Выбрать главу

Plus tard, dans l'ascenseur: Alors, demanda Béliard, vous avez retrouvé du monde? Non, répondit Max qui, n'ayant croisé au restaurant personne de sa connaissance, mais que la présence au Centre de Doris et Dino – même si celui-ci s'agrippait à l'incognito – avait impressionné, fit part d'un peu de sa déception de n'avoir pas rencontré d'autres célébrités. Sur ce point vous en serez pour vos frais, dit Béliard qui exposa que, si l'un des principes du Centre était de recycler d'anciennes personnalités pour faire partie du personnel, des quotas étaient cependant respectés, tout ça était contingenté: pas plus de deux par étage. Par exemple au niveau du dessous, précisa-t-il, vous avez Renato Salvatori et Soraya. Certaines de ces gloires passées, affectées à demeure, se voyaient dispensées de l'alternative entre section urbaine et parc. Statut sans risque, certes, mais aussi sans avenir.

Max s'apprêtait à lui faire développer cette question de l'avenir quand la sonnerie discrète de l'ascenseur fit savoir qu'on était arrivés. Passons sur les nouveaux couloirs qui débouchèrent, cette fois, sur une entrée bien différente de celle par où Max avait tenté de s'enfuir. Ici point de système à tambours de vieil hôtel colonial, nulle guérite, aucun dégagement sur une cour de gravier: ici deux hautes et larges portes vitrées donnaient de plain-pied sur la nature. Allons-y, dit Béliard, suivez-moi. Une petite promenade digestive, ça vous dit? Bien volontiers, dit Max.

Pour commencer, on grimpa sur un promontoire d'où Max pourrait envisager la structure générale du parc. Il s'agissait donc d'une immensité végétale de forme à peu près ronde, mais d'une telle ampleur que son tour d'horizon semblait excéder les trois cent soixante degrés. Elle était composée de paysages étonnamment variés, heureusement combinés, montage de toutes les entités géomorphologiques imaginables – vallées, collines, escarpements, canyons, plateaux et pics, etc. -, parmi lesquelles se déployait un réseau hydrographique très développé: çà et là, fugaces ou fixes, des brillances révélaient ou suggéraient des fleuves, des rivières et des lacs, des mares, des étangs, des bassins et des jets, chutes et miroirs d'eau, à l'horizon de quoi l'on devinait un bord de mer.

Dès qu'on fut redescendu au pied du promontoire, Max vit un foisonnement végétal commencer de s'étendre vers cet horizon, concert d'arbres et de plantes où cohabitaient toutes les espèces poussant sous les climats les plus variés – le pin côtoyant l'orme et l'if le térébinthe – comme on en voit dans certains jardins portugais mais en plus exhaustif encore, au point que pas une des trente mille espèces d'arbres recensées dans le monde n'avait l'air de manquer. Poursuivons, dit Béliard, on va voir ça d'un peu plus près. Ils s'engagèrent dans un chemin d'un style tout opposé à celui par lequel Max avait tenté de s'enfuir, abondamment fleuri, environné d'arbres fruitiers, ornementaux et forestiers, d'épineux et de lianes entrelacées. Au sein de cette vaste flore, naturellement, la faune n'était pas en reste. Des lapins détalaient dans les buissons, furtifs comme des mécanismes, des partis de colibris versicolores striaient le ciel de branche en branche, et à mi-hauteur bourdonnaient des insectes de luxe, triés sur le volet – libellules émaillées, coccinelles laquées, cétoines métallisées. Au-delà, certains singes mal élevés se balançaient aux lianes en poussant leurs cris à la con pendant que d'autres singes, plus calmes et mieux disciplinés, cueillaient des fruits dans les poiriers, l'anse d'un joli panier d'osier sagement coincée dans la saignée de leur coude.

De loin en loin, bientôt, se laissèrent distinguer de petites maisons très espacées parmi les arbres et d'allures aussi variées qu'eux. Ces constructions pouvaient dénoter diverses origines culturelles, de la case à la yourte, de l'isba au pavillon de thé traditionnels, mais on apercevait aussi des édifices plus modernistes, structures gonflables en propylène, habitacles en béton avec cockpit vitré, conteneurs autoporteurs ou capsules monocoques en plastique – il y avait même un module Algeco. Elles présentaient toujours deux particularités. Chacune, d'abord, était de taille réduite, conçue pour n'abriter qu'une ou deux personnes tout au plus, et ensuite presque toutes semblaient rapidement démontables et remontables en peu de temps, quand elles n'étaient pas tout simplement montées sur roues. Comme Max s'en étonnait, Béliard expliqua que la mobilité géographique était un mode de vie des occupants du parc, nomadisme que ses très amples dimensions permettaient. Disséminées dans le paysage, ces habitations mobiles se tenaient le plus souvent à bonne distance les unes des autres bien que certaines, plus sédentaires, installées dans les arbres au milieu des branches, pussent former un réseau que reliaient des trottoirs suspendus, courant de platane en séquoia.

Mais toutes ces demeures, dont on devinait parfois quelques occupants, Max ne les voyait que de trop loin. On ne pourrait pas s'approcher un peu? demanda-t-il. