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Quand elle est bien assujettie, nickel, propre-en-ordre, je lui présente l’ami Ricoré pour un test à la loyale. Les produits surchoix, faut les parcimonier au départ, que sinon le gaspillage fait négligé. La tête chercheuse, manœuvrée avec distinction, opère un repérage méthodique avant de s’engager pour la visite accompagnée. Tout de suite, elle réagit, Lucette. En manque total, je te le garantis ! Y a longuet qu’elle a pas touché sa ration de chibre, la pauvrette. D’ailleurs, il le dit lui-même, le talonneur, qu’elle se refuse à la nique ou que c’est lamentable comme étreinte. Tu parles, s’il la tabasse, y a rien d’étonnant !

Ils sont marrants, les fauves ! Ils mettent des avoinées à leurs rombières et il faudrait qu’elles les aiment, fassent les pieds au mur quand ils dégainent leur chipolata, ces cons ! Là, on s’en va tranquillos par les champs et par les grèves. La toute belle balade oxygénante ; tout juste si on n’a pas envie de chanter, façon « Compagnons de France » au père Pétain : « En disant partout notre rêve à ceux qui n’en ont pas. »

La vérité, je vais te la chuchoter, mon lapin : j’ai le béguin. Et même davantage. Je m’en ressens à mort pour cette nana. J’ai beau me dire que, fixer le ranque mystérieux à un ami de son julot et l’attendre à poil sous un imper, avec des bas et un porte-jarretelles, ça se fait pas couramment chez les religieuses du Carmel, ni même chez les jeunes filles de la Légion d’Honneur. Y a guère qu’à la cour d’Angleterre que c’est admis, et encore, pas trop à Buckingham Palace où la vieille rabat-joie empêche de brosser en couronne.

Oui, j’ai beau me dire, il n’empêche que je l’ai eue illico dans la peau, Lucette. Un coup de cœur monumental ! Le délire spontané. J’t’vois, j’t’veux ! Elle l’a réalisé, cette gentille, voilà pourquoi elle a souhaité combler mes désirs. S’amener offerte, kif les bourgeois de Calais. Ouais, je vais l’embarquer. Je lui prendrai un studio pour commencer. Ou un vrai apparte avec une cheminée. J’ai envie de me vautrer nu avec elle devant un feu de bois, sur une peau d’ours. On en trouve encore, tu crois ? D’où ça m’arrive, ce goût pour la peau d’ours ? J’ai dû bavouiller sur plantigrade, au cours d’une de mes aventures délirantes. Faudrait rechercher. Je demanderai à Daniel Demange, mon « exégète », dans lequel de mes books je lime sur une peau d’ours polaire. Faut croire que ça m’a marqué.

— Je t’aime, lui chuchoté-je dans le cornet. Je t’adore. Je te veux. Je te prends par amour. Tiens, tu sens l’intention ?

Elle sent. Faut dire qu’elle est assez grosse pour ne pas lui passer inaperçue, mon « intention » !

On se bouffe la gueule à s’en déchausser les ratiches ! C’est la véhémente pétée ! L’étreinte passionnelle, quoi, ne reculons plus devant les mots quand ils cernent parfaitement l’idée. Elle me rend dingue ! Mon droit d’aînesse de fils unique contre cette femme ! Je suis prêt lui offrir ma vie !

On s’aime, s’aime, s’aime… A en mourir.

Lorsqu’on se sépare, une heure plus tard, j’ai les couilles vides, mais le cœur plein.

ÇA VA BARDER

Je te l’ai déjà dit, mais je n’ai pas l’outrecuidance de penser que tu t’en souviens : chaque fois que j’ai fait l’amour, j’éprouve le contentement matois et confusément harpagonesque du gus qui vient de placer de l’affiche sur son livret de caisse d’épargne ; comme si, d’avoir déflaqué avait accru mes économies ; comme si le foutre semé au gré des chounettes se trouvait capitalisé d’autor et contribuait à garantir mon avenir !

