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Finalement, Sharko se rendit dans la section « Documents et traces ». Il connaissait le technicien responsable, Yannick Hubert, le salua et lui présenta une pochette plastifiée qui contenait la feuille trouvée sur la glacière.

- Tu peux faire quelque chose à partir de ça ? Je ne sais pas, trouver le type de colle, ou le genre d'imprimante. Et, au fait, c'est personnel.

Le spécialiste acquiesça et promit d'y jeter un œil au plus vite.

Sharko sortit des laboratoires, donc, sans réelle nouvelle piste, mais avec un kit complet de prélèvement de salive et des gants en latex dans la poche. Il regagna sa voiture, mit le contact et démarra. Il regardait partout : dans son rétro, sur les scooters, il détaillait les passants. Le taré était peut-être là, parmi eux.

S'assurant que personne ne le suivait, il partit se garer au dernier niveau du parking souterrain à proximité du boulevard du Palais, bien à l'abri des caméras de surveillance. Il récupéra l'échantillon de sperme dans la glacière et s'enferma dans l'habitacle de son véhicule. Rapidement, il enfila les gants, ouvrit l'enveloppe stérile contenant deux écouvillons buccaux et plongea ces derniers dans le liquide séminal, de façon à bien les en imprégner. Puis il les enferma dans la première enveloppe spécialement adaptée, qu'il mit ensuite dans l'enveloppe à bulles.

D'ordinaire, la PJ travaillait avec le laboratoire d'État d'analyses de la police scientifique de Paris, ou parfois avec un laboratoire privé de Nantes, selon les affaires et l'engorgement des demandes. Sharko aurait pu trouver le moyen de faire partir son prélèvement de sperme avec ceux d'autres enquêtes, mais c'était bien trop risqué. Tout était verrouillé, il fallait des justificatifs chaque fois, sans oublier les problèmes de facturation. Non, il y avait plus simple et moins dangereux : passer par les laboratoires d'analyses génétiques qui foisonnaient sur Internet. Sharko avait choisi Benelbiotech, une société située en Belgique, juste à la frontière française. Il connaissait ce laboratoire de réputation. La société privée travaillait six jours sur sept et proposait un service qui fournissait un profil génétique en fonction d'un échantillon contenant suffisamment d'ADN - sperme, salive, squames de peau, poils ou cheveux avec bulbe. Anonymat garanti, réponse sous les vingt-quatre heures, par mail ou par courrier. Sharko n'aurait plus qu'à comparer le profil fourni avec le sien, enregistré dans le FNAEG.

Il glissa également, dans l'enveloppe à bulles, le formulaire imprimé qu'il avait rempli sur Internet, avec la référence (échantillon n° 2432-S), les données complètes de son inscription et son numéro de portable, où il serait informé, par SMS, de la disponibilité des résultats sur une adresse mail qu'il venait de créer. Il paierait les quatre cents euros via le Web dans l'après-midi.

L'enveloppe partit par Chronopost dans l'heure. Ne restait plus qu'à patienter. Le résultat devait lui parvenir le lundi suivant, dans la journée.

Bellanger lui tomba dessus au moment où il planquait l'adresse mail bidon - une succession de chiffres et de lettres immondes en @yahoo.com - dans un fichier de son ordinateur. Le chef de groupe n'était pas au mieux de sa forme.

- Très mauvaise nouvelle. Le commissariat de Maisons-Alfort vient de m'apprendre que le môme de l'hôpital avait disparu.

- Qu'est-ce que c'est que ce cirque ?

Nicolas Bellanger s'assit en amazone sur le bureau.

- Un homme lourdement vêtu - gros blouson Bombers kaki, pantalon noir, écharpe sur le visage, bonnet et gants - a été aperçu par une infirmière dans l'un des couloirs de l'hôpital, hier, aux alentours de 22 heures. Il portait un enfant dans les bras et n'a pas hésité à agresser l'employée avant de dévaler l'escalier et de disparaître.

