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- De quoi s'agit-il ?

- Elle consiste en l'injection d'un liquide très froid qui va provoquer l'arrêt volontaire du cœur, afin de faciliter l'intervention chirurgicale sur celui-ci. Après l'opération, on fait repartir le muscle progressivement, avec le processus inverse : on réchauffe le sang.

Ses explications médicales parlaient à Lucie. Arrêt du cœur par le froid, redémarrage du muscle par le réchauffement... La mort, la vie, le froid... De parfaites analogies avec ce qui s'était passé dans les lacs. Ça ne pouvait pas être une coïncidence. La flic avait désormais la quasi-certitude que son tueur travaillait - ou avait travaillé - dans ce centre hospitalier. Il y avait alors probablement croisé les victimes au moment de leur accident de ski. Christophe Gamblin avait-il lui aussi trouvé cette piste ?

- Un énorme merci, Paul. Tu disais que tu devais m'appeler ?

- Oui. Les analyses toxico de notre victime du congélateur viennent de revenir. Tu te souviens, toute cette eau dans son estomac et sa vessie ?

- Oui.

- Elle était salée, avec une teneur en microbes et bactéries démente. Les laborantins ont même trouvé des micro-débris de kératine, de squames de peau et des poils d'individus différents.

Lucie avait oublié le froid qui l'entourait et lui rougissait les joues. Elle était figée, au beau milieu du parking, le téléphone collé à l'oreille.

- Des poils d'individus différents ? Qu'est-ce que ça signifie ?

- Je ne suis pas catégorique à cent pour cent, mais j'ai le sentiment qu'il pourrait s'agir d'eau bénite.

- De l'eau bénite ?

- C'est une supposition qui me paraît très légitime. Dans quel genre d'eau salée peut-on déceler des déchets organiques de différentes personnes ?

- Une fontaine, la mer ?

- Les fontaines ne sont pas salées, et l'eau de mer contient d'autres éléments. Non. Cette eau devait se trouver dans un bénitier ou un endroit où les gens trempent leurs mains. À mon avis, ton assassin l'a forcé à se gaver d'eau censée chasser le démon.

Lucie resta sans voix. Elle réfléchit un instant et demanda :

- Et dans les autres estomacs ? Les victimes du lac ? On a ce genre de...

- Je vois où tu veux en venir, mais rien n'est notifié dans les rapports. Bon, je te laisse. Au fait, j'ai raté Madonna hier, et ma femme n'a pas enregistré. C'est pas cool.

Chénaix raccrocha. Encore sous le choc de la révélation, la flic remonta en quatrième vitesse. De l'eau bénite, maintenant, pour chasser le diable. Elle mit cette aberration de côté et se dit qu'elle tenait peut-être son point commun entre les différentes victimes : le centre hospitalier des Adrets. Elle ignorait encore les motivations réelles de son tueur, mais elle se savait sur la bonne voie.

Elle vida son plateau-repas à la poubelle et remercia Lise.

Une fois enfermée au calme dans sa voiture, elle appela Nicolas Bellanger et livra ses découvertes. Elle voulait partir là-bas, à Chambéry, pour mener l'enquête. Mais son chef de groupe souhaitait d'abord analyser la situation, éventuellement placer le SRPJ de Grenoble sur le coup, puisqu'ils étaient les initiateurs du dossier. Lucie mit toute sa verve à essayer de le convaincre, elle le connaissait bien : si la Crim' de Paris résolvait l'affaire, Bellanger marquerait des points auprès du directeur de la PJ. Elle certifia également que, avec ses trouvailles, ils obtiendraient sans mal le 18-4, une mention du procureur sur la commission rogatoire qui élargissait leur domaine de compétence hors Paris et Petite Couronne. Cela leur permettrait de fouiner du côté de la région Rhône-Alpes dans les règles, sans que le SRPJ de Grenoble s'en mêle pour le moment. Ils parlèrent encore cinq minutes, et Lucie raccrocha dans un demi-sourire. Elle savait qu'elle avait gagné la partie.

Mais, très vite, son cœur se serra. Elle allait peut-être coincer de ses propres mains un tueur de femmes, planqué au fond de ses montagnes depuis plus de dix ans.

