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- De combien de camionnettes disposez-vous ?

- Huit.

- Elles sortent souvent du centre hospitalier ?

Il acquiesça, soucieux. Il ne cessait de se lisser le crâne, formant des plis disgracieux sur son front. Ses yeux étaient brillants.

- Oui, oui, en permanence. On travaille dans tous les bâtiments du centre, mais on gère aussi le linge des établissements de santé environnants, notamment les maisons de retraite et les cures thermales de Challes-les-Eaux et de Chambéry.

- Et ces camionnettes, là, dehors, est-il possible que les employés les gardent chez eux la nuit ?

- Vous savez comment ça fonctionne : besoin d'un grand coffre pour transporter un meuble, ou pour pallier une panne de véhicule personnel. Mon prédécesseur était trop tolérant, il laissait tout faire et il y a eu de nombreux abus. J'ai resserré tout cela, crise économique oblige. Donc, pour résumer, disons que, avant ça existait, mais quasiment plus maintenant.

Sharko réfléchit quelques secondes. Pour une fois, il y avait plusieurs solutions pour essayer de coincer l'assassin. Consulter le fichier du personnel de l'époque, interroger l'ancien directeur ou des employés, analyser les profils et voir ceux qui pourraient cadrer avec leur homme. Il choisit de couper par ce qui lui semblait le plus efficace.

- Vous avez un suivi rigoureux de votre parc de véhicules, je suppose ? Vous pouvez savoir qui roule avec quelle camionnette, à telle ou telle date, non ?

- En effet. Nous possédons un logiciel qui s'en charge. La société a acheté la toute première version en 2000, et nous en sommes à la V7. Tous les mouvements de véhicules y sont normalement répertoriés depuis plus de dix ans.

Lucie hocha le menton vers l'ordinateur portable, placé juste devant elle.

- On peut y jeter un œil ?

Il ne protesta pas et lança l'application. Derrière lui, par la fenêtre, les chutes de neige avaient forci et ne permettaient plus de distinguer les montagnes, en arrière-plan. Sharko et Lucie échangèrent un regard soucieux.

- On a la possibilité de saisir les critères que l'on veut, fit le directeur. Par employé, par date, par véhicule, ou des combinaisons des trois. Je vous écoute.

- Procédez par date. Je vais vous en énumérer quatre, étalées sur quatre années. Dites-moi si une identité ressort à chaque fois.

Lucie sortit son carnet et dicta lentement les dates des enlèvements :

- 7 février 2001... 10 janvier 2002... 9 février 2003... et 21 janvier 2004...

Le directeur entra les dates une à une et valida. Il croisa les différents tableaux affichés et fit des tris pour n'en ressortir que les identités communes.

- Terminé. Cinq employés entrent dans vos critères, deux femmes et trois hommes. Et... seule une femme travaille encore avec moi aujourd'hui. Les autres ne font plus partie du personnel, je ne les connais pas.

Piqués au vif, Lucie et Sharko se levèrent et se placèrent de l'autre côté du bureau. Ils firent afficher et imprimer les trois fiches correspondant aux ex-employés masculins. Tout y était : photo, date d'embauche et de départ, âge, adresse...

Lucie considéra les profils méticuleusement, un à un. L'un d'entre eux était sans aucun doute leur homme, un monstre qui avait assassiné au moins deux femmes et en avait enlevé deux autres.

Elle écrasa son doigt sur un profil particulier et fixa Sharko.

- Philippe Agonla. Ça te dit quelque chose ?

- Agonla... Mince, c'est son nom qu'avait écrit Gamblin dans la glace, et non « Agonia » !

- D'une manière ou d'une autre, il l'avait retrouvé, Franck...

Lucie s'intéressa de nouveau au profil. Agonla était né en 1973, et donc âgé de vingt-huit ans lors du premier crime. Sur la fiche était indiqué « Licenciement pour faute grave en décembre 2004 ». L'homme avait les cheveux courts, bruns et frisés, d'immondes lunettes à double foyer et à monture marron, avec un nez en bec d'aigle et un profil en lame de rasoir. Un physique disgracieux, mal proportionné. Une tête qui fait peur, songea-t-elle brièvement. Il habitait un bled du nom de Allèves, dans la région Rhône-Alpes.

