Выбрать главу

Mes deux compères me prêtent deux (voire même quatre) oreilles attentives. Pinaud remarque, lorsque je me tais :

— Cette personne prétend être au service de sa patronne depuis plusieurs années alors qu’elle est fraîchement rentrée d’un long séjour aux Etats-Unis.

— Oui. Donc, mensonge, soupiré-je.

— Tu as décelé une molécule de boue marine sous un de ses ongles de pied ?

— Sans conteste.

— Ce qui revient à dire que tu la soupçonnes du meurtre de la vieille dame ?

— J’envisage cette possibilité.

Baderne-Baderne se gratte la joue creuse. Il sort un paquet de Boyard papier maïs de sa poche, s’en vrille une dans la clape et allume le cylindre de tabac (comme disent les romanciers honnêtes, soucieux d’éviter les répétitions) à l’aide d’un briquet Cartier en or plus ciselé que la coupe du roi de Thulé.

— As-tu visité la salle de bains de la dame Morituri ?

— Non. Pourquoi ?

— La jeune femme s’y est rendue pour ses ablutions d’après l’amour, mais ce n’était pas sa salle de bains à elle. Or, la signora qui subissait quotidiennement des enveloppements d’algues se nettoyait complètement dans sa salle d’eau, non ? Elle y a fatalement laissé des traces infimes de cette matière, le ménage n’étant pas toujours fait très à fond. Il est très possible que ta conquête ait hérité cette particule de boue en se servant de la salle de bains de sa patronne.

Il tire une goulée voluptueuse et se sépare momentanément de nous en s’enveloppant d’un nuage bleuté.

Je lui virgule un long regard admiratif. Il en a dans le chou, César. Sa vieille cervelle poussive ne fait pas encore des grumeaux.

M. Blanc qui ne s’est pas manifesté déclare :

— Toujours est-il que le cas de la demoiselle n’est pas net. Ces séjours souvent prolongés aux quatre coins du monde ne correspondent pas au curriculum qu’elle a fourni à Antoine. Pourquoi lui a-t-elle menti ?

Le biniou grelotte. C’est Alexis, le directeur-talonneur.

— Bien remis de tes prouesses amoureuses autant que macabres ? demande mon pote.

— Je suis vachement navré, dis-je. Ton épouse a dû être outragée ?

— Plutôt. Comme ta petite séance m’avait allumé le sang, j’ai voulu lui faire une fleur en rentrant, mais elle m’a envoyé au diable !

Un sentiment de joie m’inonde. C’est mesquin, peu charitable, mais ça me réjouit qu’Alex ait fait ballon.

— J’espère ne pas avoir déclenché chez elle un rejet de l’étreinte, sinon tu vas devoir te contenter de la grosse Marinette !

Il soupire.

— En confidence, Lucette n’est pas l’affaire du siècle, au plumard ; on joue à papa-maman, notre vie sexuelle manque de fantaisie ; c’est une nature frigide. Elle est belle mais insipide en amour, comme ces fleurs merveilleuses qui ne sentent rien, tu vois ?

— Je vois, fais-je tristement.

Seigneur, la triste nouvelle ! Dès lors, me voilà chagriné pour Alexis que je cesse illico d’envier.

— Mais ce n’est pas pour te parler de ça que je t’appelle : le fils de la mère Morituri vient d’arriver. Un teigneux ! Il fait tout un suif et parle d’attaquer mon établissement en dommages et intérêts pour avoir prodigué à sa maman des soins que son état de santé ne lui permettait pas de supporter. Je crains que nous ayons évité un scandale pour tomber dans un autre !

— Calme-toi, Alex, c’est la fougue ritale qui s’exprime ; ça va se tasser. J’aimerais bien connaître ce fameux constructeur, ses bagnoles sont sympas si lui ne l’est pas.

Il lui vient une idée, Alex.

— Viens nous rejoindre, je te ferai passer pour le médecin qui a fait les constatations, l’autre est si chiasseux qu’il pourrait bien craquer devant l’énergumène italien.

— Tu oublies la dame de compagnie, hé, glandu ! Elle le sait bien, elle, que je ne suis pas toubib.

— Merde, c’est vrai !

— Cela dit, je vais t’amener le docteur Pinaud.

— Qui ça ? éberlue le talonné.

— Tu vas voir : une sommité médicale ! L’orgueil de la Faculté de Paris.

