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- Et c'est rare ?

- Pas vraiment, non. Elles sont assez nombreuses dans les eaux sauvages et stagnantes, on les déniche principalement sous les nénuphars. Mais elles sont très difficiles à repérer parce que, dès qu'on les sort de l'eau, elles s'aplatissent et sont complètement immobiles.

Mickaël Langlois s'empara d'un scalpel.

- Regardez bien.

Il approcha la lame d'une hydre et la coupa en deux. La partie haute contenait la tête et les tentacules, tandis que la basse le tronc et le pied. Les deux morceaux continuaient à s'agiter, comme si de rien n'était.

- D'ici à demain, deux hydres se seront complètement régénérées, à partir de ces deux morceaux. C'est l'une des particularités extraordinaires de cet animal : que vous coupiez un tentacule, un morceau de tronc, ou n'importe quelle autre partie, cela finira par redonner une hydre complète, avec une bouche, de nouveaux tentacules, une tête. J'ai fait l'expérience hier soir. Les deux hydres que vous voyez dans la coupelle proviennent du même individu, celui de droite. Celui de gauche va grossir et finira par avoir la même taille que son voisin. Génétiquement, ils ont exactement le même ADN. Ce sont des clones.

Sharko resta subjugué devant ce curieux spectacle de la nature. Il avait déjà entendu une chose pareille avec la queue des lézards ou le bras des étoiles de mer, mais jamais une reconstruction intégrale à partir d'un morceau quelconque.

- C'est incroyable, comment ça fonctionne ?

- Le processus complet reste encore bien mystérieux, mais disons que ses premiers secrets commencent à être percés. Tous les êtres vivants sont programmés pour vieillir, puis mourir, cela fait partie de l'évolution et du juste équilibre des espèces. Profondément ancré dans nos gènes, il y a un phénomène que l'on appelle l'apoptose, ou le « suicide cellulaire ». Les cellules sont programmées pour mourir. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'apoptose est nécessaire à la survie de notre espèce. Sur le temps d'une vie, les différents programmes génétiques accroissent la mort des cellules et freinent leur régénération. C'est ce qui crée la vieillesse, puis la mort.

De la pointe de son scalpel, il stimula délicatement la moitié supérieure de l'hydre. Les tentacules se replièrent comme une feuille de papier qu'on brûle.

- Lorsqu'on coupe une hydre, les deux parties commencent par mourir. Mais chez cet animal, l'apoptose qui se déclenche stimule la prolifération de cellules voisines de reconstruction. D'une façon que nous ne comprenons pas encore, la vie prend alors le dessus sur la mort. Et l'animal renaît, en quelque sorte.

La mort des cellules, la renaissance... Lucie songeait aux propos du spécialiste en cardioplégie froide, au sujet de la mort somatique puis cellulaire. Ces différentes strates de dégradation, qui menaient à un point de non-retour. Elle essaya d'assembler les pièces du puzzle, persuadée que toute leur histoire tournait autour de ce combat contre la mort. Elle se raccrocha aux photos des gamins sur la table d'opération et demanda :

- Les mômes étaient tatoués d'une hydre. Ou plutôt, d'un symbole qui représentait une hydre. Si on devait prendre l'hydre pour symbole d'une cause quelconque, d'un combat ou d'une croyance, qu'est-ce qu'elle représenterait le plus ? La renaissance ? La régénérescence ? Le clonage ?

- L'immortalité, répondit le spécialiste du tac au tac. Le pouvoir de traverser les époques dans un même corps, sans vieillir. C'est pour cela qu'elle intéresse tant les chercheurs. Oui, on la considère aujourd'hui comme le mythe vivant de l'immortalité.

Les flics se regardèrent. Sharko se rappela cette fresque du serpent qui se mord la queue, dans la salle de bains de Scheffer : Ouroboros, l'un des symboles de l'immortalité. Et toutes ces horloges, ces pendules, accrochées au mur de sa maison, et même le sablier géant : le rappel du temps qui passe, et qui nous rapproche inéluctablement de la mort.