Or, cette fois, en quittant Lucette, je ne conçois rien de tel, mais à la place une peine doucereuse, une mélancolie de tout l’être qui ressemble à de la musique triste apportée en bribes par un vent capricieux[6].

Amoureux, je te dis !

Ma sensualité comblée et mon corps épuisé me rendent plus sensible la séparation. Je décide qu’il me faut Lucette ! Absolument ! Pour l’obtenir, je dois résoudre les énigmes de l’institut pour, ensuite, prévenir Alexis Clabote de notre sombre dessein. Il va l’avoir à la caille, le talonneur ! Me maudire et, qui sait, me frapper. Ce qui constituerait un cruel dilemme pour moi ! Devrais-je, en grand coupable que je suis, dérouiller sans rebiffer ? Ou bien, au contraire, le calmer d’un crochet au menton qu’Alex, justement, a en galoche ? J’aviserai le moment venu. Souvent on envisage des instants qui, en fin de compte, ne se produisent pas.

Comme je reviens à l’institut d’un pas lent de mec essoré, elle fait « gling gling » avec la sonnette de sa bécane et me double en m’adressant un geste gracieux. Ah ! comme j’envie la selle de son vélo que je viens de suppléer avec force et brio !

Les pans de son ciré jaune flottent au vent du large. Ses cheveux blonds s’ébouriffent. La poitrine zinguée par l’émotion, je regarde s’éloigner cette silhouette et je hurle à plein chapeau dans l’air vivifiant :

— Je t’aime !

Elle a entendu puisqu’elle m’adresse, sans se retourner, un nouveau mouvement si léger que l’on pourrait croire que son bras flotte tel un fanion.

De toute beauté !

Au bout d’un peu, deux autres silhouettes s’inscrivent dans ma rétine. Elles s’avancent à ma rencontre. Tache noire, tache blanche, Jérémie et César.

Inquiets, ils m’interrogent du regard.

— Alors ? lance Pinuche.

— Affaire de cœur, messieurs ! Permettez-moi de n’en pas parler.

— D’accord, mais ferme au moins ta braguette, gentleman, grogne le Noirpiot.

— Le mec acidulé est à la morgue ? demandé-je en me rajustant.

— Il ! confirme Blanchouillard.

— Vous l’y avez conduit sans encombre ?

— Sans !

— Pourtant, un monsieur vous a croisés et a remarqué qu’une main du cadavre sortait entre les barreaux de la corbeille roulante !

— Tu plaisantes ?

— Non.

— Qui c’est, ce type ?

— Un homme observateur et pas tellement formaliste puisqu’il n’a pas rameuté la garde !

En arrivant, je me rends au bureau de Clabote. Celui-ci est absent mais Marinette est au boulot derrière sa machine à écrire turbo.

Elle radieusit en me voyant, espère que je vais lui placer une main tombée au bustier, ou — qui sait ? — à la craquouze. Mais je viens de fournir (en surabondance) et son bonnet à poils, j’en ai rien à branler (si j’ose dire !).

— Il y a ici un vieux client nommé Félicien Jaunie, exact ?

— Un habitué, confirme la dodue.

— Parlez-moi un peu de lui, je vous prie, exquise Marinette.

Elle rougit, sourit, me caresse furtivement les bourses, mais comme celles-ci sont vides, elles ne lui font aucune aumône.

— M. Jaune, fait-elle, est un homme très bien.

— Je le pense aussi.

— Il est retraité, mais je crois qu’il occupait un poste important, peut-être dans la diplomatie.

— Il en a l’allure.

— Il vient avec son épouse et ils paraissent très unis. C’est une dame distinguée.

— Le numéro de leur chambre ?

Elle consulte un fichier.

— Le 188.

— C’est parfait.

La grosse s’enhardit :

— On se voit bientôt ?

— Nous sommes en train de nous VOIR, cela ne vous aura pas échappé ?

Elle rit.

— Je veux dire, se voir « autrement ». C’était rudement bon, hier.

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6

Si San-Antonio avait écrit, il aurait fait un malheur !

Jérôme Garcin (de l’Académie française)