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Le petit chalet était toujours là, au milieu de son île noire. Sans plus réfléchir, Sharko se précipita sur la barque qui l'attendait, au bord du marais. Elle avait l'air neuve, et il y avait même les rames. Il avait l'impression de s'enfoncer dans un piège, mais ne put se résigner à faire demi-tour. Il ôta la corde reliée autour d'un tronc et s'assit dans l'embarcation, après avoir chassé la neige sur le côté.

Une âme, à la vie, à la mort. Là-bas, elle t'attend. Cette partie du message était si claire à présent. L'âme de Suzanne était née à Pleubian. Et même si son épouse n'était pas physiquement morte au bord de ces marécages, son esprit, lui, l'avait été, dévoré par la folie et le sadisme d'un diable.

Trempé et frigorifié, je découvre l'horreur la plus brute lorsque je pénètre dans la cabane. Ma femme Suzanne, celle que je recherche sans relâche depuis plus de six mois, celle que, tant de fois, j'ai crue morte, est attachée en croix sur une table, nue, les yeux bandés et le ventre rond de notre future petite Éloïse. On l'a torturée. Elle hurle lorsque je lui ôte le bandeau. Elle ne me reconnaît pas. Je m'effondre, en pleurs, devant cette image abominable, lorsque le tueur surgit et me braque.

Un seul de nous deux survivra...

Le flic n'en pouvait plus de manœuvrer dans ce froid, sa gorge sifflait et l'air humide le suppliciait. L'âge pesait sur ses muscles et ses os, mais il ramait toujours plus, toujours plus vite, en dépit de la douleur. Il se demanda comment il aurait fait sans la barque. Aurait-il eu le courage de traverser l'eau presque gelée à la nage, comme il y a si longtemps ? C'était irréaliste d'être ici, dans ces marécages bleutés par le froid, ça avait des allures de cauchemar éveillé. Pourtant, les contours de la cabane se précisèrent bien trop pour qu'il s'agisse juste d'un rêve. La sommaire habitation avait vieilli, le verni se décrochait du bois, mais elle avait encore l'exacte image que Sharko en avait gardée. Personne ne s'était occupé de cette cabane maudite, on l'avait laissée là, à l'abandon, en attendant que le temps fasse son travail et gomme l'inavouable.

Le flic accosta du mieux qu'il put et, lampe et arme au poing, sauta sur la berge d'un blanc uniforme, vierge là aussi de toute empreinte. Le décor était magnifique, presque dessiné au fusain. L'eau, prise à certains endroits par la glace, palpitait sous de petits rubans de brume. Malgré tout, Sharko avait mal au ventre, au cœur. Les flashes continuaient à taper sous son crâne. Aucune des cellules de son fichu organisme ne voulait entrer là-dedans. C'était rouvrir les portes du passé et affronter de nouveau l'horreur d'heures qu'il avait tant cherché à oublier.

La porte n'avait plus de poignée.

Il entra prudemment, l'arme braquée devant lui.

Suzanne ligotée. La table ensanglantée. Les odeurs de sueur, de larmes et de souffrance. Le ventre en forme d'œuf.

De son mince faisceau, Sharko scruta la pièce centrale et l'autre pièce minuscule, en enfilade. Personne. Ni cadavre ni carnage. Les nerfs à vif, haletant comme une bête traquée, il observa les murs. Pas de messages en lettres de sang, pas d'indication, cette fois. Il respira un bon coup. Était-il possible qu'il se soit trompé ? Qu'il n'y ait rien à découvrir ? Il pensa à Lucie qui dormait, seule dans l'appartement, fragile et vulnérable.

- Qu'est-ce que je fiche ici ?

Il se demanda, une fraction de seconde, s'il n'était pas redevenu schizophrène. Ça avait commencé de cette façon, avec des visions, des délires de paranoïaque. On pouvait ne jamais guérir de ces trucs-là, avaient dit les psys.

