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Le lieutenant Robillard creusa un peu et dénicha très rapidement des informations intéressantes. Le site d'une ONG, le Blacksmith Institute, dénonçait la firme américaine Doe Run Company, principal exploitant des fonderies de minerais, concernant les rejets de fumées toxiques. Les taux mesurés dans l'air indiquaient des quantités d'arsenic, de cadmium ou de plomb jusqu'à cinquante fois supérieures au seuil acceptable pour la santé. Autour du site, absence totale de végétation rongée par les pluies acides, rivières polluées par les substances toxiques - dioxyde de soufre, oxyde d'azote... - et, surtout, santé des habitants mise en péril.

Cette ville planquée au milieu des montagnes ressemblait à l'enfer sur Terre. L'hôtel où avait séjourné Duprès n'était certainement pas dédié au tourisme, mais devait être destiné à loger les cadres, les ingénieurs, les contremaîtres en déplacement.

Le flic se plongea dans les arcanes du site Internet et découvrit une information qui l'interpella. La ville détenait, au niveau mondial, le record absolu de saturnisme : le sang de quatre-vingt-dix-neuf pour cent des enfants était contaminé par le plomb. Les conséquences d'une telle maladie étaient atroces. Retard de développement mental, stérilité, hypertension, cancers, dysfonctionnement des reins...

Robillard se recula sur son siège, stupéfait. Il se rappelait les propos de Sharko : le petit blond de l'hôpital, faible, arythmique, malade, présentait lui aussi des problèmes de tension et des soucis aux reins. Ce môme n'avait rien d'un Péruvien, mais Robillard nota de demander au médecin des renseignements plus précis sur les analyses sanguines, notamment concernant la présence éventuelle de plomb.

Il but de l'eau minérale et s'attaqua à la deuxième destination.

La Chine, en juin 2011. Encore une fois, les relevés bancaires, les factures, les photocopies de réservations d'avions étaient très explicites : atterrissage à Pékin, location de voiture, puis direction Linfen, à sept cents kilomètres de la capitale, où la journaliste semblait avoir passé la majeure partie de son temps. Robillard ne tarda pas à faire un rapprochement entre la ville chinoise et le cloaque péruvien. Linfen - ancienne capitale chinoise sous le règne du roi Xiang - était située au sud de la province minière du Shanxi, où l'on exploitait un tiers des réserves de charbon du pays.

Les photos que le flic consulta étaient effroyables. Citadins masqués, brume permanente due à la pollution au dioxyde de carbone, industries sidérurgiques et chimiques à perte de vue, avec des bâtiments aux allures de monstres centenaires, qui crachaient du noir, du rouge, du jaune. Certains écologistes considéraient Linfen comme la ville la plus polluée du monde. Des sources sérieuses, semblait-il, parlaient de plus de la moitié des réserves d'eau non potable, d'infections respiratoires, de poussières de houille dans les poumons et de conditions sanitaires catastrophiques. Plus de trois millions de personnes dont la santé et celle de leurs futurs enfants étaient en péril. Quant aux mines de charbon... légales ou pas, elles avalaient régulièrement des vies humaines.

Robillard prit quelques notes, tandis que les sujets possibles du livre de Valérie Duprès se dessinaient lentement dans son esprit. Pollution, industries, conséquences sur la santé...

Tout en essayant de dresser des liens avec les découvertes de Christophe Gamblin, il s'attaqua alors à l'avant-dernière destination, Richland, dans l'État de Washington. Atterrissage et décollage à l'aéroport Tri-Cities, hôtel Clarion, dix jours sur place, du 14 au 24 septembre 2011... Les recherches Internet - Google, Wikipedia - lui parlèrent immédiatement : Richland était surnommée « Atomic City », la ville du champignon. La petite agglomération avait été bâtie à proximité du complexe de Hanford, berceau de l'industrie nucléaire américaine, là où fut fabriquée Fat Man, la bombe au plutonium larguée sur Nagasaki. La région sinistrée était considérée comme l'une des plus polluées de la planète, notamment à cause des milliers de tonnes de déchets radioactifs disséminés dans le sol et les eaux. D'ailleurs, Robillard fit rapidement le lien avec la dernière destination de la journaliste, Albuquerque, au Nouveau-Mexique. La ville était située à moins de cent kilomètres de Los Alamos, cocon du projet Manhattan, mené à partir de la Seconde Guerre mondiale. L'objectif de ce projet top secret était de percer les mystères de la fission nucléaire. D'après les photos, dans les déserts environnants, des centaines de panneaux jaune et noir - « Danger, radioactivité » - brillaient sous le soleil au-dessus des collines arides, où gisaient de vieilles voitures et des caravanes rouillées.

