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Le service était supervisé par un maître d'hôtel principal vêtu d'un smoking noir, chemise et col cassé empesés, nœud papillon noir et gilet blanc, chaussettes noires et chaussures noires non vernies avec talon en caoutchouc. Il était assisté par des maîtres d'hôtel adjoints en frac, gilet et pantalon noirs, chemise et col cassé empesés, nœud papillon noir, chaussettes noires et chaussures noires non vernies avec talon en caoutchouc. Ceux-ci menaient eux-mêmes une brigade de chefs de rang en spencer blanc croisé, gilet noir très échancré, pantalon noir, chemise empesée blanche, col cassé, nœud papillon blanc, chaussettes noires et chaussures noires non vernies avec talon en caoutchouc. Quant aux sommeliers qui vérifiaient sans cesse les niveaux dans les verres, ils étaient en rondin, gilet et pantalon noirs, chemise empesée blanche, col cassé, nœud papillon noir, tablier en grosse toile noire avec poches plaquées et attache de cuir; un insigne figurant une grappe dorée était fixée au revers gauche du rondin.

Plus bas dans la hiérarchie, des commis de suite assistés de commis débarrasseurs assuraient la liaison entre la table de service de leur chef de rang et les services de l'arrière, lieux invisibles dans lesquels, sous l'autorité d'un chef de cuisine comme dans tout établissement qui se tient, devait évoluer une armée de commis, cafetiers, passeplats, plongeurs, argentiers, vaisseliers, verriers, cavistes, économes et fruitiers – cependant qu'au sommet de la pyramide, évoluant en marge des tables et veillant discrètement au grain, le directeur du restaurant portait un veston et un gilet en tissu gris marengo, une chemise et un col blancs empesés, une cravate grise, un pantalon rayé, des chaussettes noires, des souliers noirs et des cheveux impeccablement argentés.

Sans doute arrivés au Centre avant Max, donc forcément plus informés, les types autour des tables avaient l'air bien plus au courant que lui des deux orientations possibles – parc ou section urbaine -, chacun s'interrogeant sur son propre devenir sans négliger, quelquefois non sans perfidie, celui des autres. Cela spéculait sec, on pariait en sous-main, Max écoutait. Avant d'être informé du principe de non-mixité, il avait pu caresser quelques instants l'idée toujours envisageable de retrouver Rose au restaurant mais bon, n'en parlons plus.

Les sessions étant donc hebdomadaires, certains, présents depuis cinq ou six jours, avaient eu le temps de prendre langue et se connaissaient entre eux. Max se sentit accueilli comme un nouveau qu'on va dresser, on lui passait le sel sans un regard, on ne lui adressait pratiquement pas la parole. Il lui sembla ne recueillir un peu de sympathie qu'auprès du trancheur en tenue de cuisine immaculée et qui, circulant autour des tables avec sa petite voiture roulante chromée, taillait la viande sur mesure après avoir présenté aux clients les pièces à découper: il semblait qu'on eût le choix ce jour-là entre les poussins à la Polonaise et la selle de chevreuil sauce Cumberland. Une fois qu'il eut opté pour les poussins, Max consomma le reste du menu jusqu'au café en attendant que Béliard passât le récupérer.

Plus tard, dans l'ascenseur: Alors, demanda Béliard, vous avez retrouvé du monde? Non, répondit Max qui, n'ayant croisé au restaurant personne de sa connaissance, mais que la présence au Centre de Doris et Dino – même si celui-ci s'agrippait à l'incognito – avait impressionné, fit part d'un peu de sa déception de n'avoir pas rencontré d'autres célébrités. Sur ce point vous en serez pour vos frais, dit Béliard qui exposa que, si l'un des principes du Centre était de recycler d'anciennes personnalités pour faire partie du personnel, des quotas étaient cependant respectés, tout ça était contingenté: pas plus de deux par étage. Par exemple au niveau du dessous, précisa-t-il, vous avez Renato Salvatori et Soraya. Certaines de ces gloires passées, affectées à demeure, se voyaient dispensées de l'alternative entre section urbaine et parc. Statut sans risque, certes, mais aussi sans avenir.

