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Son visage s’éclaire. Badigeon-souvenir ! Dans les tons roses, sertis tricolores.

— Soixante-deux mètres, à Mont-de-Marsan.

— Moi, je vais essayer d’en placer un cette nuit, déclaré-je ; mais y a du vent contraire et ça va pas être du gâteau. Faut que tu m’aides, Alex.

Il grimace.

— Quand on tire un drop, on est seul, objecte Clabote. Pour un coup de pied de pénalité, il arrive qu’un coéquipier te tienne le ballon du bout des doigts s’il y a du vent, jamais pour le drop-goal. C’est à la seconde, la décision éclair, l’ouverture fulgurante !

Il est sur le terrain, Alexis. Les yeux brillants. Il entend les clameurs du stade survolté. Il voit l’immense espace à couvrir, avec ses lignes blanches tracées dans l’herbe rase et les deux échafauds que sont les buts, à chaque extrémité.

Il biche. Se peut-il qu’il soit devenu l’horrible mec décrit par ces dames, lui, l’ancien sportif généreux, qui payait inlassablement de sa personne, prenait des horions et en balançait ? Il se serait transformé en un petit tyran des affaires, mesquin, âpre au gain, irascible et viceloque ? La vie nous change, je le sais bien, hélas. L’âge nous ébrèche et nous réduit, nous lézarde de partout… Vie salope ! A laquelle il faut faire semblant de croire ; à laquelle nous devons nous cramponner, sous peine de couler à pic pendant la traversée.

Je poursuis :

— Alors, appelons cela un coup de pied de pénalité, Alex. Au reste l’expression convient mieux. Il fait grand vent et tu devras me tenir le ballon pendant que je savate.

Là, je lui brosse rapidement mon plan. Il m’écoute. Une grimace d’hépatique en crise s’accentue au fur et à mesure que j’expose.

A la fin, il dit, la gargante collée par la trouillasse :

— Tu te rends compte de ce que tu me demandes ?

— Très bien.

— C’est complètement illégal ?

— Illégal à chier partout ! renchéris-je. Seulement dis-moi, talonneur étalonné, c’est légal qu’on bute les clients de ton institut de mes fesses comme on butait des Viêts à Diên Biên Phû ?

Vaincu, il soupire :

— Je ne sais pas où ça va, tout ça, Antoine ! J’ai l’impression soudain que mon univers se désagrège. Tout baignait, et puis voilà que tout bascule. La mort est omniprésente.

— Amen, dis-je. Souviens-toi de ce vers de Hugo, fils : « Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent. »

J’ai bonne mine de tenir ce langage à un homme dont je m’apprête à embarquer l’épouse après l’avoir fait reluire à bloc ! Parfois, tu te berces d’illuses. Tu crois que tu es bon, irradiant, en route pour les canonisations futures ; mais en vérité tu demeures inexorablement un sale mec qui compose avec les turpitudes, les vices, les saloperies. Simplement tu te cherches des excuses pour te désendolorir la conscience. Et parce que tu es fumelard complet, tu t’en trouves !

Je grattouille à la porte. Pas un « toc-toc » discret, mais reconnaissable : je te dis, juste un « crac-crac » comme les biscottes de la téloche.

Ellena m’ouvre. M’entrouvre plus exactement.

Je pénètre dans la chambre mortuaire. Une sale odeur commence à y flotter, douceâtre, obsédante. De plus, ça renifle le suif fondu, because les bougies qui, depuis plus de trente heures, désemparent pas.

Aujourd’hui, je ne serais pas partant pour la tirer sur le plume de la défunte, l’Ellena. Je goderais pas.

— Venez jusqu’à ma chambre, lui dis-je.

— Oh ! non ! S’il revient…

— Il vient de commander un gratin de fruits de mer et une perdrix aux choux avec une demi-bouteille de Chablis et une seconde de Château Latour ; vous ne pensez pas qu’il va claper ce menu comme un croque-monsieur à un rade d’aérogare ?

Elle hésite.

Je place ma banderille finale :

— Ne me dites pas que vous ne pouvez vous accorder une demi-heure de plaisir, chérie. J’ai des projets vous concernant ! Vous n’aurez même pas besoin de poser votre robe pour que je les réalise et je vous parie qu’elle ne sera pas froissée !