Sharko murmura quelques noms d'oiseaux. C'était là tout le problème des hôpitaux publics, ouverts en permanence, peu ou pas surveillés, et qui tournaient au ralenti la nuit. N'importe qui pouvait entrer, se déplacer d'étage en étage et profiter de l'inattention - ou de l'occupation - du personnel soignant pour pénétrer dans une chambre.

- On a une piste ?

- Rien pour le moment. Trémor, de Maisons-Alfort, est dessus. L'infirmière qui a reçu le coup violent au visage n'a qu'une vision floue de son agresseur et les témoignages sont quasiment inexistants. Le plan « Alerte enlèvement » vient d'être lancé avec, pour seules photos, celles de l'enfant prises par la police lors de sa découverte, la veille, ainsi que la description vestimentaire de l'individu. Autre chose : Trémor m'a aussi annoncé que les labos avaient analysé le sang sur le papier trouvé dans la poche du petit. Il appartient bien à Valérie Duprès.

- Elle était donc blessée en rédigeant le mot.

Sharko s'était reculé sur sa chaise, les yeux vers la fenêtre. Le môme allait revivre le calvaire auquel il avait réussi à échapper. Le commissaire savait pertinemment que le gamin n'aurait pas autant de chance, cette fois.

16

Lucie et Lise Lambert trouvèrent une place calme, à l'étage du fast food. Il était encore tôt pour le déjeuner, mais Lucie profita de l'occasion pour se commander un menu frites-cheeseburger-Coca bien diététique. Les simples odeurs de pain chaud et de viande cuite avaient suffi à lui donner faim.

En cours de route, elle en avait profité pour demander des informations sur Christophe Gamblin. Le journaliste semblait-il craindre quelque chose ? Lise Lambert ne lui avait rien appris de neuf, Gamblin avait eu un comportement normal et posé, prétextant une enquête de routine et un futur article dans son journal.

L'employée de la jardinerie déballait mécaniquement son sandwich. Des gestes qu'elle devait faire chaque jour, enfermée dans des journées qui se ressemblent toutes. Elle revint d'elle-même au sujet qui intéressait Lucie.

- Des espèces de flashes, puis des cauchemars, ont commencé trois ans après mon accident dans le lac, en 2007.

Elle soupira.

- Je voulais à tout prix m'éloigner d'Embrun, du lac, de... de la montagne. Apprendre à vivre ici, ça a été une période difficile.

Elle entrecoupait ses phrases de longs silences. Elle braqua ses yeux noisette sur Lucie. Des yeux qui avaient vu à quoi ressemblait la mort, et qui paraissaient avoir perdu de leur éclat d'origine.

- Je me souviens encore parfaitement comment tout a commencé. C'était un jour de grande chaleur, en plein été. Ma maison était une vieille bâtisse et, cette année-là, j'ai eu un problème de sanitaires. La tuyauterie s'était bouchée, il avait fallu aller au fond du jardin où se trouvait le puisard et... excusez-moi si je vous coupe l'appétit, ce que je raconte n'est pas très...

- Ne vous inquiétez pas.

- Enfin bref, il fallait verser là-dedans de la soude industrielle que j'avais de côté pour rétablir les écoulements vers les égouts. Quand j'ai soulevé la plaque, il y avait cette odeur d'œuf pourri très forte et je... je ne sais pas comment vous expliquer. Je me rappelle être tombée dans les gravillons, pas loin de l'évanouissement. On aurait pu croire que c'était à cause de la chaleur, des odeurs, mais j'ai vu une succession d'images inédites. Des images qui m'ont martelée à l'intérieur comme si on me les incrustait de force. Depuis ce jour-là, elles se sont manifestées sous la forme de cauchemars. Des mauvais rêves que je faisais presque toutes les nuits.

Lucie reposa son cheeseburger dans lequel elle avait à peine croqué. Elle se pencha vers l'avant, tout ouïe.

- L'odeur d'œuf pourri a réveillé chez vous des souvenirs enfouis, fit-elle calmement. Comme une madeleine de Proust.