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Peut-être faisait-il la pire bêtise de sa carrière en agissant en solo, peut-être aurait-il dû alerter les flics pour qu'ils investissent la cabane et fassent les relevés nécessaires. Mais peu importaient les remords et les états d'âme. Il avait fait son choix et, désormais, il était trop tard.

Il porta ses yeux vers Lucie, assise à sa place, sirotant son deuxième café de la matinée. Il les observait, elle, Bellanger. Ils pourraient former un si joli couple. Rien, dans leurs regards, ne trahissait une quelconque relation. Devenait-il complètement parano ? Il pensa à la façon dont il était retourné dans le lit, ce matin. Comme un mari infidèle. Avait-il le droit de lui cacher une telle vérité ? Plus le temps passait, plus il avait l'impression de s'enfoncer dans le mensonge. À qui appartenait ce maudit échantillon de sperme ? À quoi rimait ce début de coordonnées GPS, ce message incompréhensible, avec cette histoire de 20e coup ?

Placé devant un tableau, prêt à prendre des notes, Nicolas Bellanger réclama l'attention du groupe. On voyait qu'il avait peu dormi. Yeux lourds, mal rasé : l'enquête entamait son travail d'érosion. Il exposa les grandes lignes de leurs investigations puis demanda un point complet de l'état des recherches à chaque enquêteur. Le lieutenant Levallois attaqua et fit part de ses découvertes : aidé de collègues d'une autre équipe, il avait mené l'enquête de proximité concernant la victime trouvée dans le congélateur. Interrogation des voisins, de certains amis, de membres de sa famille.

- Christophe Gamblin ne semblait pas avoir de soucis particuliers, aux dires de ses proches. Un bosseur, qui aimait les virées entre amis, le cinéma et consommer de l'alcool modérément. Il lui arrivait de sortir avec une femme de temps en temps, mais c'était sans lendemain. Gamblin revendiquait son célibat. Au travail, rien de bien flagrant ces derniers temps. J'ai jeté un œil sur les articles qu'on a reçus par mail, il bossait sur des faits divers comme il en traitait tant. Quoi d'autre ? Hmm... Ah oui, il était aussi adepte de nouvelles technologies. IPhone, iPad, Internet. Il communiquait souvent avec ses connaissances par Skype, la téléphonie sur Internet, MSN et Facebook. Un quarantenaire à la pointe, pour ainsi dire.

- Tu as pu creuser la relation entre lui et Valérie Duprès, notre journaliste d'investigation ?

- Un peu, oui. Ils n'étaient pas en couple mais étaient quasiment toujours ensemble, dès qu'ils le pouvaient. Sorties, loisirs, réveillon du nouvel an... Mais depuis six ou sept mois, Valérie Duprès s'est montrée beaucoup moins présente. Plus personne, dans le groupe d'amis, ne la voyait. Selon leurs dires, Christophe Gamblin restait mystérieux dès qu'on l'interrogeait sur elle. Tous savaient globalement que la journaliste d'investigation préparait un livre, mais sans davantage d'informations. Duprès n'était pas une exubérante, plutôt renfermée et ultra-méfiante, même.

- On a des infos sur ce fameux livre ?

- Pas grand-chose de mon côté, faute de temps. Sujet mystérieux, ça, c'est sûr. Duprès avait peut-être peur qu'on ne lui pique son idée ? Une chose est certaine : elle avait traité des sujets délicats par le passé, savait dissimuler son identité et se protéger. Certains de ses proches étaient au courant pour les fausses cartes d'identité. Véronique Darcin existe réellement, elle habite vraiment Rouen et a le même âge que Duprès. Elle n'est strictement pas au courant qu'on usurpe parfois son identité.

- On n'a trouvé aucune trace de ce projet de livre chez elle, compléta Lucie. Ni documentation ni notes. Ou elle a tout embarqué, ou c'est le cambrioleur qui l'a fait.

- Moi j'ai des trucs, intervint Pascal Robillard.

Il se racla la gorge. Son sac de musculation était derrière lui, dans un coin.