Sous ses pieds, le plancher craquait, certaines lattes étaient rongées, trouées. Les vitres des fenêtres étaient toutes brisées, sans exception. Ne restaient plus que des squelettes de meubles, un vieux fauteuil défoncé, aux ressorts rouillés et jaillissant. Au sol, des traces de pas, partout dans la poussière. Des gens avaient dû venir ici, durant toutes ces années, pour voir à quoi pouvait ressembler l'antre d'un tueur en série. Envie de sensation et d'hémoglobine. Cette histoire avait été tellement médiatisée.

Tendu, il chercha encore, sans grand espoir. Son faisceau se posa soudain contre une surface lisse, accolée à une paroi. Il s'approcha, les yeux plissés, et s'agenouilla.

Une glacière.

Toute neuve.

Sur laquelle était scotchée une feuille de papier. Dessus, juste une phrase : « Lorsque résonne le 20 e coup, le danger semble momentanément écarté. 48°53'51 N. »

Franck se frotta le menton un long moment. Un autre message, une nouvelle énigme... Il ne s'était pas trompé de rendez-vous. Ses mains tremblaient parce qu'il imaginait le pire. Il pouvait y avoir n'importe quoi, là-dedans. Il songea à un film connu, à son horrible fin, lorsque le héros reçoit un carton d'un livreur, au milieu du désert, avec l'impensable à l'intérieur.

Il posa une main à plat sur le côté en plastique dur, glacé. Il se releva et se mit à aller et venir, le regard rivé vers cette boîte hermétique. Le nombre inscrit sur le papier semblait indiquer la première partie de coordonnées GPS. Quant au début du message, il ne saisissait absolument pas sa signification. Lorsque résonne le 20 e coup... Parlait-il d'une horloge ?

Que faire ? Et si le compartiment lui explosait à la figure ? Après de longues interrogations, il revint se positionner face à la glacière. Il plaça ses mains gantées de chaque côté, retint son souffle et souleva lentement le couvercle, l'arme juste à ses côtés, au cas où.

La glacière était remplie de pains de glace et de glaçons.

Il passa sa langue sur ses lèvres. Que lui réservait l'esprit tordu qui signait ses messages avec son sang ? Ce taré pouvait être n'importe quel quidam ayant été au courant des faits, à l'époque. Un lecteur de journal, un spectateur de télévision, quelqu'un qui avait décidé de s'acharner sur un flic, pour une raison débile. Sharko poussa la feuille et vida la glacière progressivement, jusqu'à tomber sur un tube de verre. Ou, plus précisément, une éprouvette bouchonnée. Il la leva devant lui, orienta le faisceau de sa lampe vers son maigre contenu.

À l'intérieur, c'était blanchâtre et épais.

Nul doute possible. Il s'agissait de sperme.

13

9 heures tapantes.

L'équipe du groupe Bellanger était réunie au grand complet dans son open space. Porte fermée, gobelets de café dans les mains, mines moins fraîches que la veille. Sharko était appuyé contre le mur du fond, proche de la fenêtre qui donnait sur une capitale toute blanche. Lointaines, ses envies d'îles et de sable blond... En ce moment, c'était plutôt l'enfer sous son crâne. Évidemment, il pensait au sordide contenu dissimulé au fond de son coffre, à quelques pas du 36. La glacière, le tube de sperme, ses vêtements trempés qu'il avait laissés bien cachés, de façon à ce que Lucie ne tombe pas dessus en faisant la lessive. Il était rentré à l'appartement à 5 h 10 du matin. Sa compagne n'avait rien vu, rien entendu. Il avait chiffonné le mot à son intention et l'avait caché dans la poubelle. À 7 h 45, il avait appelé discrètement le laboratoire d'analyses médicales où il subissait ses examens, pour s'assurer qu'il n'y avait eu ni vol ni cambriolage. Cinq minutes avant la réunion, il avait contacté le commissariat de Bourg-la-Reine, au sujet de l'agression de l'infirmier. Piste complètement vierge.