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— Bête ? Je me suis fait virer devant tout le monde !

— Oui, mais c’était un malentendu, j’en suis sûre.

— Moi, je n’ai pas mal entendu !

— Eh bien, à mon avis, vous êtes impuissant, et ça vous met dans tous vos états. »

Les yeux de Vimaire lui sortirent de la tête. « Heiiin ? fit-il.

— Contre le dragon, poursuivit dame Ramkin, imperturbable. Vous ne pouvez rien faire.

— J’ai l’impression que cette foutue ville et le dragon se méritent bien l’un l’autre.

— Les gens ont peur. On ne peut pas attendre grand-chose des gens quand ils ont aussi peur. » Elle lui toucha le bras avec précaution. On aurait dit un robot industriel adroitement manipulé pour saisir un œuf en douceur.

« Tout le monde n’est pas aussi courageux que vous, ajouta-t-elle timidement.

— Moi ?

— L’autre semaine. Quand vous les avez empêchés de tuer mes dragons.

— Oh, ça. Ça n’est pas du courage. Et puis ce n’étaient que des gens. C’est facile avec les gens. Je vais vous dire une bonne chose. Plus question pour moi de regarder ce dragon dans les trous de nez. Ça me réveille la journée rien que d’y penser.

— Oh. » Elle avait l’air démontée. « Bon, si vous le dites, alors… J’ai beaucoup d’amis, vous savez. Si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas. Le duc de Sto Helit cherche un capitaine des gardes, j’en suis sûre. Je peux vous écrire une lettre. Vous les apprécierez, c’est un jeune couple très charmant.

— Je ne sais pas trop ce que je vais faire, dit Vimaire d’un ton plus bourru qu’il n’aurait voulu. J’ai une ou deux propositions à l’étude.

— Oui, évidemment. Vous avez certainement raison. »

Vimaire hocha la tête.

Dame Ramkin tordait et retordait son mouchoir dans ses mains.

« Alors, voilà, fit-elle.

— Voilà, fit-il.

— Je… euh… je pense que vous voulez partir, alors.

— Oui, je pense que je ferais mieux d’y aller. »

Une pause. Puis ils parlèrent tous deux en même temps.

« Ç’a été très…

— Je voudrais dire…

— Pardon.

— Pardon.

— Non, vous avez commencé une phrase.

— Non, pardon, vous disiez ?

— Oh. » Vimaire hésita. « Je vais y aller, alors.

— Oh. Oui. » Dame Ramkin lui adressa un sourire décoloré. « Vous ne pouvez pas faire attendre toutes ces propositions, c’est sûr. »

Elle tendit brusquement une main. Vimaire la serra avec précaution.

« Bon, je me sauve, alors, dit-il.

— Repassez donc, fit dame Ramkin d’un ton encore plus glacial, si jamais vous venez dans le quartier. Voilà. Je suis sûre que ça ferait plaisir à Errol.

— Oui. Bon. Au revoir, alors.

— Au revoir, capitaine Vimaire. »

Il franchit la porte en trébuchant et descendit d’un pas pressé le sentier obscur envahi par l’herbe. Il sentait le regard de la femme sur sa nuque, du moins il se dit qu’il le sentait. Elle devait se tenir sur le seuil, masquant presque la lumière. Elle m’observe. Mais je ne vais pas me retourner, songea-t-il. Ce serait vraiment idiot. Je veux dire, elle est charmante, elle a beaucoup de bon sens et une très forte personnalité, mais franchement…

Je ne vais pas me retourner, même si elle reste là tout le temps que je descende la rue. Des fois, il faut être cruel pour le bien d’autrui.

Aussi, lorsqu’il entendit la porte se refermer alors qu’il n’avait parcouru que la moitié du trajet, il se sentit très, très en colère, comme si on venait de le spolier.

Il s’immobilisa, serra et desserra les poings dans le noir. Il n’était plus le capitaine Vimaire, il était le citoyen Vimaire, autant dire qu’il pouvait faire ce dont il n’avait jamais rêvé jusque-là. Comme aller casser quelques carreaux.

