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Elle releva des yeux tristes.

- La cryogénisation représente, quelque part, l'accès à l'immortalité ou à la guérison. Ni le pouvoir ni l'argent n'ont la capacité de repousser la mort ou la maladie. Scheffer, lui, le pouvait. De quoi se prendre pour Dieu.

- Tom Buffett, l'un des donateurs de la fondation, est atteint d'un cancer incurable. Dans moins de six mois, sans la cryogénie, il sera mort, parce que la médecine d'aujourd'hui ne peut rien pour lui. Dans son bain d'azote, il attendait que la science progresse et que sa maladie puisse être un jour guérie.

Lucie lui rendit la photocopie.

- Je ne lâcherai pas l'affaire, Lucie, que ce soit ici ou en France. Ils disent que la ministre s'est suicidée, mais je crois qu'elle s'est fait assassiner, pour éviter de parler. J'ai la certitude que les très hautes sphères sont impliquées. Les procédures d'extradition de Scheffer et de Dassonville vont sans doute prendre du temps, mais un jour, ils seront entre nos mains.

Lucie tira sa valise jusqu'à la porte d'entrée. Il était temps d'y aller.

Les deux flics montèrent dans le taxi, mangèrent un morceau à l'aéroport, puis embarquèrent dans un petit bimoteur deux heures plus tard. Ils s'installèrent au fond de l'appareil, bien au chaud et un peu à l'abri du fracas des hélices. Le retour vers la France allait prendre sept heures au total. Après une escale à Moscou, leur Boeing atterrirait à Charles-de-Gaulle à 16 h 50, ce 26 décembre 2011.

- Je ne t'ai même pas demandé comment s'était passé ton coup de fil avec ta mère, dit Sharko en souriant enfin.

- Elle était contente de m'entendre. Je ne l'ai pas beaucoup appelée, ces derniers temps.

- Et pour la grossesse ?

- Je ne lui ai rien dit pour le moment. Je préfère lui annoncer les yeux dans les yeux, quand j'aurai en main le cliché de la première échographie. Je veux être sûre, tu comprends ?

Elle fixa longuement le paysage qui se déployait à perte de vue à travers le hublot, l'air soucieux.

- Qu'est-ce qu'il y a ? fit Sharko. Tu n'es pas heureuse ?

- Le problème, c'est qu'on revient en France. Et, en France, il y a celui qui s'acharne sur toi. Comment on va faire ? On ne peut pas se cacher à l'hôtel indéfiniment en attendant que les équipes le coincent.

Elle avait à présent des trémolos dans la voix :

- Ce tueur doit bien avoir une faille, un point faible qu'on pourrait exploiter. Je n'arriverai pas à vivre comme ça. Me dire qu'il peut nous arriver malheur, n'importe quand.

Elle lui serra la main affectueusement.

- Ça me fait tellement peur.

Sharko essaya de la rassurer.

- Ça va aller, d'accord ? Deux hommes de Basquez vont encore assurer la surveillance devant l'immeuble quelques jours. Quant à nous deux, on peut s'installer ailleurs, en attendant. L'hôtel, ou un autre appartement, le temps de boucler cette enquête. Ensuite, direction la Martinique ou la Guadeloupe le temps qu'il faudra. Piscine, plage, soleil. Qu'est-ce que t'en penses ?

Lucie s'efforça de sourire.

- J'en pense que t'as raison. Mais je préférerais La Réunion. J'ai toujours rêvé d'aller là-bas.

- Va pour La Réunion. Ce sera ton cadeau de Noël.

Lucie fronça les sourcils.

- Mon cadeau de Noël ? Tu veux dire que...

Franck l'embrassa sur la bouche et lui caressa le menton.

- Si, j'ai un petit truc pour toi à l'appart, mais ce n'est pas grand-chose.

Le voyage suivit son cours. Sur les quatre heures de vol entre Moscou et Paris, les deux policiers somnolèrent sans vraiment plonger dans le sommeil, incapables de s'abandonner complètement. Ils espéraient que Bellanger et leur hiérarchie allaient se battre pour éviter que l'enquête ne file entre les mains des Russes. Dès qu'il fermait les yeux, Sharko voyait distinctement chaque visage d'enfant, flottant dans l'azote liquide comme des masques abominables. Tout contre lui, il sentit que Lucie tremblait un peu. À quoi pensait-elle ? Au tueur à l'affût, quelque part dans la capitale ? Tout doucement, il posa sa tête contre l'épaule de sa compagne, puis sa main sur sa poitrine. Il sentit les battements de son cœur, et sa gorge se noua.

