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- Bien sûr. Avec de belles traces de pas qui font le tour de la maison.

- T'es chiant, Franck.

- Je sais.

Elle hocha le menton vers la sortie.

- Il y a une remise à bois, à l'arrière. On fait un dernier tour par là et on décolle.

Après n'avoir rien découvert de plus dans l'abri à bois, ils regagnèrent leur véhicule, mirent le chauffage à fond et reprirent la route vers la vallée, direction Chambéry. Lucie grelottait encore et soufflait dans ses mains glacées.

- Il est temps qu'on retourne à Paris. Entre les cadavres dans le congélateur de Philippe Agonla, les yeux fous de frère Joseph et le fait que j'ai failli te perdre, je n'en peux plus de ces montagnes.

Elle fixa la route, qui se perdait dans la nuit. Les ombres des pins, menaçantes. Tous ces ravins qui lui fichaient le vertige.

- J'ai l'impression qu'on n'est pas en sécurité, ici.

Sharko songeait à la réalité qui l'attendait, dès son retour dans la capitale. Les résultats du test de sperme... Le taré qui semblait s'acharner sur lui et accélérer le rythme. Comment réussirait-il à protéger Lucie d'un malade qui voulait leur faire du mal ?

Il se pinça les lèvres et lâcha finalement :

- Paris n'est pas mieux, question sécurité. Là-bas, tu devras te méfier de tout le monde. Le moindre inconnu qui t'approche, le moindre regard de travers. Faudra que tu restes vigilante.

Ils traversaient une forêt de mélèzes. La route se tordait entre les troncs oppressants, la visibilité était réduite. Lucie fixa son compagnon étrangement.

- Pourquoi tu me ressors ton vieux discours de paranoïaque sur l'affaire Hurault là, maintenant, au milieu de nulle part ?

Sharko haussa les épaules.

- Mince, Franck, passe à autre chose ! Moi, je te parle de concret, de meurtres, d'enlèvements. T'as failli y rester dans le torrent parce que tu t'es laissé surprendre. Tu n'as jamais perdu ton arme de service, et voilà que ça t'arrive. Avant, t'aurais défoncé les portes de la bergerie, et c'est moi qui serais allée déplacer la voiture.

Elle souffla par le nez.

- Je ne sais pas... J'ai l'impression que t'es à côté de la plaque, ces derniers temps. Tu es là, avec moi, mais ton esprit est ailleurs.

Sharko bifurqua brusquement sur le bas-côté. Les chaînes crissèrent, le véhicule finit par s'immobiliser. Le commissaire ouvrit la portière d'un mouvement sec.

- Tu crois connaître mon passé, mais tu ne sais rien de moi.

- Au contraire, j'en sais plus que tu ne le crois.

- Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

- Rien du tout. Fiche-moi la paix.

Il la regarda longuement et sortit. Lucie le vit courir vers l'arrière et ne distingua plus que sa silhouette, qui semblait s'acharner sur quelque chose. Elle mit le pied dehors au moment où il revenait vers la voiture avec une masse sombre dans les bras. Il ouvrit alors le coffre et y jeta le jeune sapin, dont les racines pleines de terre pendouillaient. Puis il se frotta les mains l'une contre l'autre et retourna dans la voiture. Une fois que Lucie vint se rasseoir à ses côtés, le fixant de ses grands yeux bleus, il redémarra en grognant : - Tu l'as, ton fichu sapin de Noël. T'es contente ?

31

Lundi matin, 19 décembre.

7 heures.

Le réveil avait arraché les deux amants de leur sommeil. Ils s'étaient couchés tard, après avoir dîné au restaurant de l'hôtel, bu modérément et fait l'amour. Sharko s'était rasé et avait enfilé un jean et un pull, Lucie avait caressé son ventre plat devant le miroir avec un sourire. Grâce à un test de grossesse qu'elle avait déjà au fond de son sac, elle aurait la confirmation, pour la fin d'année - on conseillait d'attendre une dizaine de jours avant utilisation, - que « ça » avait fonctionné.

