? Mais... qu'est-ce que tu vas faire avec toutes ces pailles ?

- Tu m'as dit autant que je voulais, non ?

- Oui, enfin... C'était une façon de parler, bredouille-t-elle.

- C'est le dernier ! lance-t-il afin de couper court à la conversation et de donner une chance à son hold-up de passer. La grand-mère cherche ses mots. La caissière prend l'air désolé, n'ayant reçu aucune consigne particulière en matière de pailles.

La vieille Chevrolet, encore plus fatiguée qu'à l'aller, vient se garer à proximité de la fenêtre de la cuisine. Ce sera plus facile pour effectuer le transbordement des vivres. Arthur commence à accumuler les paquets sur le rebord de la fenêtre.

Aider sa grand-mère est un geste naturel chez notre jeune héros, mais il semble aujourd'hui pressé d'en finir. Le devoir l'appelle ailleurs. La Mamie a capté le message.

« Laisse, mon chéri. Je vais le faire. Va jouer pendant qu'il fait encore jour. »

Arthur n'aura pas la politesse d'insister. Il saisit son sac plein de pailles et part en courant et en aboyant. Non, là c'est Alfred qui court derrière pour, partager sa joie. Cet empressement n'est pas pour déplaire à la grand-mère, qui va pouvoir maintenant sortir son paquet mystérieux et le cacher tranquillement à l'intérieur de la maison.

Arthur allume le long néon qui crépite un peu avant d'éclairer l'ensemble du garage.

Comme un rituel, l'enfant saisit une fléchette près de la porte et l'envoie à l'autre bout de la pièce. La flèche se plante en plein dans le mille de la cible.

« Yes ! », hurle-t-il en faisant mouliner ses bras en signe de victoire.

Puis il se dirige vers l'établi, largement occupé par un ouvrage.

Il s'agit de plusieurs bambous soigneusement découpés dans le sens de la longueur et dont chaque partie a été percée de multitudes de petits trous.

Arthur déchire son sac de pailles avec enthousiasme, puis dépiaute un à un les paquets de pailles. Il y en a de toutes sortes, de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Arthur hésite pour choisir la première, tel un chirurgien qui choisirait son scalpel.

Il en prend finalement une et tente de l'emboîter dans le premier petit trou fait dans l'un des bambous. Le trou est légèrement trop petit. Qu'à cela ne tienne, Arthur sort immédiatement son petit couteau suisse et rabote l'intérieur du trou. La deuxième tentative est un franc succès et la paille s'emboîte à la perfection.

Arthur se retourne vers son chien, seul témoin privilégié de cet instant mémorable :

« Alfred, tu vas assister au plus grand réseau d'irrigation de toute la région, s'enorgueillit-il. Plus grand que celui de César, plus perfectionné que celui de Papy, voici... le réseau Arthur ! »

Alfred en bâille d'émotion.

Arthur-le-bâtisseur traverse le jardin, son immense bambou percé d'une dizaine de pailles à l'épaule. La grand-mère, toujours occupée à ranger les courses, le voit passer à travers les fenêtres de la cuisine. Elle cherche un instant un commentaire à faire, ne comprenant pas ce qu'elle vient de voir passer, mais elle se contente finalement de hausser les épaules.

Arthur dépose délicatement son bambou sur des petits trépieds bricolés à cet effet. Le tout au-dessus d'une tranchée soigneusement aménagée.

Au fond de la tranchée, par espaces réguliers, des petites pousses d'un vert tendre qu'on appelle communément des radis. Arthur fonce jusqu'au garage, récupère le tuyau d'arrosage et le déroule.

Ça tombe bien, il ne demandait que ça.

Arthur, sous l'œil inquiet d'Alfred, pire que celui d'un contremaître, raccorde le tuyau d'arrosage au bout du premier bambou à coups de pâte à modeler de toutes les couleurs, évidemment.

Il tourne ensuite son bambou jusqu'à ce que les pailles viennent se placer au-dessus de chaque pousse. « C'est le moment le plus délicat, Alfred, le réglage doit se faire au millimètre si l'on ne veut pas risquer l'inondation ou la destruction totale de la récolte », dit-il d'une voix retenue, comme s'il manipulait des explosifs. Alfred s'en fout des radis et il revient avec sa bonne vieille balle de tennis qu'il lâche en plein sur une jeune pousse. « Alfred ! C'est vraiment pas le moment ! hurle Arthur. Et puis d'abord, pas de civil sur le chantier ! », ajoute-t-il avant de prendre la balle et de l'envoyer le plus loin possible. Alfred pense évidemment que le jeu vient de commencer et il part, ventre à terre, à la poursuite de sa proie imaginaire. Arthur a fini son réglage et court jusqu'au robinet, vissé au mur du garage.

Le chien revient, la balle dans son museau, mais son maître a disparu.

Arthur pose la main sur le robinet et l'ouvre religieusement. « À la grâce de Dieu ! », lâche-t-il avant de partir en courant le long du tuyau, afin d'arriver avant le filet d'eau. Dans sa course, il croise le chien qui vient à sa rencontre. Alfred semble complètement perdu par cette nouvelle variante du jeu.

Arthur se jette à terre, puis suit à quatre pattes le filet d'eau qui se déverse dans le bambou, rebondit mollement sur les parois de bois et coule dans les pailles une par une. Chaque jeune pousse de radis se trouve ainsi agréablement rafraîchie.

Alfred pose sa balle, très intrigué par cette machine qui fait pipi sur toutes les fleurs.

« Hourra ! », lance Arthur en attrapant la patte de son chien pour le congratuler.

- Bravo ! Toutes mes félicitations ! C'est un ouvrage remarquable qui restera dans l'histoire, croyez-moi ! se félicite-t-il en donnant la parole à son chien.

La grand-mère apparaît sur le perron, un tablier autour de la taille.

« Arthur ? Téléphone ! », hurle-t-elle, comme à son habitude. Arthur lâche la patte de son chien.

« Excusez-moi. Probablement le Président de la Compagnie des eaux qui m'appelle pour me féliciter. Je suis à vous dans un instant. »

Chapitre 2

Arthur a pris tellement d'élan en arrivant dans le salon qu'il parvient, sur les patins, à traverser la pièce en une seule et même glissade.

Il attrape le téléphone et s'engloutit à moitié dans le profond canapé.

« J'ai fabriqué un système d'irrigation comme César ! Mais moi, c'est pas pour faire des salades ! C'est pour faire pousser les radis de Mamie ! Et comme ça, ils vont pousser deux fois plus vite ! », hurle-t-il au téléphone, sans avoir même pris le temps de savoir qui est son interlocuteur. Mais il est quatre heures et comme tous les jours, c'est forcément sa mère.