La bidoche fin-de-parcours du vieux vilain frémit sous l’impact. Ça fait des plis, des bourrelets, des vallées.
« Tiens, salopard, en plein dans l’œil de bronze ! »
Elle lui vise l’oignon plein cadre. En loucedé, pousse un peu la pression, manière de sodomiser ce branleur branlant à l’eau devenue dure comme glace. C’est intéressant, les phénomènes physiques. La luronne devine qu’un scientifique tirerait des conclusions positives de ce jet percutant ce trou de balle.
Là-bas, pépère glousse. Peut-être qu’il prenait du petit, à son époque forniqueuse ? Qu’il allait en loucedé s’en faire carrer une dans le train en des maisons spécialisées mansuètes et compréhensives à tout ?
Elle lui « fait » les épaules à présent. Le dos. Pouah ! Il est franchement dégueulasse de partout, ce débris ! A gerber ! Le vieillissement, tu parles d’un chancre mou !
— Maintenant, tournez-vous, m’sieur Moncornard ! elle hurle, la Gabot.
L’ancêtre, il fait une volte. Elle en profite pour lui placer sa botte secrète, pile dans les badigoinces. Ça lui renfrogne le pif, Cyrano ! Lui retrousse les lèvres, lui démobilise les fausses chailles. Il va claper de profil, le crabe, après cette giclée sauvage. Il voudrait protester, mais la mère, la voilà qui mouille de rancune à assouvir. L’a-t-il assez houspillée, humiliée, ce triste balai de chiottes ! Au lieu de détourner, elle concentre. Son jet devient une lance d’acier dont elle cherche à lui crever la gueule, ce con ! Elle se dit :
« Calme-toi, ma fille, sinon il est chiche de déposer une réclamation ! »
Mais la frénésie, tu la conjures pas avant qu’elle ait connu son assouvissure. La Gabot pense : « Il faut que je chante, ça va me calmer. »
Dans sa tronche bretonne, le couplet se forme :
Rien à fiche. Ça lui reste dans le bocal sans dégouliner jusqu’au cœur.
Le vieux détritus se recroqueville, à l’autre bout, contre le mur. Il met ses bras flasques en parade. Mais elle lui fait baisser sa garde en le fouaillant inexorablement. Et puis on dirait que les accessoires perçoivent sa rogne, la Gabot, qu’ils se mettent à la partager. Y a comme un spasme dans la pression, une brève faiblesse à laquelle succède une folle impétuosité. La lance se fout en renaud après le barbon, décide de le balayer comme un étron sur le trottoir. Moncornard se tord. Il pousse des beuglements de goret saigné. N’a plus le réflexe de protéger son visage. Il reste adossé à la paroi carrelée et glisse lentement contre.
La Gabot, ce qui la ramène au réel, c’est une anomalie. Les travailleurs, y a que leur boulot qui leur donne l’heure exacte. Elle vient de constater, la mère, que la flotte s’est assombrie. Qu’elle coule plutôt jaune et même presque brun, à présent, regarde ! Tu vois ? On dirait l’eau du Rio de la Plata. Couleur chocolat ! Ça veut dire quoi ?
Sa colère est tombée. Elle coupe la sauce. Renifle. Putain, ça dégage une odeur âcre, désagréable. Cette flotte, pourtant, vient d’un captage situé à bonne distance de la côte. Elle passe, de surcroît, par un poste d’épuration.
La Gabot constate que ça fume dans l’étroit local et que c’est cette fumaga qui fouette. Elle examine le bec de la lance d’où s’écoule encore un mince filet de liquide marron. Ce menu pissat tombe sur ses galoches de cuir blanc qui se mettent à fumer avec un crépitement inquiétant. Un mot lui vient, la Gabot, tellement dingue qu’elle le refoule. On dirait… Non, non ! Impossible ! Et pourtant.