Leur bonheur était là, à portée de main.

Et la vengeance aveugle qu'il comptait exécuter avait le pouvoir de tout détruire.

Et s'il foirait ? S'il se faisait prendre ? Avait-il le droit de détruire la vie de Lucie et celle de son enfant ? De leur enfant ?

Sharko se crispa, il ne savait plus quoi faire et doutait maintenant plus que jamais. Gloria a été pénétrée sexuellement avec une main gantée... Elle a été torturée, tabassée avec une barre de fer... Il faut tuer le responsable. Pas de tribunal pour une ordure pareille. Fais-le, en mémoire de Gloria...

Il serra les dents. Cette voix semblait plus forte que tout et le torturait de l'intérieur.

- Tu me fais mal, Franck.

Le commissaire secoua la tête et se rendit compte que ses doigts étaient crispés autour du bras de Lucie. Tout cela le rendait dingue. Il relâcha son étreinte.

- Excuse-moi.

- Tes yeux sont injectés de sang. Qu'est-ce qu'il y a ?

Sharko respira longuement, tandis que les voix continuaient à crier dans son crâne. Il finit par répondre :

- Rien. Ça va...

73

Lucie et Sharko n'avaient pas pris le temps de se poser, ni de se reposer. À peine de retour sur Paris, ils étaient retournés directement aux bureaux, abandonnant juste leurs bagages à l'hôtel proche de la Bastille. Lebrun, le numéro deux de la Criminelle, voulait absolument les voir. Nicolas Bellanger était déjà dans le bureau, le visage fermé. Ils s'installèrent, et Lebrun entra dans le vif du sujet.

- Dassonville et Scheffer sont morts.

Sharko se redressa, poussant sa chaise vers l'arrière.

- C'est une plaisanterie ?

- Asseyez-vous, Sharko, et gardez votre calme.

Le commissaire se rassit à contrecœur. Lebrun reprit la parole.

- La cause officielle est l'arrêt cardiaque, pour les deux.

- C'est...

- Leur organisme n'aurait pas supporté les radiations combinées à la présence infime de sulfure d'hydrogène. Leur réveil a été fatal. Des médecins russes planchent là-dessus, mais on sait déjà à quels résultats s'attendre.

- Où sont les corps ? Est-ce qu'on a des photos ? Des preuves ?

Lebrun se passa une main sur le visage. Il paraissait embarrassé.

- Je n'en sais rien pour le moment. Dans tous les cas, on laisse tomber. Nos coupables ont été identifiés, interpellés, ils sont morts. On attend les papiers officiels, on boucle les détails et ensuite, il n'y a plus d'enquête de notre côté.

- Plus d'enquête ? Qu'est-ce que ça veut dire ? fit Lucie.

- Ça veut dire qu'on arrête. (Il soupira longuement). L'ordre vient d'en haut.

- En haut, vous voulez dire le ministère de l'Intérieur ?

- Ne m'en demandez pas davantage, je suis comme vous. Une ministre en rapport avec le nucléaire s'est suicidée en Russie, ça fait déjà énormément de bruit. Dans les jours à venir, on doit s'attendre à ce que tous les débats autour du nucléaire se rouvrent, le sujet est extrêmement sensible, surtout à même pas six mois des élections présidentielles. Alors pas de vagues, OK ? Vous pouvez disposer, à présent. Allez...

Bellanger et ses deux subordonnés se levèrent, abasourdis. Dans le couloir, Sharko explosa. Il frappa du poing dans une cloison.

- Bordel !

Lucie était moins expressive, mais elle n'en bouillonnait pas moins de l'intérieur.

- Tout le système est corrompu, lâcha-t-elle tristement. Tu touches au nucléaire, aux applications spatiales ou je ne sais quoi, et, mystérieusement, tout t'échappe. Des gens meurent ou disparaissent en un claquement de doigts. Ça me dégoûte.