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Il y a sûrement beaucoup de travail. Quand je suis allé voir le sergent, je suis passé devant un bâtiment qui s’appelle la Guilde des Voleurs ! J’ai demandé à madame Paluche. Évidemment qu’elle a dit. Les chefs des voleurs de la ville se réunissent là, qu’elle a dit. Je suis donc allé au poste du Guet et j’ai vu le sergent Côlon, un homme très gros, et quand je lui ai parlé de la Guilde des Voleurs, il a dit : « Arrête de faire l’idiot. » Je ne crois pas qu’il est sérieux. Il a dit : « T’occupe pas des guildes des Voleurs, tout ce que tu as à faire, c’est te balader la nuit dans les rues et crier « Il est minuit, tout va bien ». – Et si tout ne va pas bien ? » je lui ai demandé. Alors il a dit : « Tu te démerdes pour trouver une autre rue vite fait. »

Tu parles d’un chef.

On m’a donné une cotte de mailles. Elle est rouillée et mal tricotée.

Ils donnent de l’argent pour faire le garde. C’est vingt piastres par mois. Quand je les aurai je te les enverrai.

J’espère que vous allez tous bien et que le puits n°5 est maintenant ouvert. Tantôt, je vais aller faire un tour à la Guilde des Voleurs. C’est scandaleux. Si je remédie à la situation, ce sera une perle à ma couronne. J’attrape déjà le coup pour parler comme les gens d’ici. Ton fils qui t’aime. Carotte.

P.S. : Embrasse Gougnotte pour moi. Elle me manque vraiment.

* * *

Le seigneur Vétérini, Patricien d’Ankh-Morpork, se mit la main au-dessus des yeux.

« Il a fait quoi ?

— Il m’a embarqué dans les rues, répondit Urdo van Priedieux, le président en exercice de la Guilde des Voleurs, Cambrioleurs et Disciplines Assimilées. En plein jour ! Les mains liées ! » Il s’avança de quelques pas vers le Patricien assis dans le sévère fauteuil de sa charge et agita un doigt.

« Vous savez parfaitement que nous sommes restés dans les limites du budget, dit-il. Se faire humilier comme ça ! Comme un vulgaire criminel ! Je tiens à des excuses complètes, sinon vous aurez une autre grève sur les bras. Nous y serons contraints, malgré notre sens civique inné », ajouta-t-il.

Le doigt. Le doigt était une erreur. Le Patricien fixait le doigt d’un regard glacial. Van Priedieux suivit le regard et baissa bien vite son index. Le Patricien n’était pas un homme qu’on menaçait du doigt, à moins d’avoir envie de ne plus pouvoir compter que jusqu’à neuf.

« Et vous dites qu’il ne s’agit que d’une personne ? fit le seigneur Vétérini.

— Oui ! C’est-à-dire… » Van Priedieux hésita.

L’incident lui paraissait vraiment bizarre, maintenant qu’il fallait l’expliquer à quelqu’un.

« Mais vous êtes des centaines là-dedans, fit observer le Patricien d’une voix calme. Des larrons en foire, si vous me passez l’expression. »

Van Priedieux ouvrit et referma la bouche plusieurs fois. La réponse honnête aurait dû être : Oui, et si des imprudents s’étaient infiltrés en douce pour aller rôder dans les couloirs, ils l’auraient vite regretté. C’était sa façon de s’amener d’un pas assuré comme s’il rentrait chez lui qui avait abusé tout le monde. Ça et sa manie de cogner sur les gens en leur recommandant de se corriger.

Le Patricien hocha la tête.

« Je vais régler cette affaire instantanément », dit-il. Une bonne formule, ça. Qui faisait toujours hésiter ses interlocuteurs. Ils n’étaient jamais sûrs de ce qu’il entendait par là : s’il allait la régler tout de suite ou en un rien de temps. Et personne n’osait jamais lui poser la question.

Van Priedieux recula.

« Des excuses complètes, j’y tiens. J’ai un rang à tenir, ajouta-t-il.

— Merci. Et moi, je ne voudrais pas vous retenir, dit le Patricien, en ayant l’air de penser détenir.

— D’accord. Bon. Merci. Très bien, fit le voleur.

— Après tout, vous avez tant de travail, poursuivit le Patricien.

— Ma foi, c’est effectivement le cas. » Le voleur hésita. Il devinait des barbillons dans la dernière réflexion du Patricien. Il se surprit à attendre qu’il ferre.

« Euh… fit-il, dans l’espoir d’obtenir un indice.

— Avec toutes les affaires que vous menez, j’entends. »

La panique envahit la figure du voleur. Un sentiment diffus de culpabilité lui inonda le cerveau. Nullement à cause de ce qu’il avait fait, mais à cause de ce que le Patricien avait découvert. L’homme avait des yeux partout, tous moins terrifiants que les deux d’un bleu glacial au-dessus de son nez.

« Je… euh… je ne vous suis pas très bien… commença-t-il.

— Curieux choix, vos victimes. » Le Patricien saisit une feuille de papier. « Par exemple, une boule de cristal appartenant à une diseuse de bonne aventure de la rue Apic. Un bibelot du temple d’Offler le dieu crocodile. Et ainsi de suite. Des babioles.

— Je ne vois pas du tout, je le crains… » fit le chef des voleurs. Le Patricien se pencha vers lui.

« Ce n’est pas du vol illicite, tout de même ? demanda-t-il[6].

— Je vais me renseigner là-dessus tout de suite ! bégaya le chef des voleurs. Vous pouvez y compter ! »

Le Patricien lui adressa un sourire suave. « J’en suis sûr, dit-il. Merci pour votre visite. N’ayez pas peur de partir. »

Le voleur sortit en traînant les pieds. C’était toujours pareil avec le Patricien, songeait-il amèrement. On venait lui soumettre une revendication légitime. Et on finissait par sortir à reculons, en faisant des courbettes et en rasant les murs, bien soulagé de prendre le large. Il fallait lui rendre cette justice, au Patricien, reconnut-il à contrecœur. Et quand on ne la lui rendait pas, il envoyait des hommes la récupérer de force.

Après son départ, le seigneur Vétérini agita la clochette de bronze pour appeler son secrétaire. Un secrétaire à l’écriture illisible du nom de Lupine Wonse. Il apparut, la plume brandie.

Un adjectif s’imposait à la vue de Lupine Wonse : impeccable. Il donnait toujours l’impression d’être flambant neuf, tout juste sorti d’usine. Même ses cheveux étaient tellement lissés et huilés qu’on les aurait dits peints sur son crâne.

« Le Guet a, semble-t-il, des ennuis avec la Guilde des Voleurs, dit le Patricien. Van Priedieux sort d’ici, il prétend qu’un membre du Guet l’a arrêté.

— Pour quel motif, monsieur ?

— Parce qu’il est un voleur, apparemment.

— Un membre du Guet ? fit le secrétaire.

— Je sais. Mais réglez-moi cette affaire, vous voulez bien ? »

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6

Entre autres innovations marquantes, le Patricien avait mis le vol sous la responsabilité de la Guilde des Voleurs, à grand renfort de budgets annuels, plannings à long terme et sévère protection de l’emploi. À la suite de quoi, en contrepartie d’un taux annuel moyen de délits préalablement convenu, les voleurs veillaient eux-mêmes à ce que le crime non autorisé subisse toute la rigueur de l’injustice, en général un bâton hérissé de pointes.