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- Véronique Darcin.

- Exactement. Ainsi, Scheffer n'a jamais pu savoir à qui il avait véritablement affaire, au cas où il lui aurait pris l'envie de fouiller le passé de son amante. L'employée ne connaît pas les détails de leur rupture, mais elle n'a plus jamais aperçu Duprès chez Scheffer aux alentours de fin novembre. Elle assure que, à cette période, son patron paraissait très préoccupé. Elle a évidemment mis cela sur le compte de la séparation, mais toi comme moi, on sait à présent que c'était probablement dû au message dans "Le Figaro", paru le 17 novembre.

- Il le lit tous les jours ?

- Il y est abonné, il le reçoit très tôt tous les matins et le lit de A à Z, méticuleusement. Une petite manie qu'a probablement remarquée Duprès en vivant à ses côtés. Et qu'elle a exploitée à la perfection.

Sharko y voyait à présent plus clair.

- Les pièces du puzzle s'assemblent progressivement. Valérie Duprès revient d'Albuquerque avec un nom en tête : Léo Scheffer, odieux personnage qui a réalisé des expériences sur des cobayes humains, et qui quitte brusquement les États-Unis en 1987. Notre journaliste d'investigation le retrouve, elle veut aller au bout de son enquête et est prête à tout pour sortir un livre qui fera mal.

- Y compris à coucher avec un type qui doit la répugner.

- Ou au contraire, qui la fascine. Dans tous les cas, elle va pénétrer la vie de Scheffer. Entrer dans sa maison, fouiller ses papiers, obtenir des confidences sur l'oreiller. Pas évident, car si Scheffer cache un sombre passé, il a dû soigneusement tout cloisonner et ne doit pas être bavard. Alors, elle lui tend un piège : elle passe son annonce dévastatrice dans "Le Figaro", qui accuse directement Scheffer par codes interposés et réveille les vieux souvenirs. Elle n'a plus qu'à observer la réaction de son amant le matin du 17 novembre, alors qu'ils déjeunent peut-être tous les deux. Tracer ses appels, voir s'il ouvre un coffre-fort qu'elle a sans doute déjà repéré depuis longtemps. D'une manière ou d'une autre, elle parvient à récupérer la combinaison. Et accède à ce fameux classeur.

- Et c'est probablement à la suite de cet épisode qu'elle arrive sur la piste des enfants. Le coffre contenait sûrement d'autres papiers que ceux sur l'hypothermie. Ils indiquaient peut-être des lieux, des adresses, des contacts.

Ils restèrent chacun plongés dans leurs pensées. Sharko songeait à Valérie Duprès, qui s'était jetée dans la gueule du loup. Il imaginait son excitation, sa peur, son dégoût, face à Scheffer, auteur de sombres expérimentations au Nouveau-Mexique, héritier des ténèbres de son père. Cela expliquait aussi les fouilles dans l'appartement de la journaliste : Scheffer ou Dassonville étaient venus chercher, peut-être, les copies ou les photos des papiers du coffre-fort.

Au bout d'un quart d'heure, Bellanger se gara près du canal Saint-Martin, aux berges toutes blanches. Les vieux murs de l'hôpital se dressaient en arrière-plan, sous un ciel encore encombré de nuages. Sharko regarda sa montre.

- Lucie arrive à Orly à 13 h 04. J'irai la chercher et lui donnerai des explications concernant l'affaire Gloria Nowick. Je ne pourrai pas y couper, elle finirait par le savoir, tôt ou tard.

- Très bien.

- Tu penses qu'on pourra avoir une surveillance au bas de mon immeuble ? J'ai peur que... qu'il se passe bientôt quelque chose.

- Faudra voir avec Basquez. Mais vu le nombre de personnes en congé, ça ne va pas être simple.

Ils passèrent sous l'arche, traversèrent une cour carrée et se dirigèrent vers le service de médecine nucléaire. Après avoir montré leur carte de police à l'accueil, les deux flics furent rapidement reçus par Yvonne Penning, la chef de service adjointe. Une grande femme aux traits sévères, d'une cinquantaine d'années, plantée dans sa blouse aussi froidement qu'un piquet de parasol dans le sable. Bellanger fit les présentations et expliqua qu'ils cherchaient Scheffer. Yvonne Penning s'installa dans son fauteuil en cuir, les bras croisés, se balançant légèrement de droite à gauche. Elle les invita à s'asseoir.

