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- Des appels vers l'étranger ?

- Comme ça, au premier abord, non. Bref, vous l'aurez compris, la tâche n'est pas simple. Il y en a pour des plombes à tout éplucher, contacter les propriétaires des numéros et les interroger. Trop pour un seul homme.

C'était davantage une requête qu'un constat. Nicolas Bellanger avait compris où il voulait en venir et acquiesça.

- Très bien, je vais demander du renfort de ce côté-là. Lancer des avis de recherche, mettre l'OCDIP (Office central pour la disparition inquiétante de personnes) dans le circuit. On devrait récupérer un ou deux gus pour t'aider.

- Super, ce n'est pas de refus.

Le chef de groupe considéra ses notes et revint vers ses enquêteurs.

- Bon... Franck, Lucie, on fait un point ?

Les deux flics partagèrent à leur tour leurs découvertes. L'enfant inconnu de l'hôpital, mal en point, le bilan de l'autopsie et cette affaire mystérieuse jaillissant de quatre journaux d'archives. Lucie exposa leur supposition commune : la possibilité qu'un individu ayant tué au moins deux femmes et tenté d'en noyer deux autres, entre huit et onze ans plus tôt, s'en soit pris à Christophe Gamblin.

- Un tueur en série, souffla Bellanger. Manquait plus que ça.

Il considéra de nouveau les remarques qui s'accumulaient sur le tableau, puis sa montre.

- Le temps passe trop vite. Si on devait tirer un premier bilan de tout ce fouillis, qu'est-ce qu'on raconterait ?

Lucie se lança la première.

- Les deux journalistes enquêtaient chacun sur quelque chose de sérieux. Gamblin sur de curieux simulacres de noyades, et Duprès sur... je n'en sais rien. L'un d'entre eux est mort, et l'autre a disparu. Si on se passe du facteur coïncidence et qu'on tient compte de la relation d'amitié entre les deux journalistes, le bon sens nous dirait que les deux affaires sont liées.

- Deux affaires avec un môme entre les deux, ajouta Sharko. Un môme dont on sait qu'il a été en contact avec Valérie Duprès, et dont on ignore tout, si ce n'est qu'il est sérieusement malade.

- Et un tueur sadique qui semble remonté des profondeurs d'un lac, précisa Bellanger.

Après une vingtaine de minutes, le chef de groupe libéra finalement son équipe. Chacun connaissait exactement ses tâches de la journée : Robillard continuerait à éplucher les données informatiques des deux protagonistes principaux, Levallois gérerait le déroulement des enquêtes de proximité, Lucie s'était auto-affectée à la recherche et à l'interrogation des deux miraculées des années 2000, puis à la mise en relation avec le SRPJ de Grenoble. Quant à Sharko, il insista pour rester sur place : il descendrait au quai de l'Horloge pour voir si les recherches de toxiques et de traces ADN éventuelles progressaient.

Tous se mirent à l'ouvrage, bien conscients qu'ils n'étaient pas au bout de leurs peines.

14

Lise Lambert, Embrun...

Lucie avait sans peine réussi à récupérer l'adresse et le numéro de ligne fixe de la femme retrouvée dans le lac en janvier 2004 et ramenée à la vie. Lorsqu'elle avait composé le numéro de téléphone, quelqu'un avait répondu : une vieille dame, qui lui avait signalé que Lise Lambert lui avait vendu sa maison en 2008 et qu'elle était partie vivre du côté de Paris. Avec un peu d'insistance, Lucie était parvenue à lui raviver la mémoire et à lui faire prononcer approximativement le nom de la ville concernée, Rueil-Malmaison. Une recherche dans les Pages jaunes sur Internet lui avait délivré l'adresse exacte de Lise Lambert.

Elle salua Sharko, installé à son ordinateur, et quitta le bureau dans l'heure. À l'entrée de la cour du 36, quelques flics regardaient d'un air amusé des ouvriers de la mairie qui fixaient un nouveau panneau « 36, quai des Orfèvres ». On le dérobait de temps en temps, et celui qui avait réalisé le coup, cette fois, avait fait fort, déjouant la caméra de surveillance.

