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Elle regarda sa montre :

- On se fixe une limite ?

- 1 heure du mat. Aucun débordement possible.

- OK. 1 heure du mat.

Lucie poussa l'édition du "Figaro" vers Sharko et récupéra les autres journaux.

- Je vais prendre une douche rapide et me mettre en pyjama. Fouine dans "Le Figaro". Il n'a rien à voir avec le reste et Valérie Duprès n'a jamais bossé pour ce canard, Robillard a vérifié. Il était dans une collection d'articles qu'elle avait rédigés et planqués sous son lit. Sa petite collection privée, si tu veux. J'ignore ce qu'il faut chercher, mais il doit y avoir quelque chose à trouver. Au fait, je suis tombée sur ça à l'intérieur, page 2. C'était sur un Post-it.

Elle lui en tendit la photocopie.

- 654 gauche, 323 droite, 145 gauche, lut Sharko. On dirait la combinaison d'un coffre à molette.

- C'est ce que j'ai pensé. Mais lequel ? On n'en a trouvé ni chez elle ni chez Christophe Gamblin.

Elle se dressa pour se rendre dans la salle de bains, mais Sharko lui attrapa le poignet et la tira à lui.

- Attends...

Il l'embrassa tendrement. Lucie ne s'abandonna pas totalement, Sharko sentait une tension, quelque chose de noueux au fond d'elle. Alors, quand elle se recula et qu'il aurait suffi d'un geste pour l'attirer de nouveau à lui, il la laissa partir.

Il se mit au travail, parcourant avec attention les articles du "Figaro". Il finit par s'atteler plus précisément aux faits divers. Lucie revint quinze minutes plus tard. Ses longs cheveux humides et blonds tombaient entre ses omoplates. Elle sentait bon, occupait l'espace à la perfection, elle était sa petite star à lui. Sharko la regarda avec envie, et il dut redoubler de concentration pour poursuivre son travail. À deux, à la lueur d'un halogène n'éclairant pas trop fort, ils ne s'embrassèrent pas, ne regardèrent pas la télé ou ne pensèrent pas à leur avenir. Ils sombrèrent plutôt dans les ténèbres.

Ce fut Lucie qui réagit la première. D'un feutre noir, elle entoura un article au beau milieu des pages des faits divers de "La Grande Tribune", les sourcils froncés.

- J'en tiens un.

- Un autre décès ?

- Pas un décès, mais quelque chose qui pourrait bien coller. Regarde ça, c'est assez stupéfiant.

Sharko posa "Le Figaro", parcourut l'article dans "La Grande Tribune" et, après lecture, se frotta le menton, interloqué. Lucie lui avait arraché des mains la quatrième et dernière édition du canard, celle de 2004, région PACA. Le papier bruissait entre ses doigts, ses yeux couraient de colonne en colonne. À présent qu'elle savait où et quoi chercher, elle mit moins de cinq minutes pour tomber sur le bon article, qu'elle entoura d'un grand cercle. Sharko et elle se comprirent alors d'un regard : Christophe Gamblin avait mis le doigt sur quelque chose de tout aussi effroyable qu'incompréhensible.

- Et je tiens le quatrième, dit Lucie. Celui-là s'est passé le 21 janvier 2004, au lac d'Embrun, Hautes-Alpes, en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Je t'évite le bla-bla d'introduction, mais écoute ça :

« Suite à un appel signalant une noyade au nord du lac, l'équipe médicale du Samu d'Embrun intervient sur-le-champ et arrive sur place quelques minutes plus tard. Le corps flotte proche de la berge, inanimé. Rapidement extrait d'une eau à 3°C, Lise Lambert, 35 ans, originaire de la ville, est sans vie : le cœur ne bat plus, les pupilles sont dilatées et ne présentent plus aucun réflexe. Au lieu de déclarer la mort, le docteur Philippe Fontès demande à ce qu'on réchauffe lentement le corps, sans prodiguer le moindre massage cardiaque, ce qui aurait eu pour conséquence, sur un corps si glacé, de provoquer une mort certaine en cas de réanimation temporaire. Alors, l'impossible se produit : sans la moindre intervention, le cœur de Lise commence à montrer quelques signes épars d'activité électrique. La jeune femme est actuellement en rééducation au centre hospitalier de Gap, où ses jours ne sont plus en danger... » Et blablabla, le journaliste, un certain Alexandre Savin, vante les mérites du médecin qui est intervenu. Il est même en photo.

