Pauvre chère signora ! Si son constructeur de fils apprenait nos galipettes !
Ellena réapparaît, les cheveux mouillés, fleurant bon l’eau de toilette.
— Je n’ai pas pu résister à l’envie de prendre une douche, dit-elle. Le directeur et sa femme sont partis ? Seigneur, que n’avions-nous mis le verrou ! Vous croyez qu’ils relateront notre conduite au signor Morituri ?
— Non. Clabote est un ami de longue date et il est discret.
— J’ai honte, soupire-t-elle en se laissant tomber dans le fauteuil qui me fait face.
— A quoi bon ? soupiré-je.
— En tout cas, c’était divin.
Bien que je me fasse une autre idée du « divin », j’opine. La friponne considère cela comme une absolution et avance son pied nu jusqu’à ma braguette. Insatiable ! S’imagine-t-elle que je vais faire rebelote ? Faut pas pousser, d’autant que j’avais déjà donné dans l’après-midi, souviens-toi du jambonnage éclair avec Marinette, la secrétaire ! Du bout de ses orteils carminés, elle me farfouille la batterie de cuisine. M’attise les ardeurs, souffle sur mes brandons.
Plus agacé qu’excité, je saisis sa pattounette. Sois pas butor, Sana, je te conjure. Pense à la France ! Au lieu de lui refouler le panard, je le porte à mes lèvres pour quelques petits bisous d’amitié. Dans dix secondes, je le poserai à terre et me lèverai. O.K. ? On fait comme ça ! Banco !
Mimi fougueux sur le gros norteil mignon, mfffou ! Un autre sur le tout petit mignardet qui devrait déjà être couché, mfffoui. Voilà, ça suffit. Si j’en distribue encore, ça va lui survolter le sensoriel. Une fois démarrées, ces Ritales, ça ne s’arrête plus. Faut les ligoter aux montants du plumard pour pouvoir se tailler !
Je vais pour lui lâcher le peton mais je ravise. Un détail me retient. Gros comme une tête d’épingle. Alors, je poursuis mes bisouillanches à la gomme, mfffoui, mffffoua, mfffoué. Ça la cour-jute, misère ! La voilà-t-il pas qui met son autre guibolle sur un accoudoir, histoire de béer un brin, et qui s’entreprend un petit solo de banjo !
Oh ! ça y est, on est repartis pour un tour. Je me dresse.
— Ellena, ce ne serait pas prudent que je m’éternise maintenant (en réalité, c’est la signora Morituri qu’est en train de s’éterniser).
Trop tard, la voilà relancée.
— Ne me laisse pas ! Ne me laisse pas ! Prends ! Prends ! elle éructe.
Oh ! merde ! Faut pas que ça tourne corvée. Bon, je vais lui confectionner une petite tyrolienne de broussailles pour la calmer !
Je l’abandonne, morte de plaisir. Epuisée mais ravie, comme dit Charles. Les bras en rames abandonnées de part et d’autre de son fauteuil, les yeux clos, la respiration brève. J’éteins la lampe et m’approche du lit. Avant de sortir, je file ma giclette d’eau bénite à la vieille en lui demandant pardon, via le Seigneur, d’avoir un peu chahuté sa dépouille. Le courant d’air de la porte ouverte courbe la flamme des deux bougies. Tiens : elles ont vachement diminué, ça m’étonnerait qu’elles passent la nuit !
Une fois dans ma piaule, je m’installe au bureau et prends du papier à lettres de l’institut dans le tiroir. J’écris :
Ellena, mon amour.
Je viens de vous quitter, mais nos folles et merveilleuses étreintes continuent de secouer mon corps. Des traits de feu fulgurent en moi. Ma bouche conserve le goût divin de votre sexe délectable…
J’exagère pas ? C’est pas un peu trop lyrique ? Faut dire qu’elle est italienne et qu’on peut lâcher les rennes aux superlatifs, images ardentes et sentiments excessifs. Alors, bon…
Je ne puis résister au besoin de vous écrire mon enchantement suprême. Ces instants d’ineffable folie viennent de bouleverser mon existence à jamais…
Je lui en mets deux pages avec eau courante. Un chef-d’œuvre de haute niaiserie roucoulante. Ça mouille comme une culotte de jouvencelle à un film porno.