Lucie rejoignit sa petite 206 garée dans un coin. Franck et elle prenaient de temps en temps chacun leur voiture, ce qui leur laissait davantage de liberté de mouvement et évitait de quémander l'une des Renault, Bravia ou Golf de fonction, souvent trop peu nombreuses.

Après une heure de trajet - les routes étaient globalement toutes praticables, - elle arriva à bon port. Lise Lambert habitait un petit pavillon mitoyen qui ne payait pas de mine : étroite façade en crépi, toiture à refaire. Lucie trouva porte close. Une voisine lui indiqua que la propriétaire travaillait dans une grande jardinerie, le long de la nationale 13, à la sortie de la ville.

Lucie se sentit nerveuse lorsqu'elle se trouva en face de Lise Lambert, une grande femme brune, la quarantaine épanouie, les yeux noisette clair comme une grotte d'ambre. Elle fit très vite le rapprochement avec le profil des deux victimes retrouvées noyées.

L'employée était emmitouflée dans un gros gilet vert à l'enseigne du magasin, portait des mitaines vertes, elles aussi, et était occupée à référencer quantité de sacs de terreau et de sable dans la réserve glaciale de la jardinerie. Lucie l'interpella et se présenta : lieutenant de police à la Criminelle de Paris. Lambert cessa toute activité, interloquée.

- J'aimerais vous poser quelques questions au sujet d'une affaire que nous menons actuellement, fit Lucie.

- Très bien, mais je ne vois pas en quoi je peux vous aider.

Hâtivement, Lucie ôta ses gants, fouilla dans sa poche et lui montra une copie de la photo où Christophe Gamblin et Valérie Duprès posaient ensemble.

- Tout d'abord, connaissez-vous l'un de ces deux individus ?

- Oui. J'ai déjà vu l'homme. Il est venu il y a environ dix jours.

Lucie rempocha son cliché, satisfaite. Après sa fouille dans les archives de "La Grande Tribune" et son déplacement à Grenoble, Christophe Gamblin était logiquement venu ici.

- Que voulait-il ?

- Me parler de... Mais, que se passe-t-il, au fait ?

- Nous l'avons découvert assassiné, et l'autre, son amie, a disparu.

L'employée posa son appareil à codes-barres d'un geste un peu fébrile. Lucie avait toujours constaté que l'annonce d'un meurtre, quel qu'il soit, sonnait les gens. Elle poursuivit calmement :

- Donc ?

- Il menait une enquête sur l'hypothermie. Il voulait juste connaître les circonstances d'un accident que j'ai eu en 2004. Alors, je lui ai expliqué.

Un article sur l'hypothermie... Exactement le prétexte qu'il avait sorti au légiste grenoblois. Nul doute que Christophe Gamblin avait menti et caché le véritable objet de sa visite. Lucie fit comme si de rien n'était et poursuivit ses investigations :

- Votre sauvetage miraculeux dans le lac gelé ? Racontez-moi comment ça s'est passé.

Son visage resta un instant figé, piégé dans une expression que Lucie interpréta comme une profonde angoisse. Elle se dirigea vers la porte de la réserve et la referma, avant de revenir vers son interlocutrice. Il gelait dans cette salle qui donnait directement sur les serres. La flic croisa les bras pour se réchauffer.

- Un sauvetage miraculeux, oui. Je reviens de loin. Huit ans, déjà. Ce que le temps passe vite.

Elle sortit un mouchoir et essuya le bout de son nez qui gouttait.

- Je vais vous répéter ce que je lui ai dit, au journaliste. Quand je me suis réveillée à l'hôpital, cette fameuse nuit-là, je n'ai rien compris à ce qui m'était arrivé. Le médecin m'a annoncé qu'on m'avait repêchée au bord du lac d'Embrun, et que j'ai été physiquement morte durant au moins dix minutes. Dix minutes pendant lesquelles mon cœur s'est arrêté de battre. C'était effroyable d'entendre une chose pareille. Vous dire que vous n'étiez plus de ce monde, que vous aviez franchi la frontière.

Elle releva ses yeux noisette et s'arrangea pour toucher le bois d'une palette. Une superstitieuse, estima Lucie. Mais comment ne pas l'être ou le devenir après ce qu'elle avait traversé ?