Bellanger allait et venait, une main au menton.

- Ce n'était peut-être pas un trucage, fit-il pour lui-même.

Il leva un regard sombre vers ses subordonnés et clarifia sa pensée :

- Ces deux photos du même môme, qui ont six ou sept ans d'écart, ne représentent peut-être que la réalité. Celle d'un gamin qui, comme une hydre, n'aurait pas vieilli.

Tous se rendaient compte à quel point leur conversation paraissait démente et, pourtant, les faits étaient là, incompréhensibles. Quels secrets avait découverts Dassonville au point de renier Dieu et d'éliminer ses frères de cœur ? Qu'est-ce qui avait pu précipiter Scheffer en dehors des États-Unis et le pousser à mettre en place toute une organisation pour approcher des enfants d'Ukraine ?

Sharko secouait la tête, il ne voulait pas y croire. L'immortalité n'était qu'une chimère, elle n'existait pas, elle n'existerait jamais chez l'homme. Que dissimulait ce fichu manuscrit ?

- Visuellement, j'ai constaté que les hydres dans les aquariums les plus à droite semblaient beaucoup moins vigoureuses, comme si... elles étaient mourantes, fit le spécialiste. J'ai envoyé les tissus des différentes hydres à un laboratoire de biologie cellulaire. J'ai aussi réalisé des prélèvements d'eau. En tout cas, j'espère qu'ils auront des choses à nous raconter d'ici un à deux jours. Cette histoire m'intrigue tout autant que vous.

- Et pour le contenu du congélateur ?

- C'est en analyse.

Un téléphone sonna. Celui de Bellanger.

Lucie restait là, immobile, face à la partie basse de l'hydre, qui bourgeonnait déjà comme une plante au printemps. Un petit organisme plein de vie, qui ne voulait surtout pas mourir.

Parce qu'il n'y avait rien de pire que la mort. Et pas seulement quand elle vous frappait, mais aussi quand vous y surviviez.

Lucie avait survécu à la mort de ses jumelles.

Et la vie le lui rappelait cruellement chaque jour.

60

Les lieutenants Robillard et Levallois avaient de nouvelles informations à transmettre. Aussi, dès son retour au 36, Nicolas Bellanger organisa une réunion avec ses quatre subordonnés. Il ferma la porte qui donnait sur leur open space, tandis que Lucie arrivait avec des cafés pour tout le monde.

Il fallait allumer la lumière, tant il faisait sombre avec ces lourds nuages qui chargeaient le ciel. Les visages des cinq flics étaient tous marqués par la fatigue et les longues journées qu'ils venaient de vivre. Robillard aurait dû être auprès de sa famille depuis la veille, mais il était encore là, à racler les fonds de tiroirs, malgré les scènes de ménage et les « T'es où, papa ? ». Sharko venait de passer par le bureau de Basquez, qui n'avait toujours pas de piste probante au sujet du tueur de Gloria. Le capitaine de police avait finalement écouté le commissaire et avait mis une voiture en planque devant la résidence de L'Haÿ-les-Roses.

Quant à Lucie, elle détenait à présent leurs billets électroniques pour l'Ukraine, ainsi que la réservation à l'hôtel Sherbone, à Kiev. L'avion décollait en direction de la capitale ukrainienne à 18 h 02. Le bureau des missions se chargeait d'organiser au mieux leur périple avec la collaboration de Wladimir Ermakov, le guide traducteur de l'association.

Dire que le lendemain au soir, c'était le réveillon...

Un réveillon pas comme les autres, parce qu'il se ferait à la lueur d'un réacteur nucléaire qui avait tué des millions de gens. Il y avait mieux, comme voyage d'hiver.

Le lieutenant Levallois but une gorgée de café et attaqua :

- Alors, j'ai eu le retour concernant les organismes de santé spécialisés dans la contamination radioactive. Le gamin présentait un taux de césium 137 de 1400 becquerels par kilo.