Sa godasse droite est attaquée par le liquide. Le cuir s’assombrit, s’écaille, se recroqueville, fume de plus rechef.
Pas d’erreur : c’est de…
Elle suspend un peu le fameux mot, puis le lâche à voix haute :
— De l’acide !
Voilà que la mer est devenue folle. Celle qu’on voit danser le long des golfes clairs, bordel ! La station de pompage aura pompé une nappe de saloperie échappée des flancs d’un tanker. Un grec, elle parie, la Gabot ! Ou vénézuélien, tu ne penses pas ? Alors voilà que de l’acide passe dans les tuyaux et vient asperger les braves curistes qui…
Oh ! charognerie indicible ! Le vioque, là-bas, au bout de la cabine en forme de jeu de quilles ! Dans quel état ça l’aura mis cette douche vénéneuse ? La guenillerie de vieux birbe radin a dégusté. Elle qui lui noyait la gueule, lui balayait le dentier, lui retroussait les naseaux, lui décollait les feuilles de chou, lui coquillait les lampions !
Elle vérifie que le robinet est bien fermé. Une vilaine mousse verdâtre fait des bulles sur les carreaux, bouffe les joints de ciment.
La Gabot se décide à vérifier où en est le père Moncornard. Elle y va, sans hâte, le cœur fou, en psalmodiant des trucs vagues. Le vieux forme une espèce de tas palpitant, avec des soubresauts. Il en sort une mélopée confuse. Elle voudrait fuir, rameuter la garde, mais elle avance néanmoins, mue par ce moteur naturel et implacable qu’est la curiosité.
Elle parvient devant le gâtouillard.
De ce qu’il en subsiste !
L’abomination. Il était déjà tête de mort dans son genre, Moncornard. L’acide a décapé la dernière couche de vie. Les yeux ont fondu dans les orbites, les lèvres sont comme découpées autour des fausses ratiches de guingois. Le noze durement attaqué n’a plus de cloison, plus de narines, c’est comme une coquille brisée en son évasement. Les chairs sont à vif et bouillonnent.
La Gabot, elle pense plus à rien. Elle fredonne :
Et comme elle a oublié la suite, la voilà qui entonne :
Elle regarde encore césarin. Le jet d’acide lui a bouffé le bas-ventre. Sa vieille pine ressemble à une banane gâtée. Elle redevient silencieuse et murmure :
— Ça va, m’sieur Moncornard ?
Comme si « ça pouvait » aller quand on est dans cet état.
Lui, tout ce qu’il répond, c’est un râle lointain qui lui vient de plus loin que la bouche. Un râle terminus, fin fond de la gargane. Tu dirais une série de rots laborieux.
— Vieux pourri ! l’insulte la Gabot ! Me faire ça à moi !
Et la panique la biche au détour de l’émotion.
Elle sort en courant de la cabine. Referme la porte, pose ses galoches attaquées par l’acide, afin d’être plus véloce. Le grand couloir est paisible. Y a plein de vieilles loques en peignoir devant les cabines, qui attendent leur tour de se faire triturer le surplus. Les collègues de la Gabot palabrent d’une porte à l’autre, se racontent leur vie bancroche. Elles se taisent de saisissement en voyant déferler la Gabot, blanche comme la mort enfarinée, les yeux soucoupes, le rictus gargouille, nu-pieds, la blouse troussée varices. Eperdue, folle, fuyant Saint-Pierre-et-Miquelon dévasté.
Les copines se demandent ce qui lui arrive, la Gabot ? Elle fait pas une fausse couche, tout de même ! Envie de chier ? Pourtant, les gogues sont de l’autre côté ! Elles regardent s’éloigner l’épaisse silhouette blanche laquelle, dans sa précipitation, bouscule des vieillards arachnéens, des qui tiennent debout par leurs cannes anglaises et l’habitude de pas mourir. La Gabot est happée par un couloir transversal. Elle disparaît, laissant une fumée de stupeur inquiète derrière soi.