Max s'apprêtait à lui faire développer cette question de l'avenir quand la sonnerie discrète de l'ascenseur fit savoir qu'on était arrivés. Passons sur les nouveaux couloirs qui débouchèrent, cette fois, sur une entrée bien différente de celle par où Max avait tenté de s'enfuir. Ici point de système à tambours de vieil hôtel colonial, nulle guérite, aucun dégagement sur une cour de gravier: ici deux hautes et larges portes vitrées donnaient de plain-pied sur la nature. Allons-y, dit Béliard, suivez-moi. Une petite promenade digestive, ça vous dit? Bien volontiers, dit Max.

Pour commencer, on grimpa sur un promontoire d'où Max pourrait envisager la structure générale du parc. Il s'agissait donc d'une immensité végétale de forme à peu près ronde, mais d'une telle ampleur que son tour d'horizon semblait excéder les trois cent soixante degrés. Elle était composée de paysages étonnamment variés, heureusement combinés, montage de toutes les entités géomorphologiques imaginables – vallées, collines, escarpements, canyons, plateaux et pics, etc. -, parmi lesquelles se déployait un réseau hydrographique très développé: çà et là, fugaces ou fixes, des brillances révélaient ou suggéraient des fleuves, des rivières et des lacs, des mares, des étangs, des bassins et des jets, chutes et miroirs d'eau, à l'horizon de quoi l'on devinait un bord de mer.

Dès qu'on fut redescendu au pied du promontoire, Max vit un foisonnement végétal commencer de s'étendre vers cet horizon, concert d'arbres et de plantes où cohabitaient toutes les espèces poussant sous les climats les plus variés – le pin côtoyant l'orme et l'if le térébinthe – comme on en voit dans certains jardins portugais mais en plus exhaustif encore, au point que pas une des trente mille espèces d'arbres recensées dans le monde n'avait l'air de manquer. Poursuivons, dit Béliard, on va voir ça d'un peu plus près. Ils s'engagèrent dans un chemin d'un style tout opposé à celui par lequel Max avait tenté de s'enfuir, abondamment fleuri, environné d'arbres fruitiers, ornementaux et forestiers, d'épineux et de lianes entrelacées. Au sein de cette vaste flore, naturellement, la faune n'était pas en reste. Des lapins détalaient dans les buissons, furtifs comme des mécanismes, des partis de colibris versicolores striaient le ciel de branche en branche, et à mi-hauteur bourdonnaient des insectes de luxe, triés sur le volet – libellules émaillées, coccinelles laquées, cétoines métallisées. Au-delà, certains singes mal élevés se balançaient aux lianes en poussant leurs cris à la con pendant que d'autres singes, plus calmes et mieux disciplinés, cueillaient des fruits dans les poiriers, l'anse d'un joli panier d'osier sagement coincée dans la saignée de leur coude.

De loin en loin, bientôt, se laissèrent distinguer de petites maisons très espacées parmi les arbres et d'allures aussi variées qu'eux. Ces constructions pouvaient dénoter diverses origines culturelles, de la case à la yourte, de l'isba au pavillon de thé traditionnels, mais on apercevait aussi des édifices plus modernistes, structures gonflables en propylène, habitacles en béton avec cockpit vitré, conteneurs autoporteurs ou capsules monocoques en plastique – il y avait même un module Algeco. Elles présentaient toujours deux particularités. Chacune, d'abord, était de taille réduite, conçue pour n'abriter qu'une ou deux personnes tout au plus, et ensuite presque toutes semblaient rapidement démontables et remontables en peu de temps, quand elles n'étaient pas tout simplement montées sur roues. Comme Max s'en étonnait, Béliard expliqua que la mobilité géographique était un mode de vie des occupants du parc, nomadisme que ses très amples dimensions permettaient. Disséminées dans le paysage, ces habitations mobiles se tenaient le plus souvent à bonne distance les unes des autres bien que certaines, plus sédentaires, installées dans les arbres au milieu des branches, pussent former un réseau que reliaient des trottoirs suspendus, courant de platane en séquoia.