Los Alamos et Hanford étaient intimement liées par le nucléaire.

Les objectifs de Valérie Duprès paraissaient désormais clairs pour Robillard : elle enquêtait sur les sites pollués à travers le monde. Hydrocarbures, chimie, charbon, déchets radioactifs, dégâts sur l'organisme... Quel avait été son angle d'attaque exact ? Difficile à savoir. Peut-être avait-elle décidé de faire un état des lieux, de dénoncer, d'alerter. Voire d'attaquer. Sans doute avait-elle dérangé, et s'était, de ce fait, attiré de graves problèmes.

Robillard finit par éteindre son ordinateur, content de ses petites trouvailles.

On ne l'appelait pas le « Limier » pour rien.

Pas de musculation aujourd'hui, il était trop tard. Ses muscles attendraient.

Il préféra rejoindre sa famille, avec la satisfaction d'un travail bien fait.

25

L'air glacé du dehors se faufilait par le soupirail et se répandait dans le tréfonds des pièces souterraines. Il faisait froid, noir, seules deux ampoules éclairaient ces voûtes de brique qui semblaient se rabattre sur la frêle silhouette féminine.

Lucie avait réussi sans mal à descendre à la cave de l'habitation de Philippe Agonla. Dès que Chanteloup avait quitté l'hôpital, elle avait pris la route dangereuse, retrouvé la maison et baratiné les deux plantons en montrant sa carte d'OPJ. Les problèmes viendraient peut-être plus tard mais, pour l'heure, elle avait atteint son objectif.

Dans cette salle, tout était resté dans le même désordre. Les techniciens de scène de crime s'étaient surtout intéressés aux traces proches du corps d'Agonla, et à celles aux alentours du gros congélateur renfermant son macabre chargement. Seules subsistaient, du tueur en série, des traces de sang sur les murs et les dernières marches en béton.

Lucie s'immobilisa de longues secondes, à deux doigts de remonter et de ficher le camp. C'était peut-être une très mauvaise idée, finalement, de s'aventurer seule dans cet endroit qui puait la mort. Elle ferma les yeux, inspira profondément et s'engouffra dans l'autre salle, la plus petite.

La baignoire en fonte l'attendait au milieu de cette espèce de crypte. L'ampoule rouge, pendue à son long fil, diffusait une mauvaise lumière et empêchait de distinguer correctement les murs de brique, rouges eux aussi. C'était comme si la pièce elle-même saignait. Lucie eut le temps de penser : une ampoule rouge ici, une blanche par là, pourquoi ?

Les mâchoires crispées, elle fixa longuement la baignoire poussiéreuse et appuya ses mains contre l'émail jaunâtre, essayant d'imaginer la scène. Une femme, couchée là-dedans et terrorisée...

Il m'interdit de bouger. Il est à côté, il manipule ses produits chimiques. Le verre des pipettes et des tubes à essais me glace le sang. J'ai froid, j'ai peur, je ne sais pas ce qu'il attend de moi. Va-t-il me violer, me tuer ? D'un coup, il se penche au-dessus de mon corps immobile. Il est fort, hideux, ses yeux sont grossis par les verres de ses lunettes immondes. Je me débats mais en vain. Il m'empêche de bouger et applique un masque à gaz sur mon nez. Je respire une odeur infecte d'œuf pourri.