Le ciel vient de se laisser peindre en orange. Le soleil, quant à lui, essaye de rouler le long de la colline, comme sur cette merveilleuse gravure qu'Arthur caresse du bout des doigts.
C'est une savane africaine, baignée d'une lumière de fin de jour.
On pourrait presque en ressentir la chaleur.
Arthur est dans son lit, le cheveu bien lisse qui sent la pomme, et un grand livre en cuir sur les genoux.
C'est ce livre qui, tous les soirs, l'accompagne au pays des songes.
La Mamie est à côté de lui et semble particulièrement émue par la gravure.
« Tous les soirs, nous avions le droit à ce spectacle merveilleux. Et c'est précisément devant ce paysage que ta maman est venue au monde », raconte la grand-mère. Arthur boit ses paroles.
« Pendant que j'accouchais, sous une tente, ton grand-père était dehors et il peignait ce paysage. » Arthur sourit, amusé par son grand-père.
- Mais qu'est-ce que vous faisiez en Afrique ? demande naïvement l'enfant.
- J'étais infirmière. Ton grand-père, lui, était ingénieur. Il construisait des ponts, des tunnels, des routes. Nous nous sommes rencontrés là-bas. Nous avions les mêmes envies. L'envie d'aider et de découvrir ces gens merveilleux que sont les Africains.
Arthur tourne délicatement la page et passe à la suivante. C'est un dessin en couleurs. Une tribu africaine au grand complet, à moitié nue, bardée de colliers et d'amulettes. Ils sont tous longs et fins. Sûrement des cousins lointains des girafes, tellement ils sont gracieux.
- C'est qui ceux-là ? demande Arthur, fasciné.
- Les Bogo-Matassalaï, lui répond sa Mamie. Ton grand-père s'était lié d'amitié avec eux, pour leur incroyable histoire.
Il n'en fallait pas plus pour exciter la curiosité d'Arthur.
- Ah bon ? Quelle histoire ?
- Pas ce soir, Arthur. Demain peut-être, lui répond la Mamie déjà bien fatiguée.
- Allez ! S'il te plaît Mamie ! insiste Arthur en faisant son mignon.
- Il faut encore que je range toute la cuisine, se défend la Mamie. Mais Arthur est plus malin que la fatigue.
- S'il te plaît, juste cinq minutes... Pour mon anniversaire ! dit-il d'une voix à charmer un cobra.
La grand-mère ne peut résister davantage.
- Une minute, pas plus, finit-elle par concéder.
- Pas plus ! jure Arthur, honnête comme un dentiste.
La Mamie s'installe un peu plus confortablement, imitée aussitôt par son petit-fils.
- Les Bogo-Matassalaï étaient tous très grands et à l'âge adulte, aucun d'eux ne mesurait moins de deux mètres. Ce n'est pas toujours facile à vivre d'être aussi grand mais ils disaient que la nature les avait faits comme ça et qu'il y avait forcément, quelque part, un complément, quelqu'un qui compensait, un frère qui vous amène ce que vous n'avez pas et inversement.
Arthur est captivé. La Mamie se sent portée par son public.
- Les Chinois appellent ça le Yin et le Yang. Les Bogo-Matassalaï, eux, lui ont donné le nom de : « Frère-nature ». Et pendant des siècles, ils ont cherché leur moitié, celle qui leur amènerait enfin l'équilibre.
- Et ils ont trouvé ? s'inquiète immédiatement Arthur, trop pressé pour laisser la place à un quelconque suspense narratif.
- Après plus de trois cents ans de recherches dans tous les pays d'Afrique... Oui, confirme la grand-mère. C'était une autre tribu qui, comble de la dérision, vivait juste à côté de la leur. À quelques mètres à peine, pour être précise.
- ... Comment c'est possible ? s'étonne Arthur.
- Cette tribu s'appelait les Minimoys et avait la particularité de mesurer... à peine deux millimètres !
La Mamie tourne la page et l'on découvre cette fameuse tribu, posant à l'abri d'un pissenlit.