Le poulet achevé, je le glisse dans une enveloppe d’abord, et ensuite je coule ladite dans ma vague.
Coup de turlu au concierge de nuit pour savoir le numéro de chambre de la dame de compagnie de la signora Morituri. Le 107. Merci et pardon de vous avoir dérangé.
Je chope mon sésame dans une poche à soufflet de ma valdingue et en route, mauvaise troupe !
Deux minutes quinze secondes plus tard, je pénètre chez Ellena. Mon premier soin c’est de déposer ma babille charmeuse en évidence sur l’oreiller de ma partenaire. Mon deuxième soin c’est d’explorer les tiroirs de sa commode. Lingeries affriolantes, onguents et crèmes de beauté.
Je dégauchis ce qui m’intéresse le plus : son passeport. J’y lis qu’elle se nomme Ellena Maria Mencini. Née à Sienne, le 16 mars 1952. Profession : secrétaire. Je feuillette le document. Il est constellé de tampons, timbres, visas. De toute évidence, Miss Ellena est du genre plutôt nomade. Je commence par la fin et rebrousse chemin. Jusqu’au mois dernier, elle séjournait aux States où elle a passé près d’une année. Les tampons d’entrée et de sortie indiquent New York. Auparavant, elle se trouvait à Tokyo (six mois). Avant Tokyo, ce fut l’Arabie Saoudite (deux mois), et avant l’Arabie Saoudite, Sydney en Australie (deux mois), et plus avant encore, l’Egypte (deux ans). Le passeport a été établi à Rome, il y a quatre ans, pour succéder à un autre qui se trouvait périmé, je suppose. Une vraie vagabonde, ma frénétique ! Arpenteuse de continents.
Je griffonne rapidement ces données sur mon fameux calepin aux feuillets jaunis, dont la couverture de moleskine fleure le moisi. Ensuite, je remets le passeport à la place qu’il occupait dans le tiroir du haut. Je possède une excellente mémoire photographique.
Bref examen de la garde-robe qui est du genre classique, élégance relativement modeste, conforme à sa situation. La valise, posée sur le porte-bagages à claire-voie, ne contient qu’un peu de linge sale et des mocassins de caoutchouc extra-souple. Pas de double fond, les soufflets latéraux ne recèlent qu’un poudrier cassé et un plan du métro de New York qui a dû pas mal servir si j’en juge l’état haillonneux dans lequel il se trouve.
O.K., casse-toi, l’Antoine. Je mate le couloir : nobody.
Alors je reprends ma bafouille sur le plumard, sors, referme la porte et glisse la lettre dessous.
Comme tu es un tout petit peu moins con que ton voisin de palier, explique-lui que cette bafouille me servait d’argument pour le cas où la belle Ellena m’aurait trouvé dans sa chambre. J’étais venu déposer mon message sur son dodo après avoir ouvert la lourde avec mon passe. Dans la vie faut toujours se ménager un alibi. Mon flagrant délit ayant été évité, je me contente de faire ce qui est logique en pareil cas, à savoir de couler ma lettre par l’interstice.
Cette fois, il m’est temps d’aller roupiller.
Maintenant, si tu tiens vraiment à connaître la raison de mon attitude surprenante, sache qu’en bisouillant le panard de la môme, naguère, le petit indice que j’ai découvert sous son ongle, pas plus gros t’ai-je dit qu’une tête d’épingle, c’est une infime particule de boue marine…
Mais que ça ne t’empêche pas de dormir, surtout !
A NOUS, COMTE, DEUX MOTS
La tempête a fait rage toute la nuit, troublant mon sommeil. Par instants, le vent hurlait si fort que je me suis levé pour écarter le rideau masquant ma baie vitrée. Dans une lumière lunaire livide, l’océan devenait montagnes mouvantes. La cordillère des Andes vue d’avion ! A l’infini, des sommets gris, ourlés de blanche écume, s’agitaient comme un vieux film d’autrefois dans un appareil de patronage.