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Mon beau visage mâle exprime l’amabilité la plus complète. Je dois ressembler au démarcheur d’assurances vie baratinant une nonagénaire.

— Veiller un mort à deux est incorrect ? m’esclamé-je à voix basse, ce qui n’est pas donné à tout le monde.

Elle hésite.

— Vous êtes jeune, ajouté-je, et la nuit est longue.

C’est tout. Ça ne veut strictement rien dire, mais ça fait sérieux, moi je trouve. Le genre de remarque qui pousse à la réflexion.

Elle hausse les épaules.

Je me hâte de considérer la chose comme un acquiescement et amène deux fauteuils près de la lampe basse, le plus loin possible du lit mortuaire.

— Asseyons-nous, mademoiselle. Mon nom est San-Antonio, avec un tiret ; mon prénom : Antoine. Mais, contrairement à ce qu’on pourrait en conclure, je ne suis pas d’origine ibérique. Dans ma famille, nous sommes français de père en fils depuis que votre grand César a flanqué la pâtée à notre sympathique Vercingétorix. Puis-je connaître votre petit nom ?

— Ellena.

— Mon Dieu, c’est inespéré. J’ai toujours eu un faible pour le prénom d’Hélène. Il est encore plus beau en italien. Ah ! l’Italie ! L’Italie ! La chère Italie !

Et j’y vais à fond la caisse dans le lyrisme touristique. Qu’en plus, elle est de Sienne ! Alors, tu parles, Sienne et sa place fabuleuse ! J’en remets. Puis la fais se raconter.

Ellena, fille d’un viticulteur. Mère morte tôt. Papa remarié avec marâtre. Départ de la maison avant la fin des études. Bourlingage. U.S.A. Fille au pair. Serveuse dans un restau de la Petite Italie à New York. Retour à Roma. Formation d’infirmière. Fait la connaissance de la signora Morituri au cours d’une hospitalisation de cette dernière. La mère du constructeur, impressionnée par la qualité de ses soins, lui propose de la prendre comme dame de compagnie. Ellena accepte. Point à la ligne.

Elle a la voix douce, le regard velouté. Du charme.

Je lui propose de boire quelque chose. Elle n’ose pas commander des boissons, compte tenu de la situation. Casse-la-tienne (comme dit Béru), je vais piller le bar de ma chambre et j’en ramène des boissons fermentées. Je confectionne des cocktails assez véhéments bien qu’ils fussent doux.

Elle aime assez picoler : ça se voit à la manière qu’elle enquille mes breuvages sans rechigner. Le ton ne monte pas pour autant, on continue de parler bas, mais on rapproche nos fauteuils (moi, du moins, je pousse le mien vers le sien, ce qui revient au même). On est bien, on oublie la vieille morte qui a la discrétion de ne pas encore sentir. Elle ne sait pas ce qu’elle va faire, désormais, Ellena, sa patronne étant cannée. Le milieu hospitalier, c’est pas le pied. Peut-être se fera-t-elle assistante médicale. Moi, je lui dis que jolie à son point, elle n’aura aucun mal à se caser. Rien n’a changé en ce bas monde : il vaut toujours mieux être belle avec un beau cul que malade et ressembler à Krazucki. Et puis peut-être que le signor Aldo Morituri l’aidera à se recycler, en reconnaissance des soins éclairés dont elle a entouré sa maman ?

Tout en devisant, je continue de penser à la femme d’Alexis. La manière fulgurante qu’elle m’a ensorcelé, la divine bougresse.

« Sana, mon grand, m’exhorté-je, tu dois réagir coûte que coûte. Ne pas te laisser glisser dans les songeries merdancoliques dont parle le Gros. Le coup de cœur, c’est fort, c’est bon, ça survolte, mais ça ne doit pas se prolonger. »

Ayant examiné la chambre, je note qu’elle ne comporte pas de porte de communication avec une autre pièce. J’en fais la remarque à Ellena.

— Votre chambre n’est point attenante à celle de Mme Morituri ?

— La mienne est à l’étage au-dessous.

— Voilà qui est curieux, généralement une dame de compagnie ne se sépare pas de sa patronne, sinon elle n’est plus « de compagnie ».

Ellena a un sourire désenchanté.