Sharko essaya de tirer un rapide bilan de leurs découvertes.

- Celui de 2003 est à peu près semblable. Toujours la région PACA, mais dans le département des Alpes-de-Haute-Provence, cette fois. Lac de Volonne, le 9 février. Idem. Amandine Perloix, 33 ans, recueillie dans une eau quasi gelée. Quelqu'un appelle le Samu, le corps est découvert sans vie, puis miraculeusement réanimé. C'est un autre journaliste qui a rédigé l'article.

Le regard de Lucie bondissait d'un article à l'autre. Sharko voyait l'excitation qui brûlait au fond de ses yeux. Il aimait aussi cette femme-là, la prédatrice à l'affût, différente de la Lucie des moments tendres. C'était sur cet aspect de sa personnalité qu'il avait flashé la toute première fois.

- Qu'est-ce qu'on a précisément ? demanda-t-elle. 2001, 2002, des cadavres en région Rhône-Alpes. Des femmes du coin - des skieuses de la station de Grand Revard - enlevées à leur domicile, empoisonnées au sulfure d'hydrogène, transportées et retrouvées mortes dans des lacs. 2003, 2004, d'autres femmes qui réchappent de justesse à la mort, dans la région voisine. Personne ne semble avoir fait le lien entre ces faits divers.

- Changement de région, de département... Les journalistes n'étaient pas les mêmes. Les enquêteurs de Grenoble n'ont pas dû avoir vent de ces cas de réanimation assez incroyables, puisqu'il ne s'agissait pas de meurtres.

Sharko se leva et partit chercher son gros atlas routier au fond d'une armoire. Il trouva rapidement les bonnes cartes et marqua les endroits caractéristiques au crayon de bois. Ceux où avaient été découvertes les femmes : Chavarines, Annecy, Volonne, Embrun. Il mit ensuite en évidence les lieux où les femmes habitaient : Cessieu, Thônes, Digne-les-Bains, Embrun.

- Plus de cent kilomètres séparent les villes les plus éloignées. Des victimes retrouvées dans les lacs les plus proches de leur lieu d'habitation.

Il entoura également Aix-les-Bains, là où deux d'entre elles, au minimum, avaient skié.

- On reste dans les montagnes, mais ça paraît malgré tout complètement décousu. Y a-t-il seulement un lien entre ces deux affaires de meurtres et celles des réanimations ?

- Évidemment, qu'il y a un lien. Premièrement, Gamblin avait rassemblé ces journaux, et il est mort. Deuxièmement, il y a un tas de points communs : le froid extrême, les eaux presque gelées, les lacs. Des femmes, chaque fois âgées d'une trentaine d'années. Relis les deux derniers faits divers. On parle d'un appel du Samu qui permet de sauver la victime in extremis. Mais qui a appelé ? Aucune précision.

- Aucune précision non plus sur la façon dont ces survivantes se sont retrouvées dans l'eau. Ont-elles glissé ? Les a-t-on poussées ? Ont-elles, elles aussi, été enlevées chez elles ? Et comment ont-elles pu réchapper à la noyade ? Normalement, tu respires l'eau et tu meurs parce que tu es inondé de l'intérieur, non ?

Sharko se leva. Il se mit à aller et venir, les yeux au sol. Il claqua alors des doigts.

- Tu as raison, tout est bien lié. Il y a une autre chose fondamentale, à laquelle on n'a pas pensé. Où est mort Christophe Gamblin ?

Lucie répondit, après quelques secondes de silence :

- Dans un congélateur. Le froid extrême, encore une fois. L'eau, la glace. Comme un symbole.