- Non merci. Que voulez-vous encore ? s'inquiète la vieille femme. »
- Je voulais m'excuser. J'ai fait une erreur hier soir et je voulais la réparer, dit-il d'un ton qui laisse planer l'équivoque. En tout cas, le double sens.
Davido sort à nouveau un papier de sa poche et l'exhibe sous le nez de la grand-mère.
- Voilà qui est réparé ! Le papier est signé en bonne et due forme.
Il prend une pince à linge et affiche la lettre sur le fil.
- Vous n'avez pas perdu de temps ! lui concède la grand-mère, écœurée.
- Oh, ce n'est qu'un concours de circonstances, dit-il avec désinvolture. J'allais à la messe, comme tous les dimanches matins, et voilà que je tombe nez à nez avec le gouverneur !
- Vous allez à la messe le dimanche ? Je ne vous y ai pourtant jamais croisé ! répond la grand-mère, implacable.
- Je reste souvent au fond, par humilité, je m'étonnais d'ailleurs de ne pas vous y voir, répond-il. J'ai, par contre, croisé le maire, qui m'a confirmé mon acte de vente. Davido a sorti une nouvelle lettre qu'il accroche sur le fil, à côté de la précédente.
- J'y ai croisé aussi le notaire, qui a validé l'acquisition, dit-il en attachant une autre lettre. Également, le banquier et sa charmante épouse, qui ont transféré votre dette à ma charge. Une quatrième lettre vient sécher à la suite des autres.
Pendant ce temps, Arthur a commencé son escalade sur la face nord du réservoir.
Alfred surveille d'en bas et n'a pas l'air rassuré.
Davido a continué d'épingler des lettres. Il en est à la neuvième. «... Le géomètre, qui a authentifié le tracé cadastral, poursuit-il, sans relâche. Et enfin le préfet, qui a contresigné l'acte d'expulsion sous quarante-huit heures. » Il affiche fièrement la dixième et dernière lettre :
- Et il y en a dix ! Mon chiffre porte-bonheur ! lance-t-il avec un certain plaisir. Le plaisir de la vengeance.
La grand-mère est dépitée, abasourdie, proche de l'effondrement.
- Voilà. Maintenant, à moins que votre mari ne réapparaisse dans les quarante-huit heures, cette maison sera la mienne.
- Vous êtes sans cœur, monsieur Davido, finit par lâcher la grand-mère, écœurée.
- Faux ! Je suis plutôt d'une nature généreuse, c'est pour cela d'ailleurs que je vous ai offert une belle somme pour cette malheureuse bicoque ! Mais vous n'avez rien voulu savoir !
- La maison n'a jamais été à vendre, monsieur Davido ! semble rappeler la grand-mère pour la centième fois.
- Vous voyez que vous y mettez de la mauvaise volonté ! répond-il cyniquement.
Arthur se hisse en équilibre au bord de l'immense citerne à moitié pleine.
La balle de tennis flotte paisiblement à la surface. Arthur s'est transformé en cascadeur pour l'occasion. Il serre ses jambes autour de la paroi en bois et se tend de tout son long pour essayer d'attraper la balle.
Alfred commence à couiner. C'est drôle comme les animaux sentent les drames arriver.
Un craquement. Petit. Presque ridicule, mais il suffit pour précipiter Arthur au fond de la cuve. Alfred part au petit trot, la queue entre les jambes, soudainement appelé pour une autre mission.
« Pourquoi tenez-vous tant à ce petit bout de terrain et à cette misérable maison ? interroge la Mamie.
- C'est sentimental. Ce terrain appartenait à mes parents, répond froidement l'homme d'affaires.
- Je le sais bien. C'est précisément vos parents qui l'ont généreusement offert à mon mari pour tous les services qu'il a rendus à la région. Vous voulez aller contre la volonté de vos parents disparus ? questionne la grand-mère. Davido est mal à l'aise.
- Disparus ! Voilà le bon mot. Eux aussi ont disparu, comme votre mari, et m'ont laissé seul ! s'énerve Davido.
- Vos parents ne vous ont pas abandonné, cher enfant, ils sont morts à la guerre, précise gentiment la Mamie.