- C'est loin, Allèves ?

- Trente kilomètres, je dirais. C'est plus haut dans les montagnes, au bord d'un torrent. Pile entre Aix-les-Bains et Annecy.

Il se tourna vers la fenêtre.

- Avec ce qu'il tombe, d'ici une heure, ça va être très compliqué de monter là-haut. D'autant plus qu'il a énormément neigé en altitude, ces derniers jours. Les routes doivent être encore encombrées à certains endroits. Vous risquez de galérer.

- Cet homme a été licencié en 2004. On peut savoir de quelle faute grave il s'agit ?

Hocquet se leva et se dirigea vers une armoire métallique.

- Je dois bien avoir ça quelque part.

Il fouina parmi les étagères et les classeurs avant de se retourner avec l'un d'eux entre les mains. Il se lécha l'index et tourna les intercalaires. Ses yeux parcoururent les lignes et se creusèrent de surprise.

- Bizarre, ça. Apparemment, un médecin l'a surpris à fouiner dans la chambre d'une patiente de traumatologie, alors que celle-ci passait des examens. Il avait volé une photo d'identité et tenait dans sa main un moulage de clé de maison.

20

La 206 semblait évoluer dans un univers de fin du monde. Depuis que la voiture avait attaqué les petites routes de montagne, le ciel avait viré au noir graphite et le crachin de flocons s'était transformé en une monstrueuse tempête digne d'un roman de Stephen King. Les essuie-glaces balayaient le pare-brise si vite qu'on pouvait penser que le moteur qui les animait allait céder. Quant aux phares, ils n'éclairaient qu'illusoirement. Le GPS indiquait encore douze kilomètres et, depuis près d'une demi-heure, Sharko n'avait pas croisé le moindre véhicule.

- Les plus longs kilomètres de ma vie. Tu vois que sans les chaînes aux pneus, on n'aurait jamais réussi ?

Ils les avaient achetés avant de prendre la route en partant de l'hôpital et avaient mis plus d'une demi-heure à les monter. Lucie avait le nez collé à une feuille imprimée par le directeur de la blanchisserie. Même avec la veilleuse, elle arrivait à peine à lire.

- Le CV de notre homme est bien maigre mais terriblement parlant. Deux ans de fac de médecine à Grenoble, puis il s'oriente vers la chimie, et encore deux ans en psychologie. Six ans d'études pour s'en sortir sans aucun diplôme. À en croire ce papier, il commence à bosser à vingt-trois ans à l'hôpital psychiatrique de Rumilly, Rhône-Alpes. Il y fait le métier d'« agent des services psychiatriques ». Tu sais de quoi il s'agit ?

- Il lave les chiottes et la cuisine.

Lucie plissa les yeux. La luminosité était de plus en plus mauvaise. Sharko roulait à vingt kilomètres à l'heure, à tout casser.

- D'accord... Il y travaille deux ans, puis arrive à la blanchisserie, de 2002 à 2004. Entre le moment où...

Elle se tut soudain, secouée sur le côté. Franck avait donné un coup de volant et appuyait à fond sur son klaxon. Droit devant eux, des phares rouges disparaissaient dans les tourbillons de poudreuse.

- Cet abruti m'a quasiment fait une queue-de-poisson ! Je ne l'ai pas vu me doubler et...

Il souffla un coup, à l'arrêt en plein milieu de la voie.

- T'es à cran, fit Lucie. Tu veux que je conduise ?

- Ça va aller. Il m'a fait peur, c'est tout. Seuls les gars du coin peuvent rouler aussi vite.

Il redémarra lentement. Lucie voyait sa gorge palpiter, au-dessus du nœud de cravate. Il aurait très bien pu les précipiter dans le vide. Après s'être assurée que tout était rentré dans l'ordre, elle se remit à sa lecture.

- Entre le moment où Philippe Agonla quitte l'HP de Rumilly et où il entame son activité aux Adrets, il y a un trou d'un an et demi environ. C'est tout ce qu'on a sur lui, tout au moins jusqu'en 2004, date de son licenciement.