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Un brin de chanson Tino ! En voilà un qu’est irremplaçable :

« O Catharinetta belle « Tchi tchi « Ecoute l’amour t’appelle « Tchi tchi… »

Elle croit chanter ; en réalité ses lèvres remuent mais tout reste à l’intérieur, dans le coton du subconscient. « Tchi tchi ! »

Faut profiter quand il est temps.

Elle demeure agenouillée, plus exactement assise sur ses talons, sa brosse de chien sans dents à la main. Et ça cogne dans son corsage, si tu savais ! La vache ! Mais ça cogne !

— Vous êtes madame Gabot ? demande le gendarme.

— Oui.

— Vous devinez ce qui m’amène ?

Elle panique.

— Non ! Enfin, oui, peut-être. Du moins, j’sais pas.

Le gendarme a un grand rire qui va d’une oreille à l’autre, ce con. Il s’approche de la Gabot, la surplombe pire que les falaises d’Etretat.

Il porte des chaussures de ville ! C’est curieux pour un gendarme ! Des godasses en croco. Vous trouvez ça normal, vous ? Pas la Gabot !

Elle continue sa contre-plongée pour mater le bédi. Il est coiffé d’un drôle de kébour, genre lieutenant de spahi.

Elle fredonne :

« Les vieilles de notre pays « Ne sont pas des vieilles moroses, « Elles portent des bonnets roses… »

Curieux, cette marotte de chantonner à longueur d’existence, y compris dans les pires circonstances.

Pourquoi la Gabot songe-t-elle qu’elle est en train d’affronter, justement, l’une des pires circonstances de sa pauvre vie ? C’est comme une certitude, une évidence.

Le gendarme aux souliers de croco et au képi de spahi est porteur de malheur. Son regard ! Si vous le voyiez ! Jamais la Gabot n’a rien lu de plus implacable dans une paire d’yeux. Elle se rappelle un chien fou, dans sa jeunesse, qui l’avait cruellement mordue, comme ça, sans qu’elle l’eût contrarié le moins du monde. Eh bien, le regard du molosse cruel n’était pas pire que celui de son visiteur.

L’homme laisse tomber, depuis sa gueule, tout là-haut :

— Dites-moi que vous savez ce qui m’amène, madame Gabot.

Et il marche délibérément sur la main que la pauvre femme a laissée sur le plancher.

Elle pousse un cri de douleur et retire ses doigts meurtris.

— Allons, la mère : dites !

— Oui, oui, halète la malheureuse. Oui, oui, je sais.

— Bravo ! Il faut toujours mourir en connaissance de cause.

Là, elle comprend que sa dernière heure est arrivée. Comme ça, d’une façon inopinée. Elle frottait son plancher. Et puis on frappe ; et c’est la mort qui entre. Elle voudrait crier mais ses cordes vocales ne fonctionnent plus. Détendues, elles sont !

Le gendarme se penche et la saisit par les cheveux. Il la tire sur la droite, là que se trouve la grande bassine pleine d’eau mousseuse. La Gabot, elle emploie « Monsieur Propre ». A la télé ils sont catégoriques : y a que « Monsieur Propre » pour briquer les sols. C’est pas la peine de chipoter : « Monsieur Propre », point à la ligne !

Le gendarme hale un grand coup. Il lui semble qu’on lui arrache la tignasse, la Gabot, le cuir chevelu, la tronche ! Ça lui fout du feu partout. Une douleur irradiante lui fulgure jusque dans le buste. Le salaud de gendarme lui plonge la tête dans sa lavasse. Pouah ! Beurg ! Dégueulasse ! « Monsieur Propre » est efficace, mais pas comestible. Elle en prend par les trous de nez, même par les oreilles. Se débat comme une furie. Elle s’arc-boute à bloc, la pauvrette. A la belle idée de ruer de l’arrière-train.

Un moment, elle faille se dégager. Sa main qui tient la brosse de chiendent fouette le vide, aboutit dans la braguette de son agresseur qui pousse une plainte. Mais la douleur avive la colère du faux pandore. Il acalifourchonne la Gabot, lui biche la chevelure à deux mains et lui replonge la tête dans la bassine. Du coup, la voilà qui se met à imiter le Saint-Père et à faire des bulles.

Elle tente à nouveau de se dégager, mais le fumier la tient coincée entre ses jambes. Il l’injurie, dents serrées. Elle distingue pas trop ce qu’il profère puisqu’elle est immergée de la frime. Des vilaineries, genre « Sale bougresse ! Tiens, vérole, avale ! Tu vas crever, charogne ! »

Il lui cogne le front contre le fond de la bassine, mais le liquide amortit un peu le choc. La Gabot, ça devient écarlate en elle. Elle pense :

« La feuille d’automne

« Emportée par le vent

« En ronde monotone

« Tombe en tourbillonnant… »

Ça lui chante en dedans comme l’écho d’un coquillage. Ses poumons vont éclater. Elle est sans force. Résignée, tu vois ? Parole : elle se soumet à l’inexorable. Elle sent quelque chose qui tombe sur son oreille, glisse le long de sa joue. Un truc dur, pas gros, échappé de la poche de ce salaud pendant qu’il est penché et s’escrime et gueule : « Vieille pute ! Crevure ! Vache ! »

Ça devient plus distinct parce qu’il doit parler fort.

Tout se brouille majestueusement. Le rouge s’étale pour constituer une espèce d’horizon incarnat sur le noir de la terre et du ciel.

O Jésus.

O Jé é sus

Doux et humble de cœur

Mme Gabot est morte.

Le gendarme la lâche. Le poids du cadavre livré à lui-même renverse la bassine. Le meurtrier saute de côté afin d’éviter la trombe d’eau sale.

Il trouve un torchon, pas très loin, s’en sert pour essuyer ses mains mouillées. L’extrémité des manches de sa vareuse est détrempée et il a une godasse pleine de flotte. Pas joyce.

Il regarde la Gabot qui tient encore sa foutue brosse entre ses doigts crispés. Il se dit qu’après tout, il serait concevable qu’à la suite de quelque étourdissement, la vieille tarte soit tombée les naseaux dans sa bassine, et se soit noyée. Des choses plus surprenantes et malencontreuses se sont déjà produites.

Il y a un compotier sur un vieux buffet noirâtre qui contient des sablés bretons. Le faux gendarme adore les galettes de Pont-Aven ou assimilées. Il en prend une et la fourre dans sa bouche.

Il aimerait prononcer une brève oraison funèbre avant de s’en aller.

— Saloperie ! lâche-t-il en mastiquant le biscuit.