Je prends sa main et lui titille l’entre pouce et index du bout de la langue.

N’ensuite, je biche la clé au crochet derrière la lourde et hale ma conquête vers l’extérieur. Elle me suit d’un petit pas trébucheur, mi-figue, mi-raisin. A la fois inquiète et ravie. La conscience professionnelle le disputant chez elle à la perspective de baisolance intensive. Je lui ai déjà fourni mon catalogue et elle sait que j’excelle dans le rapport (sexuel) qualité-prix.

Dans ma turne, il y a Béru et sa morue incandescente.

Je feins la surprise, l’embarras :

— Tiens ! Vous z’ici !

— Il fallait que je te parlasse d’tout’ urgerie, déclare le Gros.

J’enchaîne :

— Ellena, permettez-moi de vous présenter l’un de mes plus précieux collaborateurs, M. Alexandre-Benoît Bérurier.

Hermétique, elle tend la main à l’ogre-mitaine.

Mon Gravos va pour la lui prendre, mais sa grosse paluche se ferme en cours de trajet, prend une vitesse ascendante et s’achève en uppercut foudroyant au menton de la dame de compagnie qui, dès lors, nous la fausse.

K.-o., elle s’effondre sur la moquette de qualité, laquelle amortit sa chute.

Le Mastar se tourne vers sa contractuelle d’amour.

— Qu’est-ce tu dis de mon somnifère, môme.

Je le rappelle à la modestie :

— Pavoise pas, Gros. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Il va jusqu’à mon plumard sur lequel est ouverte une méchante valoche de carton qu’il a dû acheter en « action » dans une grande surface. Y prend une cagoule noire, deux paires de menottes et une très longue corde enroulée.

Rapidité d’exécution, le Mahousse, faut reconnaître. Il enfile la cagoule sur la tronche d’Ellena, lui fixe les cabriolets aux poignets et aux chevilles et la traîne jusqu’à la terrasse.

Il pleut à verse, la nuit est noire et l’océan très proche grogne comme un fauve en cage.

Béru se penche par-dessus la balustrade. Il imite le cri du chat-huant, la nuit, dans son gros tilleul de Saint-Locdu-le-Vieux. Un sifflement modulé lui répond. Sans perdre un instant, Sa Majesté noue une extrémité de la corde sous les aisselles de l’Italienne.

— Tenez bon l’aut’ bout ! nous enjoint (juillet, août, septembre)-t-il.

On s’arc-boute, Violette et moi. Le Mastar passe la fille par-dessus la balustrade et guide la manœuvre de descente.

En peu de temps, Ellena atterrit dans la plate-bande fleurie où Jérémie et César la récupèrent.

Béru nous intime alors de lâcher, puis il jette la corde à l’extérieur.

— Tu sais ce que tu as à faire, Gros ? demandé-je.

— C’est écrit noir sur blanc dans mon caberlot.

— Tu te méfieras d’elle, surtout pas qu’elle t’empaille avec des vannes du genre : besoin de faire pipi ou autres !

— Fais-toi pas d’souci, grand.

Il se retire avec son égérie. Moi, je vais remettre la clé de la signorina clamsée sur sa lourde. Après quoi je me rends dans la piaule d’Ellena. Je biche son manteau dans sa penderie, son sac à main, ses bijoux de rechange, son passeport et je retourne chez moi. Je fourre mon butin dans la valoche désormais inutile du Mammouth et vais la mettre à l’intérieur de ma grande Vuitton posée sur la claie à bagages de l’entrée.

Première partie du coup de main réussie.

Ne reste plus qu’à attendre.

* * *

Un tantisoit éméché, le constructeur de bagnoles ! Surtout qu’il a enquillé un bas armagnac après la tarte Tatin, pour torpiller ses chagrins d’orphelin.

Quand la mamma disparaît, tu sais l’effet que ça produit ? Ce vide. Cette infinie désespérance. Il serait chez lui, dans sa vaste propriété de Rome, avec le clan au complet, l’oncle guitariste, les tantes pleureuses, il éprouverait du réconfort. Mais ici, dans cet institut de Bretagne, un bled si peu conforme à la vie transalpine (de cheval, cela va de moi), sa désemparade est totale. Qu’heureusement, il y a la Mencini !