Puis, après un petit déjeuner copieux pour elle et moins pour lui, ils s'étaient mis en route vers la gendarmerie de Chambéry, pour qu'on prenne leur déposition. Plus tard, ils attendirent le moment opportun pour s'isoler avec Pierre Chanteloup. Assis dans le bureau du commandant, ils lui expliquèrent calmement le fil de leurs découvertes récentes. Le cahier. Les propos d'Hussières sur l'assassinat des moines. L'implication potentielle de l'abbé François dans cette histoire. Ils ne manquèrent pas de lui dire qu'ils prenaient la route, là, maintenant, et que la SR de Chambéry ne les aurait plus jamais dans les pattes. Après cette ultime annonce, le gendarme, qui était passé par tous les états de nervosité, sembla finalement prendre la chose avec professionnalisme. Il était surtout soulagé que ces deux-là fichent le camp de ses montagnes.

- Très bien. Je vais rouvrir les dossiers sur l'incendie de 1986 et creuser en priorité sur ce François Dassonville. Soyez certains qu'avec ce que vous venez de nous raconter, on ne va pas le lâcher.

Il fixa Lucie dans les yeux :

- Mes subordonnés m'avaient signalé que vous étiez retournée dans la cave de Philippe Agonla. Je ne vous cache pas que j'étais sur le point d'en informer votre hiérarchie, en exigeant une sanction disciplinaire.

- Tout est bien qui finit bien, donc, répliqua Lucie, non sans une pointe d'arrogance.

- Vous concernant, sans doute. Mais pour l'affaire, c'est une autre histoire.

Sharko se leva et enfila son caban.

- Nous comptons sur vous pour nous tenir informés de vos investigations. Nous ferons évidemment de même de notre côté. Les fils de la pelote sont emmêlés. Ni vous ni nous n'y arriverons seuls, nous avons tout intérêt à coopérer.

Chanteloup acquiesça et serra la main que lui tendait Sharko. Le commissaire ajouta, avec un sourire forcé :

- Avant de rentrer à Paris, nous souhaiterions des copies d'excellente qualité de ce cahier, et idem pour la photo d'Einstein. Plusieurs exemplaires, si possible. Vous pouvez faire ça pour nous ?

15 h 45.

Lucie somnolait, sa tête émettant de brusques va-et-vient entre sa poitrine et le repose-tête de son siège. Durant tout le trajet du retour, Sharko n'avait cessé de ruminer. En cette période chargée des fêtes de fin d'année, il allait devoir refaire certains papiers - permis de conduire, certificat d'assurance - et récupérer une nouvelle arme de service. Bref, des après-midi à galérer de commerces en administrations, au milieu de la cohue.

Il venait d'acheter à la va-vite un téléphone portable avant le départ de Chambéry : un appareil bas de gamme, avec un numéro qu'il avait déjà mémorisé et un forfait jetable qui lui permettrait de tenir en attendant de régulariser la situation avec son opérateur. Au milieu de tout ce chaos, il pensait aussi, évidemment, aux résultats d'analyses de sperme. Le bilan ADN devait être disponible sur la boîte mail bidon et le flic se sentait incapable d'attendre le lendemain matin. Aussi, après avoir déposé Lucie à l'appartement, il retournerait au 36 pour récupérer dans son ordinateur l'adresse tordue et, ensuite, se connecterait à la messagerie adéquate via Internet.

Les panneaux, les kilomètres se succédèrent encore. Il faisait terriblement froid mais ne neigeait plus depuis deux jours, ce qui avait permis à la DDE de déblayer complètement les grands axes. Autour, par contre, le paysage était lunaire : étendues blanchâtres à perte de vue. Sharko ne se souvenait pas d'un tel hiver, avec de si importantes précipitations sur l'ensemble du pays. Même à Nice et en Corse, ils avaient eu leur dose de flocons.

Le véhicule était à une cinquantaine de bornes de la banlieue parisienne lorsque Lucie fut brusquement tirée de son état de somnolence par la sonnerie de son téléphone portable. Elle s'étira deux secondes avant de décrocher. Sharko put la voir se décomposer en temps réel, tandis qu'elle ne répondait que par de courts acquiescements sonores. Après qu'elle eut raccroché, elle plaqua ses mains sur son visage dans une inspiration, puis se tourna vers Sharko.