17

Tout en parlant à Sharko, Lucie allait et venait dans la chambre de l'appartement de L'Haÿ-les-Roses. Elle remplissait l'une des vieilles valises de son compagnon, un truc en cuir immonde qui avait quand même des roulettes.

- J'aurais très bien pu me débrouiller avec Levallois, tu sais ? Grenoble, ce n'est pas le bout du monde, non plus.

Elle fourra dans une pochette ventrale le gel anticoups qu'elle appliquait régulièrement sur sa cheville.

- Et puis, je crois que, sans toi à ses côtés, Nicolas a un peu de mal, il se sent débordé.

- « Nicolas » te l'a dit ?

Lucie le regarda avec étonnement. Elle n'aimait pas le ton qu'il prenait, mais elle préféra intérioriser.

- Non, mais ça se sentait qu'il voulait te garder auprès de lui.

Sharko se dirigea vers la fenêtre, mains dans le dos. Il soupira en silence.

- Prends davantage de vêtements, si tu veux bien. Imagine qu'on n'aboutisse à rien, demain. On pourra au moins passer le week-end sur place. Chambéry, c'est une jolie ville. Et comme ni toi ni moi n'avons prévu quoi que ce soit... À moins que tu ne doives te rendre quelque part, dimanche ?

Lucie fronça les sourcils. Cette fois, c'en était trop.

- T'es bizarre d'un coup. Les vacances en Guadeloupe, Chambéry maintenant. On progresse bien, avec nos découvertes. Un gamin a disparu et toi, tu veux passer du temps loin d'ici ? Pourquoi tu cherches absolument à m'éloigner de Paris ? Et puis, lâcher une enquête, ça ne te ressemble pas.

- Je ne lâche rien. On n'est pas seuls à travailler, je te rappelle. Je pense juste un peu à nous, c'est tout.

Le commissaire lorgna à travers la fenêtre, qui donnait directement sur le parc de la Roseraie. L'obscurité tombait déjà, les arbres ployaient sous le poids de la neige. Il remonta les trottoirs d'un œil aiguisé, se tourna vers Lucie puis vers le dressing.

- N'oublie pas ma cravate anthracite et le costume qui va avec. Je le porte toujours aux grandes occasions. Et si, par le plus grand des hasards, on passe les pinces à ce fumier, ça en sera une.

Ils prirent la route une heure plus tard. Le trajet vers le sud ne se révéla pas des plus gais. Bien que Sharko, éclairé par la petite lampe de l'habitacle, fût plongé dans le journal du "Figaro", Lucie le sentait sur le fil, en dehors du coup. Il n'était pas comme d'habitude, quelque chose le tracassait, un souci qui allait au-delà de leur enquête. Était-ce à cause de cet enfant qu'ils n'arrivaient pas à avoir ? Franck se sentait-il touché dans son amour-propre ? Et s'ils échouaient encore, cette fois-ci ? Lucie se dit qu'il faudrait peut-être envisager des examens approfondis. Elle approchait de la quarantaine, peut-être n'était-elle déjà plus capable de procréer, peut-être que le drame de ses filles lui avait déréglé tout l'intérieur du ventre. Et peut-être que, pour tout cela, Franck lui en voulait sans le lui avouer vraiment.

- Il n'y a rien là-dedans, bordel !

Sharko avait jeté rudement le journal dans la boîte à gants. Il se tourna sur le côté et finit par s'endormir. Lucie se concentra sur la route, alors que les premiers vallons se devinaient dans les ténèbres.

Avant le départ, elle avait cherché à se mettre en contact avec Amandine Perloix, la seconde rescapée des lacs. Celle-ci habitait apparemment une petite ville de Provence. Lucie n'avait pas trouvé de moyen simple de la joindre mais s'il le fallait vraiment, elle se rendrait chez elle. Comme avait probablement dû le faire Christophe Gamblin.

Les deux partenaires dînèrent sur le pouce, dans la cafétéria d'une aire d'autoroute, à la sortie de Lyon. Pâtes tièdes, viande hachée, pâtisserie trop sèche : de la bouffe pour bétail.