- Le résultat est le même ! répond-il, agressif. Ils m'ont laissé seul et c'est donc seul que j'entends mener mes affaires ! Et si après-demain, à midi, votre mari n'a pas signé ce papier et payé sa dette, je serai dans l'obligation de vous expulser, que votre linge soit sec ou pas !
Davido lève le menton, tourne les talons et tire un drap pour marquer sa sortie théâtrale. Il tombe nez à nez avec Arthur, trempé de la tête aux pieds.
L'homme d'affaires laisse échapper un gloussement : celui de la dinde quand elle apprend qu'elle est invitée pour Noël. « Vous devriez le mettre à sécher lui aussi ! », glisse-t-il d'un ton moqueur.
Arthur se contente de l'assassiner du regard.
Davido s'éloigne vers sa voiture, toujours gloussant ce qui, vu la taille de son postérieur, le rapproche davantage encore du dindon.
Il claque la portière, laisse rugir les chevaux et fait patiner les roues afin de créer un épais nuage de poussière qui propulse la voiture à une dizaine de mètres. Le petit bolide fait quelques tonneaux, roule légèrement en marche arrière et tombe dans une bouche d'égout.
Davido lâche les chevaux et traverse le jardin, suivi de son épais nuage qui vient se coller sur tout le linge à sécher, Arthur et sa grand-mère sont couverts de poussière ocre. Épuisée par tant de contrariétés, la grand-mère s'assied sur les marches du perron.
« Mon pauvre Arthur, je crois bien que cette fois-ci, je n'arriverai pas à stopper ce rapace de Davido », lâche-t-elle désolée.
- Je croyais que c'était un ami de grand-père, avant ? questionne Arthur en s'asseyant à côté de sa grand-mère.
- Au début il l'était, avoue-t-elle. Quand nous sommes arrivés d'Afrique, Davido n'avait d'yeux que pour ton grand-père ! Un vrai pot de colle ! Mais Archibald ne lui a jamais fait vraiment confiance et il avait bien raison.
- On va devoir quitter la maison ? s'inquiète Arthur.
- J'en ai bien peur, concède la pauvre femme.
Arthur est assommé par la nouvelle. Comment va-t-il pouvoir vivre sans son jardin, terrain de tous ses jeux, seul refuge à sa solitude. Il doit trouver une solution.
- Et le trésor ? Les rubis offerts par les Matassalaï ? lance-t-il, plein d'espoir.
La grand-mère montre le jardin.
- Il est là, quelque part.
- Tu veux dire... Le trésor est caché dans le jardin ? s'étonne Arthur.
- Tellement bien caché que j'ai eu beau creuser partout, je n'ai jamais pu le retrouver, avoue la grand-mère.
Arthur est déjà debout. Il attrape la petite pelle qui dort le long du mur et s'en va au milieu du jardin.
- Qu'est-ce que tu fais, mon chéri ? s'inquiète la grand-mère.
- Tu crois que je vais rester les bras croisés pendant quarante-huit heures en attendant que ce vautour nous vole notre maison ? répond Arthur, motivé. Je vais le trouver, moi, ce trésor !
Arthur enfonce sa pelle avec énergie dans un petit carré d'herbe et commence à creuser comme un bulldozer. Alfred a l'air ravi de ce nouveau jeu et l'encourage de quelques aboiements.
La grand-mère ne peut s'empêcher de sourire. « Tout le portrait de son grand-père », reconnaît-elle. C'est en se tapant sur les genoux qu'elle réalise à quel point elle est couverte de poussière.
Elle se lève avec difficulté et rentre dans la maison, probablement pour se changer.
Quelques gouttes de sueur perlent déjà sur le front d'Arthur qui en est à son troisième trou.
Soudain, sa pelle semble trouver quelque chose de dur. Alfred aboie, comme s'il sentait quelque chose. L'enfant se jette à genoux et continue à creuser à la main. « Si tu as trouvé le trésor, tu es vraiment le meilleur chien du monde ! », concède Arthur à son chien qui ressemble à un avion tellement il bat de la queue. Arthur pousse un peu plus la terre, passe sa main le long de l'objet et l'arrache du sol. Alfred est fou de bonheur. Normal, c'est un os.