Arthur en est bouche-bée. Jamais encore il n'avait eu vent de ces histoires merveilleuses, le grand-père préférant souvent le récit pharaonique de ses grands chantiers. Arthur passe d'une page à l'autre, comme pour mieux apprécier leur différence de taille.
- Et...ils s'entendaient bien ? s'inquiète-t-il.
- À merveille ! assure la grand-mère. Chacun s'aidait dans les travaux que l'autre ne pouvait pas faire. Si l'un coupait un arbre, l'autre en exterminait la vermine. Les infiniment grands et les infiniment petits étaient faits pour s'entendre. Ils avaient, ensemble, une vision unique et entière du monde qui les entourait.
Arthur est fasciné, presque ivre. Il tourne la page suivante et découvre une petite créature qui va bouleverser son cœur d'enfant.
Deux grands yeux bleus sous une mèche rousse et rebelle, une bouche de pamplemousse, un regard aussi espiègle que celui d'un jeune renard et un petit sourire à faire fondre le plus dur des esquimaux.
Arthur ne sait pas encore qu'il vient de tomber amoureux. Il a, pour l'instant, seulement senti une boule de chaleur dans son ventre et un souffle différent, parfumé, entrer dans ses poumons.
La grand-mère le regarde du coin de l'œil, tellement heureuse d'assister à cette merveilleuse naissance. Après s'être raclé la gorge, Arthur parvient tout de même à dire quelques mots.
« C'est... C'est... C'est qui ? », bégaye-t-il.
- C'est la fille du roi des Minimoys. La princesse Sélénia, dit la Mamie simplement.
- Elle est belle, laisse échapper Arthur, avant de se reprendre. Je veux dire... Elle est bien... l'histoire... Elle est incroyable !
- Ton grand-père était citoyen d'honneur des Bogo-Matassalaï. Il faut dire qu'il a tellement fait pour eux : les puits, les réseaux d'irrigation, les barrages... Il leur a même appris à utiliser les miroirs pour communiquer entre eux et transporter de l'énergie, détaille la grand-mère avec une certaine fierté. Et quand ce fut le moment pour nous de partir, pour le remercier, ils ont offert un sac rempli de rubis, plus gros les uns que les autres.
- Ouah ! s'exclame Arthur.
- Mais ton grand-père n'avait que faire de ce trésor. Celui qu'il désirait était bien différent, confie la grand-mère. Il voulait le secret qui permettait de rejoindre les Minimoys. Arthur est en arrêt. Il jette un coup d'œil sur le dessin de la princesse Sélénia, puis revient sur sa Mamie.
- Et... et ils lui ont donné ? demande-t-il, l'air de rien, alors que la réponse pourrait changer toute sa vie.
- Je ne l'ai jamais su, répond la grand-mère, apparemment sincère. La grande guerre a éclaté, je suis rentrée en Europe et ton grand-père est resté là-bas pendant toute la guerre. J'ai été durant six ans sans aucune nouvelle de lui, confie-t-elle. Ta mère et moi étions persuadées qu'on ne le reverrait jamais. Brave comme il était, il y avait de fortes chances qu'il soit mort au combat, conclut-elle.
Arthur attend la suite avec impatience.
- Et puis un jour, j'ai reçu une lettre avec une photo de la maison et une demande en mariage. Tout ça en même temps !
- Et alors ? demande Arthur tout excité.
- Alors... Je me suis évanouie ! C'était un peu trop, tout d'un coup ! avoue la grand-mère.
Arthur éclate de rire en imaginant sa grand-mère les quatre fers en l'air, une lettre à la main.
- Et après, qu'est-ce que t'as fait ?
- Eh bien... Je l'ai rejoint. Et je l'ai épousé ! dit-elle, comme une évidence.
- Il est vraiment trop fort, Grand-père ! lance Arthur. La Mamie s'est levée et a refermé le livre.
- Oui ! Et moi décidément trop faible ! Les cinq minutes sont largement dépassées. Au lit !
Elle ouvre largement les couvertures afin qu'Arthur puisse y glisser ses jambes.
- J'aimerais bien, moi aussi, aller chez les Minimoys, confie-t-il en tirant la couette jusqu'à son cou. Si Grand-père revient un jour, tu crois qu'il me confiera son secret ?