Non, ça n’avancerait à rien. Il voulait davantage. Se débarrasser de ce foutu dragon, retrouver son boulot, mettre le grappin sur le cerveau derrière tout ça, s’oublier rien qu’une fois et taper sur quelqu’un jusqu’à épuisement…

Son regard était perdu dans le vide. En dessous, la ville n’était qu’une masse de fumée et de vapeur. Mais ce n’est pas à ça qu’il pensait.

Il pensait à un homme en train de courir. Et plus loin dans les brumes confuses de son existence, à un gamin qui courait pour ne pas se laisser distancer.

« Il y en a qui s’en sont sortis ? » murmura-t-il alors tout bas.

* * *

Le sergent Côlon termina sa proclamation et considéra la foule hostile autour de lui.

« C’est pas à moi qu’il faut vous en prendre, dit-il. Moi, je fais que lire. J’les écris pas, ces trucs-là.

— C’est du sacrifice humain, dites donc, fit quelqu’un.

— Moi, je trouve ça bien, le sacrifice humain, dit un prêtre.

— Ah, en soie, oui, s’empressa de reconnaître le premier intervenant. Pour des motifs religieux valables. Et quand on se sert de criminels condamnés et autres[21]. Mais balancer quelqu’un à un dragon uniquement parce qu’il a un petit creux, ça n’a rien à voir.

— Exactement ! fit le sergent Côlon.

— Les impôts, c’est une chose, mais manger les gens, ç’en est une autre.

— Bien dit !

— Si on proteste tous qu’on ne veut pas de ça, qu’est-ce qu’il peut faire, le dragon ? »

Chicard ouvrit la bouche. Côlon lui plaqua une main dessus et leva en l’air un poing triomphant.

« C’est ce que j’ai toujours dit, fit-il. L’union, oui, la fusion, non ! »

Des acclamations désordonnées lui répondirent.

« Une minute, fit lentement un petit bonhomme. Pour ce qu’on en sait, le dragon n’est bon qu’à une chose. Il vole un peu partout en ville et met le feu aux gens. Je ne vois pas bien comment on pourrait l’en empêcher.

— Oui, mais si on proteste tous… fit le premier à avoir pris la parole, des accents d’incertitude dans la voix.

— Il peut pas brûler tout le monde », dit Côlon. Il voulut jouer son nouvel atout une fois encore et ajouta fièrement : « L’union, oui, la fusion, non ! » Les acclamations furent moins fournies ce coup-ci. Les gens gardaient leur énergie pour s’inquiéter.

« Je ne suis pas bien sûr de comprendre pourquoi il se gênerait. Qu’est-ce qui le retiendrait de brûler tout le monde et de s’envoler pour une autre ville ?

— Parce que…

— Le trésor, dit Côlon. Il a besoin des gens pour grossir son trésor.

— Ouais.

— Ben, peut-être, mais combien, exactement ?

— Quoi ?

— Combien de gens ? Dans toute la ville, je veux dire. Il n’aura peut-être pas besoin de griller tout Ankh-Morpork, rien que des petits bouts. Est-ce qu’on sait lesquels ?

— Ecoutez, ça devient ridicule, dit le premier intervenant. Si on se met à tout le temps discuter des problèmes, on ne fera jamais rien.

— On a toujours intérêt à d’abord examiner les choses en détail, c’est tout ce que je dis. Par exemple : qu’est-ce qui se passera même si on bat le dragon ?

— Oh, allons ! fit le sergent Côlon.

— Non, sérieusement. On aura quoi à la place ?

— Un être humain, déjà !

— À votre guise, dit le petit bonhomme d’un air guindé. Mais à mon avis, une personne par mois, ça n’est pas si mal quand on pense à certains dirigeants qu’on a eus. Quelqu’un se souvient de Nerche le Lunatique ? Ou du seigneur Smince le Ricaneur et de son cachot “un-rire-par-minute ?” »

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21

Un certain nombre de religions, à Ankh-Morpork, s’adonnaient encore à l’exercice du sacrifice humain, même si elles n’avaient plus vraiment besoin d’exercices, ayant désormais acquis le coup de main. Un décret municipal leur imposait de n’exécuter que des criminels condamnés, mais ce n’était pas gênant car, dans la plupart des religions, refuser de se porter volontaire pour un sacrifice était un délit puni de mort.