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Il se releva.

- Tous les indicateurs sont bons pour votre grossesse. Pas de sucre ni d'albumine dans les urines, aucune carence ni maladie sanguine. Ça va bien se passer, j'en suis certain.

Une fois qu'elle se retrouva seule, elle se mit à pleurer de joie.

Un bébé, dans son ventre. Un petit être qu'elle avait souhaité plus que tout au monde se développait secrètement depuis presque deux mois.

Lorsque Sharko rentra dans la chambre, il se précipita vers elle, pensant qu'il s'était passé quelque chose de grave.

- Je suis enceinte, Franck ! De huit semaines ! Je le savais ! Tu vois, je le savais ! La veille de Noël !

Sharko resta quelques secondes sans réaction, complètement sonné. Lucie vint s'écraser contre lui et l'étreignit de toutes ses forces.

- Tu vois qu'on y est arrivés ? Notre bébé...

Le commissaire n'arrivait pas à comprendre. Huit semaines ? Comment cela était-il seulement possible ? Il se rendait chez le spécialiste depuis plus de trois mois. Et, depuis plus de trois mois, ses spermatozoïdes avaient décidé de faire grève. Avait-il pu y avoir une possibilité, même infime, pour que ça fonctionne néanmoins ?

- Lucie, je...

Je dois te dire... Ce que tu me dis là, ce n'est pas possible. Enfin si, c'est possible, mais...

Finalement, la joie écrasa le reste de ses sentiments, et il se laissa aller, lui aussi. Ses yeux s'embuèrent. Alors, ça y était, il allait être de nouveau papa. Sharko, papa... Ça lui paraissait bizarre, improbable. Il se vit au bord du berceau, puis serrant un biberon chaud dans ses grosses mains, assis en pleine nuit dans son appartement. Il entendait déjà les petits bruits perçants.

Maintenant, plus que jamais, il ressentit l'envie de protéger Lucie.

Il fallait que rien ne lui arrive. Qu'allait-il se passer quand ils rentreraient dans la capitale ? L'enfer risquait de recommencer. Sharko se battit intérieurement pour faire durer ce moment de joie. Il essaya de chasser de sa tête les horreurs que venait de lui raconter Bellanger.

Lucie n'avait pas besoin de savoir ce qu'on faisait à ces enfants. Pas maintenant.

Sharko s'écarta un peu d'elle et la regarda dans les yeux.

- À partir de ce soir, on doit penser au bébé, fit-il. Je veux bien que tu m'accompagnes à Tcheliabinsk, mais tu ne vas pas à Ozersk. Tu resteras bien au chaud dans un hôtel en m'attendant, d'accord ? Là-bas, il y a encore de la radioactivité. Il ne faut courir aucun risque.

Lucie hésita, puis finit par prononcer ce qu'elle n'aurait jamais cru possible quelques heures auparavant :

- Très bien.

Ils s'étreignirent encore. Sharko enfouit son visage dans le cou de sa compagne.

- Lucie, il y a quelque chose que j'ai besoin de savoir...

- Humm ?

Un long silence.

- Jure-moi que tu ne m'as jamais trompé. Que ce bébé, il est bien de moi.

Lucie fixa Franck avec intensité. Il pleurait comme elle ne l'avait jamais vu.

- Comment tu peux penser une chose pareille ? Bien sûr que non, je ne t'ai jamais trompé. Bien sûr que oui, ce bébé est de toi.

Elle lui sourit franchement, tandis que les larmes roulaient sur ses joues.

- Notre vie va changer maintenant, Franck. Elle va changer en bien. Je te le promets.

Elle se pencha vers lui et l'embrassa sur les lèvres.

- Joyeux Noël en avance, mon chéri. Je n'ai pas pu te faire l'autre cadeau, mais je t'offre celui-là.

68

Tout, dans la tête de Lucie, s'était bousculé ces dernières heures.

