Je perçois des protestations féminines non loin de l’orateur. Alexandre-Benoît les endigue :
— Mais si, mais si, ma gosse, pas d’fausse modestie, j’sais ce dont j’cause.
Et, à moi :
— Elle est modeste, si tu saurais… E s’appelle pas Violette pourerien ! Magine-toi qu’elle est pervenche d’son métier. J’l’ai connue juste qu’elle prétendait m’filer un papillon su’ l’pare-brise pour défaut d’estationnage. J’radine à temps. J’lu dis comme quoi on est d’la même boutique et qu’y s’agit pas d’se charogner ent’ nous. Mais elle, novice, é croive à l’intégralité, à l’esprit d’justice, ceci-cela. C’est comme qui dirait la p’tite sœur saint’ Thérèse du carnet à souches. E m’fait : « V’s’êtes en infraction, j’verbalise, un point c’est tout ; le reste, j’n’veux pas le savoir ! »
« Moi, tu m’connais, Antoine ? Aussi sec, je déverrouille ma braguette et j’lu dégaine le bestiau su’ coussin d’air. “Et çu-là, tu veux l’savoir, connasse ?” j’lu questionne familièrement. La pauvrette, un boudin géant tel que comme, é l’ignorait qu’ça pouvevait eguesister. Ses lampions disjonctent ! Elle m’visionne jusqu’au fond d’la France. Ell’ blablutie : “Oh ! mon Dieu ! Est-ce-t-il possible ! Est-ce-t-il possible, une queue pareille !” C’qu’é disent toutes, quoi !
« Aussi sec, j’referme l’rideau d’scène, et j’lu montre l’hôtel Monbijou qu’l’enseigne clignotait à deux pas. “Arrive, ma gosse, et j’vais t’démontrerer qu’non s’lement c’est possib’, une queue pareille, mais qu’en suce elle fonctionne au quart d’tour.” “V’s’allez pas me baiser en uniforme !” elle égosille, Violette, toujours héroïque du d’voir ! “Fais-toi pas d’souci, j’t’l’ôtererai avant d’t’calcer !” J’la biche par une aile et, oust ! A l’hôtel.
« On s’pointe au Monbijou. Un vieux gâteux m’annonce qu’c’est complet. “C’t’un malentendu, j’lu rétroque, on vient pour un contrôle.” Poum ! J’Iu colle ma brème sous la myopie. ”V’s’avez bien vu, moui ?” Et je nous dirige vers la première piaule dont au-d’là d’laquelle y avait un solo d’sommier d’force cinq ! Toc toc ! “Qu’est là ?” d’mande une voix essoufflée. “Police !” “Un instant !” On déponne. Un gros julot, genre charcutier d’sortie, en sueur, l’cheveu collé, cache sa zézette derrière sa ch’mise en boule. Je vais ramasser son rest’ de fringues su’l’dossier d’la chaise, lui fourre tout dans les bras et le virgule su’ le palier d’un coup d’genouxes dans les noix. “On s’casse ! j’y fais, sans rouscailler, en s’estimant heureux d’éviter l’scandale.” “Mais ! il bêloche. Mon amie ! Mon amie !” “Va l’attendre au troquet du coin et cesse d’m’pomper l’air sinon j’t’emballe pour outrage à la pudeur de magistrats dans l’exercice de leurs fonctions.”
« Là-dessus, je relourde. Sa pécore, au gros naveton, c’tait une minuscule brunette av’c des yeux de rate. L’genre p’tite salingue, si tu voyes ? Elle s’cachait la pudeur sous l’drap. “Pas d’panique, ma gosse, je lui dis-je, et bienvenue au clube.” Là-dessus, je me dessaboule. Mon pote Mandrin, t’aurais cru une bite, d’accord, mais d’amarrage ! En l’aperc’vant, elle a cessé d’avoir peur, la gosseline. Violette, j’l’ai décarpillée, comme promis, en parfait gentleman. Et alors on s’est payé un’d’ses fantasias, les trois, qui cont’rera dans les annus du Monbijou. Ces dames étaient folles d’leurs jolis corps ! Moi j’donnais du braque tous azimuts. Tu t’s’rais cru à la bataille Nelson gagnée par l’amiral Trafalgar Square. J’arrêtais pas d’boucher des trous, colmatant des chattounes, des p’tits borgnes, des bouches, des entre-nichons. Popaul était d’partout à la fois !
