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Franck posa ses instruments de cuisine et la considéra des pieds à la tête. Il ne voulait plus parler de tout ça ce soir. Laisser de côté toutes les notes découvertes dans les cahiers. Juste oublier, quelques heures.

- Cette robe est magnifique. Tu devrais en mettre plus souvent.

Lucie ne répondit pas tout de suite. Elle pensait à Jouvier, enfermé au fond d'une cellule de garde-à-vue. Les interrogatoires n'avaient pas cessé, et l'urgentiste assassin avait commencé à lâcher du lest, confirmant ni plus ni moins ce que Sharko avait déduit dans le garage. Lui et l'Ange rouge avaient fait une partie de leurs études ensemble, devenant de grands amis. Puis chacun était parti de son côté, avant que le hasard d'une rencontre les réunisse à nouveau. Les deux hommes avaient alors eu une expérience amoureuse et malsaine, type dominant-dominé. L'escalade dans l'horreur avait suivi.

Finalement, Lucie décida de ne pas remettre le sujet sur la table. Pas ce soir.

- Les robes, tu sais bien que ce n'est pas trop mon truc.

- N'empêche...

- Tu n'es pas mal non plus, dans ton nouveau costume gris anthracite. Mais la prochaine fois, fais-moi plaisir : change de couleur. Le gris, c'est déprimant.

Sharko se rendit dans leur chambre et revint avec un petit paquet emballé.

- Ton cadeau.

Lucie manipula le paquet en souriant.

- C'est trop plat pour être un livre. Qu'est-ce que c'est ? Un cadre avec une photo dedans ?

- Ouvre, tu verras.

Lucie arracha rapidement le papier. Ses yeux s'écarquillèrent.

- La vache. Franck, tu as...

- Puisque le 36 t'a toujours fait rêver, qu'il représentait un peu ton rêve de jeune fille, je me suis dit que ça te ferait un bon souvenir pour plus tard. Bon, évidemment, ce n'est pas le genre de truc à exposer si des collègues viennent dans l'appartement.

Lucie explosa de rire. Elle tenait, entre ses mains, la plaque bleue portant l'adresse « 36, quai des Orfèvres ».

- Tu es déjà sur la sellette avec la raclée que tu as fichue à Jouvier, imagine que...

- Personne ne saura.

- Comment tu as fait pour la dérober ?

- Ah, ça.

Ils s'embrassèrent amoureusement.

Alors que Lucie regagnait le salon pour mettre une musique d'ambiance, un petit verre de vin blanc dans une main et la plaque du 36 dans l'autre, Sharko inspira un bon coup et ferma les yeux, essayant de ne plus penser qu'à l'avenir. Ses lèvres s'écartèrent, creusant un peu plus les rides de son visage, jusqu'à former un sourire.

Le sourire amer d'un homme fatigué et en colère, mais pourtant bien vivant.

Il ignorait encore de quoi serait fait leur futur, s'il réussirait un jour à s'arracher à ce métier qui lui avait tant apporté, mais pour la première fois depuis des années, il se sentait enfin en paix avec lui-même.

En paix, et presque heureux.

Note au lecteur

J'ai terminé les recherches sur "Atomka" en janvier 2011, et en ai débuté l'écriture dans la foulée. Avant d'entamer ma longue phase de documentation autour de l'atome en 2010, je ne connaissais de la catastrophe de Tchernobyl que les grandes étapes : l'explosion de l'un des réacteurs, le nuage radioactif qui avait déferlé sur toute l'Europe, les conséquences sur la santé. Au fil de mes investigations, ce qui n'était pour moi qu'un terrible accident s'est révélé être l'un des pires fléaux que l'humanité ait jamais connu. La radioactivité ne peut être détruite, et vingt-six années plus tard, elle continue à faire des ravages dans les régions ukrainiennes et biélorusses où, quelques jours après l'explosion, la pluie eut le malheur de tomber, précipitant ainsi les éléments radioactifs dans le sol. Le césium 137 poursuit son travail de destruction, multipliant les cancers, les malformations cardiaques, les retards mentaux. Cela durera encore des centaines, des milliers d'années et, si rien n'est fait, ces populations ne s'en remettront jamais.

Et, tandis que les termes iode 131, plutonium, fuite du réacteur, zone interdite, liquidateur accompagnaient chacune de mes pensées, que le spectre de Tchernobyl m'habitait chaque jour davantage, il y eut Fukushima, le 11 mars 2011. L'accident eut lieu alors que j'écrivais le chapitre 7 de mon roman. Je décrivais alors l'état physique d'un enfant dévoré par l'atome.

Une bien sinistre coïncidence. Un horrible choc.

J'ai été incapable d'écrire sur toute cette période où le monde était suspendu aux réacteurs nucléaires de la centrale japonaise. Je voyais ces hommes que l'on envoyait au plus proche du désastre, malgré la fuite d'éléments hautement radioactifs et je me suis dit : « Ça s'est passé exactement de la même façon, il y a vingt-cinq ans. » L'évacuation, les liquidateurs, le nuage radioactif, les pastilles d'iode pour saturer la glande thyroïde... J'ai alors compris que, malgré le progrès, la technologie, et une sécurité tout de même meilleure, l'homme était toujours autant désarmé face à l'atome. Je n'ose imaginer le visage du monde d'aujourd'hui, si le cœur de l'un des réacteurs avait fondu et s'était retrouvé à l'air libre. Heureusement, contrairement à Tchernobyl, il y avait des enceintes de confinement qui ont évité le pire.

J'ai alors repris l'écriture, mais quelque chose avait changé. Le passé m'avait rattrapé et j'ai longuement hésité à poursuivre dans la voie que je m'étais fixée. En définitive, je m'en suis tenu à mon plan initial, faisant néanmoins quelques allusions à Fukushima, parce qu'il fallait évidemment en tenir compte.

J'ai commencé ce roman en étant persuadé qu'il n'y aurait plus jamais de Tchernobyl.

Je l'ai terminé avec le goût de l'atome sur les lèvres.

Né en 1973 à Annecy, Franck Thilliez, ancien ingénieur en nouvelles technologies, vit actuellement dans le Pas-de-Calais. Il est l'auteur de "Train d'enfer pour Ange rouge" (2003), "La Chambre des morts" (2005), "Deuils de miel" (2006), "La Forêt des ombres" (2006), "La Mémoire fantôme" (2007), "L'Anneau de Moebius" (2008) et de "Fractures" (2009), tous disponibles chez Pocket. "La Chambre des morts", adapté au cinéma en 2007, a reçu le prix des lecteurs Quais du Polar 2006 et le Prix SNCF du polar français 2007.

L'ensemble de ses titres, salués par la critique, se sont classés à leur sortie dans la liste des meilleures ventes. Les deux premières aventures communes de Franck Sharko et Lucie Henebelle, "Le Syndrome E" et "Gataca" (toutes deux publiées au Fleuve Noir puis chez Pocket), sont en cours de traduction dans 13 pays et la version anglaise du "Syndrome E" a été publiée aux États-Unis en août 2012. "Atomka" est son 11e roman après "Vertige", paru au Fleuve Noir en 2011.

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© 2012, Fleuve Noir, département d'Univers Poche.

Couverture © Axel Mahé - Photo auteur © Philippe Matsas

EAN : 978-2-265-09640-0

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