— Les chambres du premier coûtent moins cher.

Ah ! bon. Compris. La vioque était rapia. J’ai la discrétion de ne pas engager la converse sur ce terrain délicat. On ne va pas dauber sur une morte que l’on veille !

— Ellena, gazouillé-je de mon ton caressant le plus surchoix, comment se fait-il que vous ne soyez pas mariée ? Une personne aussi ravissante et accomplie que vous !

Chouette, hein ? « Accomplie », faut savoir le déballer. Un peu suranné, mais foutralement classe, non ? T’en trouveras, toi, des auteurs de polars qui te sortent un « accompli » à la fortune du pot ? Ça devient aussi chiadé que du Mauriac, les Toniaiseries. Régence ! Stricte ! Le jour où je me balaie les scories, gros mots, balourdises, facilités de langage, graveleuseries, dégueulasseries, je fais un malheur ! Les Gallimouille, Grasset, Seuil et consœurs me sucent pour m’avoir, me font feuille de (laurier) rose, supercontrats à l’encre indélébile, doigt de velours dans l’oigne, tirages numérotés sur Japon Impérial, Vélin Lafuma (Lafuma, c’est du belge !). L’édulcoration me magnifie ! Je tourne « incontestable ! »

La môme a rougi de ma question, je le vois bien, malgré la chiche lumière. Dis, j’ai soudain des craintes : elle goûterait pas à l’ail, la signorina ? Jouerait pas de la gimbarde à poils ? Du gode à pile ? Si elle prend son fade avec Mazda, je l’ai dans le sac tyrolien, mon drôle !

— J’ai fait, aux Etats-Unis, une expérience malheureuse, révèle-t-elle. Un officier de marine américain, père de deux enfants. Il se prétendait veuf, et puis…

Bon, j’ai déjà donné. Entendu ce genre d’historiette des chiées de fois.

Elle soupire. C’est le moment de lui saisir la main. De murmurer du très suave, du compassieux. Je susurre :

— Pardon de vous rappeler un mauvais souvenir, Ellena.

Je me retiens d’ajouter que si elle en veut un bon, il est déjà dans ma culotte, en batterie, prêt à intervenir.

Elle m’abandonne sa main, comme on dit puis dans la vraie littérature littéreuse à injection. Tu parles que je la porte à mes lèvres pour un chaste baiser au bout de ses doigts fuselés. Doucement, retiens l’attelage, Antoine ! Laisse pas la bride à ton quadrige, sinon c’est toi qui seras piqué. Faut le manœuvrer avec un soin extrême, ce petit sujet rital. Se frayer un chemin dans les pudeurs.

Je continue de tenir sa dextre, mais la pose sur l’accoudoir de nos fauteuils. En travers. Mon guignol est si tendu qu’il se trouve à pas dix centimètres d’elle. Pas terrible, la distance, hein ? Me suffirait de lui abaisser lentement les doigts pour les amener au contact. Seulement, si elle rebiffe, l’extase vole en éclats et, en deux coups de cuiller à appeau, le commissaire joli se retrouve dans le couloir avec sa grosse bitoune hagarde sous le bras !

— Il est des instants qui font de la musique, chuchoté-je.

Le nombre de fois que je l’aurai balancée, celle-là ! Et toujours elle remplit son office. Ta compagne déglutit à glotte feutrée, sa poitrine se soulève et elle s’aventure dans les mouillances incoercibles.

Un temps. Son souffle s’accélère. A l’entresol, Mister Braque voudrait faire un rétablissement, crever mon bénoche et passer sa tronche de lard par la lucarne. Faut dire que c’est une forte-tête, Messire ! Un sanguin !

Et alors, le miracle inescompté a lieu. Les doigts de la dame de compagnie s’abaissent négligemment et rentrent en rapport affectueux avec le corps du délit (voire le délit du corps). Dans un premier temps, ils jonctionnent seulement. Période indécise. Puis ils reptent en reconnaissance, identifient à coup sûr. Ensuite, ils établissent une tête de pont, s’écartent pour s’arrondir et coiffer l’objet. Ah ! la prodigieuse lenteur du mouvement entrepris. Caresse fabuleuse ! Va-et-vient à peine marqué, mais irrésistible.