Выбрать главу

« Monsieur le Comte » se calme. Des larmes lui échappent. Il dit qu’il va construire un superbe caveau à sa chère défunte. Marbre de Carrare, anges sculptés, vue sur la mer, climatisation, le top !

C’est gagné. Alexis respire. Moi j’achève de faire un certain boulot discret, motif principal de ma venue céans. Pinaud continue de discourir. Il connaît à fond la question, ayant présenté sa thèse sur le collapsus latéral de fréquence.

Il s’approche d’un bloc de papier, entraîne le comte-structeur pour lui dessiner un schéma.

— Voici le cœur, monsieur le comte. Là, les deux oreillettes, là, la valve de fiction, et ici le clapet modulaire. Vous me suivez ? Le collapsus latéral provient d’une malformation congénitale du prédicare funeste que je représente d’une croix. Il arrive qu’au moment où le cœur quitte la position verticale pour la position horizontale, l’inducteur verdex bloque le clapet modulaire, vous me suivez ? Dans ce cas, un brusque afflux sanguin verrouille la valve de fiction et le sujet meurt d’une rupture syncopée, dite « rupture de Ballast » du nom du chirurgien scandinave qui a découvert cette affection. Me suis-je bien fait comprendre, monsieur le comte ?

— Parfaitement, parfaitement, c’est très clair ; merci, docteur ! dit le comte.

Il tend la main au « médecin ». Effusions rectoversales.

Ses belles larmes filiales humanisent sa bouille de forban des affaires.

— Est-ce que notre dernier modèle d’Aeral 2000 vous intéresse, docteur ? Système ASR, différentiel à blocage automatique, verrouillage central multifonctionnel, airbag pour conducteur, appuis-tête escamotables à l’arrière, rétroviseurs extérieurs chauffants, roues en alliage léger, boiserie loupe d’orme, régulateur de niveau essieu arrière, colonne de direction à réglage électrique, vitres teintées sur option ; si elle vous intéresse, je peux donner des instructions à notre concessionnaire général pour la France afin qu’il vous fasse une remise de seize pour cent et vous offre la radio. Appréciable, hein ? Qu’avez-vous comme voiture, docteur ?

— Une Rolls, fait Pinaud doucement.

Je me coule jusqu’à Ellena.

— Merci pour votre lettre, balbutie-t-elle, elle m’a bouleversée.

— Quand partez-vous ?

— Sitôt que les formalités de transfert seront terminées, j’accompagnerai le corps jusqu’en Italie. Demain, je pense ; ou après-demain au plus tard.

— Et ensuite ?

Elle hausse les épaules.

— Ensuite ? Eh bien, il faudra que je cherche un nouvel emploi.

Sa tristesse amère m’émeut.

— Vous pourrez passer dans ma chambre, après le déjeuner ?

— Ce ne sera pas facile…

Elle me désigne le gros « comte » du menton.

— Essayez, supplié-je.

— Je ne vous promets rien.

— Moi, je te promets le coup de bite du siècle, ma jolie, murmuré-je tout bas.

Nous nous retirons comme nous sommes venus : à pas feutrés.

J’ai pas de pétrole, mais j’ai des idées.

Bizarres.

JET PEUR

Elle chante à tue-tête, la Gabot (comme l’appelle Emile, l’homme de peine, l’homme sans joie qui coltine les sacs de linge sale). Elle brame une vieille chanson que déjà, Anaïs, sa maman, entonnait dans les noces à Goménolé.

Ça dit comme ça :

« Oui, c’est pour toi, « Pour ton charme ingénu, « Pour tes lèvres de rose « Que, plein d’émoi, « Mon cœur est devenu « Un foyer de névrose… »

De toute beauté ! Des paroles qu’il faut être poète pour les faire rimailler de la sorte. Posséder une culture authentique ! Elle ne travaille pas à la buanderie, aujourd’hui, mais au gros jet. C’est une règle de la maison : changer les occupations afin de ne pas laisser les employés sombrer dans les routines. Une rotation est établie, qui permet de varier les plaisirs. Devenant cycliques, les corvées sont mieux supportées et tout le monde s’en trouve bien.

Ayant dûment nettoyé la longue et étroite cabine carrelée, la Gabot passe dans le couloir ramasser le clille en attente. Elle trouve, sur la chaise flanquant la porte, un vieux crabe tavelé, à l’air ganache. Il a le menton décroché et de la mousse aux commissures, le regard fourbu du mec qui dérive vers le gâtisme. Le seul client qui, en fin de cure, part sans laisser de gratification. Généralement, la clientèle « arrose » les arroseuses au bout du parcours. Lui, fume ! Tout juste s’il leur dit « au revoir-à-la-prochaine ».

Mais la Gabot, c’est une bonne nature : elle peut pas s’empêcher d’être aimable :

— Si vous voulez bien venir, monsieur Moncornard, c’est prêt !

— Pas trop tôt, depuis le temps que je poireaute, grommelle la grinche.

Salaud ! Une bouffée de rage empare la Gabot devant cette flagrante injustice. Elle a pas mis trois minutes pour préparer la cabine. Te va lui flanquer la pression force 5 sur l’échelle de Richter, pleine gueule pour lui décrocher le râtelier, ce vieux fumier. Le coller au mur du fond avec son jet inexorable. Y a vraiment des patients impossibles. Tu peux les fignoler, leur sourire, ils ne sont jamais contents. C’est comme une vérole qu’ils ont dans l’âme. La méchanceté endémique. Il parle, il grince, il dit des présages inquiétants dont la Gabot n’a cure. Elle lui réitère d’entrer : c’est prêt !

Pépère soulève ses trois quarts de siècle et pénètre. Y a comme un sas où tu déposes ton peignoir et tes sandales à semelle de bois. Le voilà à poil et pas reluisant. Ça lui plisse et pendouille de partout. Sa vieille bite a l’air d’un déchet inidentifiable, sorte de brise-jet de caoutchouc usé emmitouflé d’une filasse blanche et raide. Elle se demande, la Gabot, si ce paf a pu être fringant un jour, cocoriquer sur des monts de Vénus, acquérir un volume valable et dégorger impétueusement. Le vioque semble avoir été raté depuis toujours.

Il s’éloigne vers le fond de la cabine oblongue, son pauvre cul escamoté blanchâtre et fripé, sans foi ni loi, la jambe variqueuse, une cyphose carabinée transformant son épine dorsale en point d’interrogation.

— On commence par la partie pile ou la partie face, m’sieur Moncornard ? demande la Gabot. L’aigre vieillard dit :

— Par le dos.

Mémère s’en fout. Elle s’empare de sa lance d’incendie et ouvre la vanne en tenant le bec incliné. La pression fait bondir le tuyau ! La gaillarde le maîtrise à deux mains. Elle contrôle l’eau bouillonnante, tout en bulles compressées qui en sort. Le jet rampe sur le carreau, gagne les talons du père Moncornard. Elle l’élève progressivement le long des jambes d’échassier noueux. Pépère a un fléchissement des mollets, il embarde, prend appui contre le mur.

— C’est pas trop chaud, m’sieur Moncornard ? crie la Gabot pour dominer le bruit de cataracte.

Il hausse ses épaules décharnées, ce qui ne constitue pas une réponse en soi, mais n’est pas non plus une protestation. La forte femme badigeonne à la haute pression le fion fané du birbe. Ça écrase ses fesses, à Moncornard, elles ressemblent à une horrible fleur de viande gâtée dont le trou du cul composerait le cœur. C’est ça qu’elle se dit, la Gabot. Elle rigole et se refout à chanter :