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Lampe torche dans la main, Lucie fit un rapide tour de reconnaissance, ses pieds enfoncés dans la neige croûteuse. Elle revint vers Sharko en haletant légèrement.

- J'ai jeté un œil par les fenêtres. Personne, apparemment.

Sharko souffla un gros nuage de buée.

- Deux options. Ou on...

Lucie frappa du poing sur la porte, plaqua son oreille contre le bois et attendit quelques secondes.

- On prend l'option numéro deux, le coupa-t-elle en trépignant de froid. On agit, histoire d'avoir le cœur net sur l'implication de ce moine dans notre affaire.

Elle tourna doucement la poignée de l'épaisse porte d'entrée, sans réussir à ouvrir.

- J'ai vu une vieille fenêtre branlante, à l'arrière, où il y a pas mal de jeu. En forçant, ça devrait céder sans dégâts.

Elle jeta les clés de voiture à Sharko, qui soupirait.

- Va planquer la voiture plus loin, au cas où il reviendrait à l'improviste. Ce serait dommage qu'il prenne la fuite. Je t'attends à l'intérieur.

- Au cas où il reviendrait à l'improviste... Je rêve. Et tu crois que nos empreintes dans la neige ressemblent à celles de lapins ?

- Ça, on n'y peut rien.

Sharko finit par acquiescer, il ne se sentait pas d'attaque pour contrarier Lucie. Il s'enfonça dans la nuit cinq bonnes minutes et, lorsqu'il revint, sa compagne lui ouvrait la porte de devant, pointant le faisceau de la torche sur son visage.

- J'ai pu entrer sans rien casser.

- T'as pas remarqué que tu me mets la torche dans la figure, là ?

- Allez, viens.

Elle referma à clé derrière eux. Le rayon lumineux dévoila un aménagement spartiate. Quelques meubles de brocante, un téléviseur à tube cathodique, des murs couverts de trophées de chasse : têtes empaillées, gueules hurlantes, cernés de fusils posés sur des présentoirs. Lucie frissonna : tous ces animaux morts, avec leurs gros yeux noirs qui sortaient de leurs orbites, lui fichaient la chair de poule.

- Il fait presque aussi froid dedans que dehors. Mais on est où, là ? J'en ai ma claque de ces montagnes et de ces glaçons qui nous pendent au nez.

Sharko ne releva pas, il était déjà parti dans la cuisine. Les placards étaient remplis de boîtes de conserve. Dans le réfrigérateur, du lait, du fromage, quelques légumes dont certains commençaient à pourrir. Mains enfoncées dans ses gants en laine, Lucie ouvrit les tiroirs. À l'intérieur, juste du matériel de cuisine. Après avoir décidé d'appuyer sur les interrupteurs qui inondèrent de lumière les pièces, Sharko se dirigea vers le séjour. Un tas grisâtre reposait dans l'âtre de la cheminée ouverte, en grosses pierres de taille. Le commissaire se pencha, les yeux plissés, et fit glisser des cendres entre ses doigts.

- Du bois et du papier, on dirait.

Les doigts gantés de Lucie effleurèrent un crucifix, posé sur une vieille bible.

- Et alors ?

- Alors rien. T'as vu une facture, des documents administratifs, toi ?

Elle ouvrit des meubles, des tiroirs, jeta un œil dans une vaste bibliothèque, accolée à un mur. Des ouvrages religieux... différentes bibles... de la littérature scientifique : chimie organique, botanique, entomologie...

- Pas vraiment, fit-elle. Il n'est peut-être pas du genre à garder ses papiers. Et vu les environs, je me demande même si le facteur passe dans le coin. J'ai l'impression de me trouver au fin fond de nulle part et d'être revenue au Moyen Âge.

- Ce n'est pas qu'une impression. Ça aurait été bien de dénicher une carte grise, ou des papiers de voiture. Imagine qu'il possède une Mégane bleue.

- Ce qui, en soit, ne serait qu'une orientation d'enquête, pas une preuve.

Lucie mit la main sur une rangée de dictionnaires bilingues et de mini-aide-mémoire, qu'elle feuilleta rapidement. D'après la date indiquée en quatrième de couverture, ces ouvrages dataient d'une dizaine d'années.

- Du russe, fit-elle. Pourquoi un moine reclus au beau milieu de la montagne se mettrait-il au russe ?