« C’est au cours d’c’te séance qu’ j’ai tombé amoureux fou d’Violette. Une nature comm’ elle, t’as pas l’droit d’laisser passer. La manière qu’é m’estrapolait le chauve à col roulé ! Celle dont é t’glisse l’pouce dans l’oigne en t’flattant les bourses des aut’ doigts ! Celle aussi qu’é noue ses jambes à ton cou, l’acrobate, pendant qu’tu l’embourbes, afin d’te laisser l’choix d’ses entrées privées. Attends ! Ell’ m’cause ! Qu’est-ce tu racontes, Viovio ? J’frise l’indiscrétion ? Tu rigoles ! J’raconte à Santonio, mon supérieur hiéraldique ! Si j’aurais des s’crets pour lui, alors, c’s’rait la fin d’tout. »
J’estime le moment opportun pour lui demander son concours :
— Besoin de toi, Gros, urgentissimo ! Tu as d’quoi écrire ?
— Moi, non, mais Ducraz. Tu veux bien écrire c’dont j’vais t’dicter, Ducraz ? C’est pour Sana. Tu dis quoi, l’grand ? Mlle Ellena Mencini. Avec un « c » et y a pas d’h à Ellena…
Je marche à longues enjambées sur la lande bretonne. Temps mouillé, venteux. Superbe paysage quand on ne craint pas la mélancolie. Le bord de mer dépouillé, galeux, couleur de tapis-brosse. Long paillasson jeté sur la grève étroite. Au loin, très loin, je distingue la masure dont il est fait état dans le mystérieux message. Elle est d’un gris d’écailles de poisson. Les mouettes se laissent bousculer par les courants. Parfois, elles tombent comme des pierres blanches entre les vagues, y flottent un court instant pour gober le poisson qu’elles viennent de saisir et remontent faire le carrousel échevelé avec les autres.
Seul être vivant dans cette désolation, un vieux monsieur qui marche à ma rencontre, retour de promenade. Il porte une sorte de houppelande en tissu écossais à double col, une casquette assortie, des chaussures de marche et il se sert d’une canne dont il pourrait fort bien se passer à en juger la sûreté de son allure.
Au fur et à mesure que nous nous rapprochons l’un de l’autre, je distingue son visage. Pas du tout le genre gâtoche ! Au contraire, l’homme est svelte ; il a la peau colorée, le poil dru et presque blanc, une moustache à la Chaplin, un regard net et clair.
Comme nous allons nous croiser, je le salue d’un hochement de tête. La solitude rend urbain. En campagne, on dit « Bonjour » à des inconnus qu’on ne distingue même pas dans la cohue des villes où ils pourraient se fraiser la gueule devant toi sans que tu songes à intervenir.
Lui, il s’arrête.
— Je vous demande bien pardon, me dit-il, vous êtes le commissaire San-Antonio, n’est-ce pas ?
— En effet.
Je lui souris, hésite à lui tendre la main ; mais c’est lui qui en prend l’initiative.
— Félicien Jaume, se présente-t-il.
Sa dextre est ferme, déterminée.
— Je vous reconnais pour avoir vu votre photographie dans la presse. J’ai lu, il y a quelques mois, un excellent reportage sur vous dans Paris-Match.
— Merci.
Pourquoi merci ? Stupidité des phrases « relationnelles ».
Le beau vieillard ajoute :
— Je suppose que vous enquêtez sur les vilaines petites histoires de l’institut ?
J’élude d’un nouveau sourire incertain.
— Pardonnez mon indiscrétion si vous prenez ma question pour telle, mais j’ai vu arriver ce matin un monsieur d’un âge certain, et un très beau Noir. Ne seraient-ils point vos collaborateurs ? L’idée m’en est venue bien qu’ils voyageassent à bord d’une pompeuse Rolls Royce.
Je tique et m’encurieuse.
— Pourquoi ? lâché-je prudemment.
— Vous devriez leur dire qu’ils se montrent plus méticuleux lorsqu’ils véhiculent un cadavre dans un chariot à linge sale. Celui qu’ils charriaient pendant le déjeuner avait une main qui passait entre les barreaux du chariot : cela fait un peu désordre.
Il hoche la tête, porte un doigt à la visière de sa casquette et déclare :