Aldo Morituri, à première vue, c’est pas un cadeau ! Une armoire d’un mètre quatre-vingt-dix, un ventre énorme, trois mentons en ordre de marche. Un tarbouif gros comme un museau de chameau. Les cheveux grisonnants, dégarnis sur le dessus. La bouche lippeuse, mouillée, luisante, faite pour lécher des petites chattes jouvencelles. Le regard sur coussins de graisse, intraitable. La voix enrouée. Costar avec gilet de grande coupe, dans les gris anthracite. Chemise blanche amidonnée, cravate noire piquée d’une épingle représentant une petite main d’or tenant une perle rare. Boutons de manchettes or et brillants. C’est un personnage important, fumier tout plein, qui doit mochement faire suer le burnous.

Il se tient agenouillé devant le cadavre de sa maman, ses énormes mains croisées devant son paquet de couilles. Il récite des prières en pleurant à injection. Ellena, de sombre vêtue, se tient à l’écart, recueillie. Clabote entre le premier, le docteur Pinaud sur ses talons et ma pomme fermant la marche. Cortège grave, solennel même. On se met en formation derrière le pleureur, attendant qu’il émerge de ses dévotions filiales. Je glisse une langourée éperdue à Ellena. Elle y répond d’une autre, puis incline le chef. Je pense à son joli cul, bien ferme pour sa quarantaine rugissante. C’est beau, la nature, et ça ne coûte pas cher.

La mère Morituri, sur sa couche funèbre, ressemble à un dessin de Sempé. C’est plus qu’un pif de toucan (là, on se rend compte que son fils lui ressemble) et des cheveux teints étalés en flaque sur l’oreiller. La mamma douairière, avec des arrière-allures de cartomancienne à la retraite !

On attend que le constructeur ait terminé ses ablutions de l’âme. Enfin, il dégenouille. Ça craque un peu dans son entrepont. Il a du poil sur les pommettes. Ça fait gorille qui vous salue bien… Il nous regarde, plus exactement, nous toise. L’orgueil statufié ! Mon ami Alexis bredouille :

— Si vous voulez me permettre de vous présenter le docteur Pinaud qui a constaté le décès de madame votre mère.

Alors, aussi sec, il rexplose, Morituri. Flumine de partout comme quoi on lui avait dit monts et merveilles de Riquebon-sur-Mer. Il y envoyait sa chère maman pour y retrouver la forme, non pour y mourir. On l’a assassinée (il trouve les mots justes) avec cette merde de boue, sans doute trop chaude…

Là, César Pinaud intervient avec autorité. Faut l’entendre, ce brin d’homme, assener sa science, rompre les lances pour l’institut, pis que le con de Rosbif qui creva le lampion de Henri II !

Il est génial, l’Ancien ! Sa grande trouvaille, tu sais quoi ? Il donne du « monsieur le comte » au fabricant de tires. Faut du génie pour risquer une pareille vanne. Il a pris la mesure de son interlocuteur illico, a flairé la vanité existentielle du mec. Alors, d’entrée de jeu, il y est allé sur l’huile d’amande douce, Césaroche :

— Permettez, monsieur le comte, notre boue marine est appliquée à la température du corps, soit 37 degrés. En aucun cas elle ne saurait être suspectée d’avoir entraîné le décès de Mme la comtesse…

Les Ritals, toujours assoiffés d’honneur comme tu les sais, tu penses qu’être promus comte, brusquement, ça leur débroussaille la coiffe. Il gargarise des tympans, Aldo. Pinuche ne se fait pas faute d’en remettre. Il retient plus, laisse aller en grand :

— Mme la comtesse est décédée d’un collapsus latéral de fréquence consécutif à la position horizontale. C’est un cas relativement fréquent chez les personnes âgées de la bonne société. Or, la position horizontale, elle l’adoptait chaque soir en se mettant au lit, qu’il susse ? Et aussi chaque après-midi en effectuant sa sieste, non ? C’est pur hasard que la crise l’ait emportée dans cette cabine. La grande-duchesse Octavie, mère de l’archiduc Otto III est morte dans ses bras de la même manière, ainsi que la marquise de Goldenberg, cousine par alliance de la reine Elizabeth II d’Angleterre. Les « sang bleu » sont fragilisés du côté cœur. Vous devez admettre le fait, monsieur le comte.