Elle parla ensuite pour elle-même, tout bas.

- Il a acheté ces dictionnaires au moins quinze ans après l'arrivée du type de l'Est au monastère. Qu'est-ce qui cloche ?

Sharko jeta un œil par la fenêtre. Ensuite, direction la salle de bains, puis la chambre. Une armoire à demi bouffée par l'usure était entrouverte. Lucie trouva, à l'intérieur, des pulls en laine, des pantalons doublés et en toile, de grosses chaussettes, des bottes de chasse, quelques jeans, aussi. Plus haut, il y avait une énorme parka verte à capuche fourrée, et différentes chapkas, soigneusement accrochées. La flic observa les étiquettes, à l'intérieur. Alphabet cyrillique.

- Du russe, encore. Il ne faisait pas qu'apprendre la langue, il est aussi allé là-bas.

Le crucifix collé au fond de l'un des compartiments la fit frissonner. Elle referma la porte immédiatement.

- Fichus crucifix, il y en a partout. Ça me dérange quand même de violer l'intimité d'un ex-moine.

- Sans déconner. Fallait y penser avant.

Elle soupira.

- On ne sait même pas à quoi ce type ressemble. Pas une photo, rien.

Ils poursuivirent leurs fouilles, longtemps, et ne palpèrent du bout des doigts que le spectre de l'existence d'un homme reclus, qui vivait dans la simplicité et l'anonymat. Sharko sentait Lucie sur les nerfs, elle se mettait à tourner en rond. Il lui prit la main.

- Ça fait plus d'une heure qu'on cherche. Même si cet ex-abbé a quelque chose à voir avec notre affaire, il n'y a rien à trouver ici, et il est tard... Allez, viens.

Elle ne se laissa pas faire.

- Je ne sais pas. J'ai l'impression qu'un détail nous échappe. Qu'on n'effleure que la surface. Il faudrait faire une perquise en bonne et due forme. Fouiner dans les recoins.

- Tu t'attendais à quoi ? Un vieux manuscrit planqué au fond du Frigidaire ? Des cadavres dans le congélo ? Allez, amène-toi.

- Tout est trop propre. Je crois que cet homme est hyper méfiant, et qu'il n'a pas laissé la moindre trace d'objets ou de papiers qui pourraient nous en apprendre plus sur lui. On a fouillé sa maison, et on ne sait rien. Pas d'objets personnels, pas de lettres, ni de photos. T'as déjà vu ça, toi ?

- Ce type est ou était un religieux pur jus. Pauvreté, simplicité, don de soi, ça te dit quelque chose ?

Elle fureta encore du regard, hésitant quelques secondes.

- Bon, on sort, mais on attend encore un peu dans la voiture. Il finira bien par revenir.

- Et s'il ne revient pas ? S'il avait été là aujourd'hui, il ferait un peu plus chaud dans la maison, non ? Il a coupé le chauffage, ça laisse augurer une absence prolongée. Et même s'il se pointe, on lui tombe dessus et on l'interroge ? Tu crois qu'il va nous avouer, brut de fonderie, qu'il a brûlé les moines il y a vingt-six ans ?

Lucie inspira, puis acquiesça.

- Très bien, tu as gagné. Mais demain, avant de rentrer à Paris, on met Chanteloup sur le coup, il faut que quelqu'un creuse sur ce François Dassonville et l'interroge dans les règles.

- Ça me paraît être la meilleure solution. En espérant que ce gendarme ne nous fera pas une crise d'épilepsie quand on lui apprendra que tu as piqué le cahier à la cave.

Ils vérifièrent qu'ils n'avaient rien laissé de travers puis se dirigèrent vers les fenêtres qui donnaient sur l'arrière de la salle à manger. Lucie avait forcé en poussant de l'extérieur et, avec le jeu, le loquet était sorti du petit verrou qui unissait les deux battants. La flic passa sa main sur le vieux bois, d'où s'écaillait de la peinture blanche.

- Ça a cédé en poussant mais, de dehors, il va être impossible de verrouiller de nouveau ces fenêtres. Je préfère qu'on referme ici proprement et qu'on passe par la porte d'entrée. Même si on ne peut pas verrouiller à clé, au moins, rien ne prouvera que quelqu'un est entré. L'abbé croira peut-être avoir oublié de la boucler.