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— Tu trouves qu’il n’y a pas encore eu suffisamment de grabuge dans cette taule ?

— Peut-être en faudra-t-il davantage pour découvrir la vérité !

— Charmante perspective !

— Il n’y a plus personne dans les couloirs à partir de quelle heure ?

— Midi trente. Jusqu’à quatorze heures, c’est bon. Vous ne risquerez de rencontrer que des employés.

— Il va nous falloir un grand chariot à linge, du linge et l’emplacement de ta putain de morgue.

Pinaud réapparaît. Il a une superbe toile d’araignée sur l’épaule gauche et des traces de poussière un peu partout.

— On a fait un branchement sur la canalisation qui alimente cette cabine, nous apprend l’ancêtre. Elle peut être déviée sur un grand réservoir de plastique contenant de l’acide. Le meurtrier a interrompu un bref instant le circuit normal pour enclencher la déviation. Je suppose en conséquence que ce n’était pas ce monsieur qui était visé, mais n’importe quel curiste qui pratiquerait cette cabine ; à moins que ce local ne fût affecté spécialement au défunt ?

— Non, non, c’est variable, confirme Alexis Clabote.

— Bien, dit César. Il était loisible de bricoler la canalisation de cette cabine parce que c’est elle qui est contiguë au sas d’induction.

— Donc, souligne Alex avec une espèce de délectation morbide, c’est bien moi qui suis visé ! C’est mon institut qu’on cherche à assassiner à travers mes clients.

— Exactement, convient durement l’inspecteur principal Pinaud.

POCHETTE SURPRISE

Ellena est en train de claper avec le signor Morituri. Cézigue, le régime jockey, connaît pas ! Il souscrit seulement aux nourritures pauvres en calories par le massacre d’un homard qui fut vigoureux naguère et qui, nappé d’une sauce thermidorienne, est devenu succulent. Je me suis toujours demandé en quoi la chute de Robespierre pouvait s’inscrire dans une tradition culinaire de haut niveau ; mais chacun célèbre à sa manière la fin de la Convention et ce n’est pas mon affaire. Après ce cardinal des mers, Aldo commande un carré d’agneau qu’il fait escorter sans pudeur de flageolets, lesquels lui tiendront compagnie cet après-midi, au grand dam de son élégant caleçon made via Venetto.

J’adresse un salut au couple, m’installe à ma table. Pendant ce temps, mes deux compagnons planquent le nouveau cadavre, ainsi qu’il fut dit. Ça grince dans ma tête comme le treuil rouillé d’un vieux puits. Je me sens embarqué dans la plus louche affaire qui se puisse concevoir. L’équarrissage impitoyable de ces vieillards me plonge dans un abîme de douloureuse perplexité et je ne suis pas loin de penser qu’il n’existe pas d’autres mobiles que la folie pour amener un criminel à supprimer des gens en bout de parcours avec un tel machiavélisme.

La folie ! T’avouerai-je que j’en frissonne ?

Le meurtrier le plus endurci, répondant aux plus basses des motivations, n’est rien comparé à un dément. Quels que soient ses forfaits, il reste sur le sol. L’être privé de raison est inatteignable.

Le serveur m’apporte en grande pompe trois carottes coupées dans le sens de la longueur.

— Revenez dans trente secondes m’annoncer à haute et intelligible voix qu’on me demande au téléphone, lui chuchoté-je.

Ce qu’ils ont de chouette, dans l’hostellerie de classe, c’est qu’ils ne s’étonnent jamais des désirs du client. Que tu réclames l’adresse d’un bon chausseur, d’un bon bordel ou du papier tue-mouches, ils s’emploient sans barguigner à te donner satisfaction. Mon brave loufiat s’éclipse tandis que je croque une fort appétissante demi-carotte. Il revient peu après en clamant à tous les échos que je suis appelé au téléphone.

Je quitte la table et fonce jusqu’à la chambre mortuaire où la dame Morituri continue de s’éterniser entre ses deux bougies qu’une main pieuse a renouvelées.