Tandis que l'avion décollait de Kiev, elle était incapable de se concentrer sur l'enquête et ne songeait plus qu'au bébé. Huit semaines, c'était si peu et tellement à la fois. La majorité des organes du fœtus étaient déjà développés, il devait mesurer dans les douze millimètres et peser un bon petit gramme et demi, elle le savait. Mais une fausse couche était toujours possible. Plus d'efforts violents ni de stress inutile. En France, il faudrait consulter, constituer un dossier, prendre toutes les précautions nécessaires pour mener le bébé à terme. S'autoriser un congé exceptionnel, ou une année sabbatique, comme le proposait Franck ? Pourquoi pas, après tout ?

À ses côtés, son compagnon n'arrivait pas à partager ce moment de joie à cent pour cent, elle le sentait. Comment être serein, avec ce qui se passait en Russie et surtout en France ? Ce psychopathe, collé à leurs baskets... Aux dernières nouvelles, les gars en planque devant l'immeuble de Sharko n'avaient toujours rien remarqué. Comment gérer l'euphorie de la grossesse, seul petit point lumineux au milieu des ténèbres qui les entouraient ? Comment se passerait leur retour en France, avec cette peur du tueur ancrée dans leurs tripes ? Lucie se renfrogna dans son siège, les mains sur le ventre, et ferma les yeux. C'était Noël, elle voulait que ce vol s'éternise, que l'avion n'atterrisse jamais.

Aéroport international Domodedovo de Moscou. 25 décembre 2011. Température extérieure de -8°C, ciel sans nuages.

Le Boeing 737 d'Air Ukraine se rangea sur son emplacement et libéra ses grappes de chapkas dans les couloirs de l'aérogare. Les policiers étaient attendus juste au niveau de la douane par Arnaud Lachery qui facilita rapidement les échanges avec les douaniers concernant l'inspection de la commission rogatoire internationale et leur entrée sur le territoire russe.

Une fois la paperasse réglée, Sharko salua son homologue chaleureusement.

- Ça doit bien faire quinze ans. Qui aurait pu croire qu'on se reverrait un jour ?

- Surtout dans de telles circonstances, fit Lachery. Tu traînes toujours tes vieux os à la Criminelle ?

- Plus que jamais.

Sharko se tourna vers Lucie.

- Voici le lieutenant Henebelle. Collègue et... compagne.

Lachery lui adressa un sourire. Il était un peu plus âgé que Sharko et n'avait rien perdu de cette gueule d'ancien flic de terrain : des traits épais, des cheveux courts en brosse, un regard profond qui trahissait ses lointaines origines corses.

- Enchanté. Et joyeux Noël, même si les circonstances ne sont pas des plus gaies.

Tout en discutant, Lucie et Franck récupérèrent leurs bagages et suivirent leur hôte vers la sortie. L'air sec et glacial de l'extérieur les cueillit instantanément. Arnaud Lachery s'était coiffé de sa chapka doublée de fourrure.

- Il faudra absolument vous en acheter une à l'aéroport de Bykovo, ainsi que de bons gants fourrés. Il doit faire dix à quinze degrés de moins à Tcheliabinsk, je vous laisse imaginer l'horreur.

- Nous le ferons. Le lieutenant Henebelle restera à l'hôtel, elle a... quelques petits problèmes de santé.

- Rien de grave, j'espère ?

Lucie ôta son bonnet, dévoilant la bande autour de son crâne.

- Petit accident de parcours.

Ils grimpèrent dans une Mercedes S320 noire qui attendait avec son chauffeur juste devant l'aérogare. Plaque diplomatique, portes blindées, la totale. Lachery pria Lucie de s'installer à l'avant et s'assit à l'arrière avec Sharko.

- Il faut compter une cinquantaine de kilomètres d'ici à l'aéroport national de Bykovo, fit-il. Andreï Aleksandrov et Nikolaï Lebedev nous y attendent. Je suis désolé, mais le trajet n'est pas des plus typiques. Moscou se trouve à plus d'une quarantaine de kilomètres d'ici.

- On a l'habitude de voyager sans visiter, sourit Lucie en jetant un œil dans le rétroviseur.

- En tout cas, j'espère que vous reviendrez en Russie dans d'autres circonstances. La place Rouge sous la neige et décorée aux couleurs de Noël vaut vraiment le déplacement.

Après que la voiture eut pris la route, il entra très vite dans le vif du sujet.

- Je crois que votre enquête a soulevé un gros, un très gros loup.