- La dernière fois que je l'ai vu, c'était hier, vers 18 heures. Il est parti précipitamment, sans donner de raison particulière. Il prend normalement son service ce matin à 8 heures, il n'est jamais en retard. Il ne devrait plus tarder.

- Ça m'étonnerait qu'il revienne, répliqua Bellanger. Sa maison est vide. Monsieur Scheffer semble avoir disparu de la circulation en emportant le strict nécessaire avec lui.

Penning accusa le coup, le mouvement de balancier sur son siège s'arrêta net. Le jeune capitaine de police sortit une photo de Valérie Duprès de sa poche et la lui tendit.

- Vous connaissez cette femme ?

- Le professeur est déjà venu avec elle à l'hôpital, ils sont allés visiter les différentes unités. Je les voyais souvent déjeuner ensemble également, au restaurant situé à une centaine de mètres d'ici. Mais ça doit remonter au mois dernier. Oui, c'est ça.

- Il amenait ses conquêtes ici ?

- La vie privée du professeur ne me concerne pas, mais à ma connaissance, elle était la première qui mettait les pieds dans l'hôpital.

Sharko visualisait parfaitement le manège de Duprès. Elle cherchait de l'information partout où elle le pouvait. Bellanger présenta une autre photo. Sur le papier glacé, l'un des gamins étalé sur une table d'opération.

- Et ça, ça vous parle ?

Elle secoua la tête en grimaçant.

- Absolument pas. En quoi cela concerne-t-il le professeur Scheffer ?

- Quelle est sa fonction précise dans cet hôpital ? Est-ce que le professeur pratique des opérations chirurgicales ?

Un temps de silence. Yvonne Penning ne sembla pas apprécier qu'on élude ses questions, mais elle finit par répondre.

- Ses différentes activités lui prennent beaucoup de temps, mais il continue à faire des diagnostics et à suivre des patients. Non, il ne pratique pas la chirurgie. Personne n'opère, d'ailleurs, dans notre service. Ici, on dresse des états des lieux, on étudie le bon ou le mauvais fonctionnement de tous les systèmes du corps humain grâce à des scintigraphies ou à de la radiothérapie métabolique. Pour faire simple, on administre des traceurs biologiques au patient, et on regarde le comportement des organes ou des glandes visées en suivant ces traceurs. Le professeur Scheffer est le grand spécialiste de la thyroïde et des cancers thyroïdiens. Sa renommée dépasse nos frontières.

- Depuis quand travaille-t-il ici ?

- Oh, ça doit bien faire vingt ans. Il vient des États-Unis. Son père était un grand chercheur, qui a beaucoup contribué au développement de la médecine nucléaire à travers le monde.

- Une idée sur sa raison de quitter les États-Unis pour venir travailler en France ?

- Même s'ils vivaient en Amérique, ses parents étaient français. La France est son pays et celui où a vécu Marie Curie, à qui il voue, aujourd'hui encore, une admiration sans limites. Il s'agit là d'un retour aux origines, sans doute. Je ne peux pas vous en dire davantage, malheureusement.

Sharko se pencha un peu vers l'avant, les mains groupées entre ses jambes. Il ressentait des douleurs dans la nuque, dans les épaules, dues certainement au manque de repos et à la tension nerveuse accumulée.

- Peut-on jeter un œil à son bureau ?

Elle les invita à la suivre. La porte était fermée, mais elle avait un double des clés. Le bureau était parfaitement rangé, propre, fonctionnel. Les deux policiers fouillèrent rapidement du regard.

- Est-ce que monsieur Scheffer s'occupe d'enfants, dans votre hôpital ? demanda Sharko.

- Les enfants, c'est l'autre grande partie de sa vie. Le professeur Scheffer est le fondateur de la FOT, la Fondation des Oubliés de Tchernobyl, qui a été mise en place en 1998. Il a investi énormément d'argent dans ce projet. Léo Scheffer a hérité d'une fortune de son père, et peut aussi compter sur le soutien de divers investisseurs fortunés.