Dans un grand pot de faïence bretonne, que ça représente une petite connasse en sabots et jupe gonflante s’en allant puiser de l’eau avec deux seaux en équilibre sur une barre de bois ajustée sur ses épaules, on a placé des fleurs artificielles : hortensias bleus.

Au milieu des plantes en matière plastique, un petit magnéto. Bien que le voyant de marche soit allumé, il ne tourne plus, son autonomie de 90 minutes étant dépassée. Je l’enfouille et me retire de la pièce après un bref salut à la « comtesse ».

Retour chez moi, j’enroule la bobine, met sur « reproduction ».

Il y a notre brouhaha. On dit des mots au constructeur (voix de Pinaud). On lui prend congé. Claquement de porte.

Le gars Aldo demande à Ellena :

« — Vous y comprenez quelque chose ? »

Elle ne répond pas. Succèdent des bruits de pas. Lui ne parle plus. Un long silence. Puis la voix du constructeur de l’Aeral lance, pathétique, dans un italien littéraire :

« — O toi, ma chère mère qui m’as donné la vie ! »

Bruit de sanglots.

Voix d’Ellena :

« — Allons, allons, du courage, monsieur ! »

« — J’en aurai. Je vais lui organiser des funérailles splendides, mademoiselle Mencini. »

Bon, compris. Il est niqué, le Tonio. La garce m’aura vu placer l’appareil dans les hortensias bidons. Quand le constructeur lui a demandé si elle y comprenait quelque chose, elle a dû lui faire signe de se taire et lui montrer mon petit outil indiscret. Dans le cul, la balayette ! J’ai pas la chance pour moi, ces jours-ci !

Ça m’arrive souvent, en début d’enquête, de cafouiller dans des sacs d’embrouilles. J’ai l’impression que le sort m’est contraire, qu’il me fait le pied de nez. Et puis je rétablis la situation vaille que vaille, et le superbe Antonio rafle le banco en fin de parcours.

D’ailleurs, même les déconvenues sont exploitables, dans mon job : toujours chercher le positif du négatif ! Ainsi, le fait que les deux Ritals se soient abstenus de jacter parce qu’ils ont découvert mon petit mouchard prouve qu’ils ont des trucs à cacher ! C.Q.F.D. Et la phrase d’attaque d’Aldo aussi ne manque pas d’intérêt : « Vous y comprenez quelque chose ? »

Les idées qui me tourneboulent sous la coiffe prennent de l’extension. S’élargissent en ondes tourmentantes sous mon bonnet à poils. Du cran, commissaire ! Répète-toi ta fière devise : « Boire, manger et baiser sont les trois plus belles jouissances qui existent. »

Je décroche mon turlu pour sonner la Grande Volière. Je voudrais Mathias, mais l’on me répond que le Rouquemoute est en vacances avec sa tribu. Je risque :

— Bérurier croiserait-il dans les eaux territoriales de la Poule ?

Et le standardiste d’exclamer :

— Il est avec moi, commissaire ! Nous bavardions au moment où vous avez appelé.

— Offre-le-moi en prime, Ducraz !

L’organe superbe, sonore, gras, beau comme une huître spéciale triple zéro ou un glave de même calibre retentit.

— Lazare est grand, mec ! Juste qu’j’présentais Violette à Ducraz ! Ça carillonne et t’v’là en ligne d’mire.

— Qui est Violette ?

— La femme d’ma vie. Tu la verrerais, y t’viendrerait des fourmis sous les roustons ! Une vraie rousse, mon drôlet ! Rouquine d’partout : tifs, chatte, poils d’bras. Et qui fouette langoureus’ment la ménagerie. Des yeux bleu-vert couleur épinards, des cils et des sourcilles presqu’ blancs ! La manière qu’é gesticule du fion, au plum’, tu d’viens dingue ! J’en ai vu des mouilleuses, mais des comme elle, Nevers ! Quand elle prend son fade, t’as l’braque qui rent’ à la godille ! Mais c’qui me botte surtout, en elle, c’est son fumet. A r’niffe le civet d’lièvre bien faisandé, ça porte aux sens.