- Je me suis concentré sur ses comptes en banque. Si on recoupe avec ses demandes de visas pour l'étranger, ça donne des choses intéressantes.

Il trifouilla dans la montagne de paperasse où s'agglutinaient des Post-it de couleurs différentes. Des lignes étaient stabilotées en fluorescent. Lucie s'était toujours demandé comment il parvenait à se retrouver dans de tels labyrinthes administratifs.

- Je dois encore creuser dans ces centaines de données, mais je suis allé au plus évident : grosses dépenses, transactions à l'étranger... J'ai des traces de retraits d'argent, de réservations d'avion, de factures d'hôtel ou de locations de voiture à Lima et La Oroya, au Pérou, en avril 2011. Puis à Pékin et Linfen en Chine, en juin. Elle finit aux États-Unis, avec Richland, dans l'État de Washington, et à Albuquerque, Nouveau-Mexique, sa dernière grande destination flagrante qui remonte à fin septembre 2011. Globalement, ses séjours dans chaque pays semblent durer entre deux et trois semaines.

Bellanger résuma les informations dans le coin d'un tableau blanc.

- Rapport avec son livre, sans aucun doute. T'as eu le temps d'approfondir ?

- Pas encore. Jamais entendu parler de ces villes, j'ignore ce qu'on peut y trouver, mais je m'y pencherai bientôt. Sinon, depuis septembre, pas d'autre voyage, apparemment. Elle avait pourtant un visa valable pour l'Inde, pour le mois de novembre, mais elle n'y est pas allée, semble-t-il.

- Ce qui se serait passé pendant ou après son voyage aux États-Unis l'aurait détournée de ses plans initiaux ?

Robillard haussa les épaules.

- Toutes les hypothèses sont plausibles. J'ai encore un truc intrigant : ces derniers temps, Duprès ne semblait plus fonctionner qu'avec du liquide. Le dernier gros retrait est de trois mille euros, distributeur du 18e arrondissement, il date du 4 décembre. Elle s'était donc mise en mode sous-marin et ne voulait plus laisser aucune trace. Ça prouve bien qu'elle était sur du lourd.

Bellanger prenait des notes au marqueur noir, empilant les informations importantes.

- 4 décembre, retrait trois mille euros... OK... Et après ?

Robillard pinça un relevé de compte devant lui. Il avait stabiloté « décembre 2011 » en haut.

- Plus rien. Ce papier est tout frais de sa banque. Le dernier mouvement bancaire remonte à ce retrait. Ensuite, le néant.

Les collègues se regardèrent en silence, comprenant ce que cette phrase en suspens signifiait. Bellanger revint à son spécialiste en analyse et croisement de données.

- Et la téléphonie ?

- La téléphonie, la téléphonie. Hmm... Encore énormément de travail de ce côté-là, tout est presque à faire. En attendant, mauvaise nouvelle : les puces dépackées de Duprès sont mortes à cause de l'eau, on ne peut rien en tirer. Elle a donc pu passer tous les appels du monde en utilisant ses téléphones jetables, on ne le saura jamais. La journaliste a rendu son portable professionnel en début d'année, lors de sa prise de congé sabbatique. Autrement dit, depuis ce temps, elle est un fantôme au niveau de la téléphonie mobile.

- Comment ses proches ou ses amis la contactaient ? Comment elle et Gamblin communiquaient-ils, dans ce cas ?

- Sur sa ligne fixe, je suppose. Ou sans aucun doute par la téléphonie sur Internet, comme Skype. C'est pratique, gratuit, et ça ne laisse aucune trace. Avec un peu de chance, elle aura donné les numéros de téléphone de ses puces dépackées à des proches, ce qui nous permettrait ensuite d'obtenir tous les appels de ces téléphones auprès des opérateurs.

Froissement de feuilles.

- Du côté de notre victime du congélateur, je n'ai pas eu le temps d'avancer. Gamblin est abonné SFR, j'ai fait une requête pour obtenir des infos plus précises sur ses communications. J'ai réussi à noter quelques numéros récurrents dans ses dernières factures, à vérifier en priorité. Certainement des proches ou des amis, en espérant que l'un des numéros fantômes de Duprès soit dedans.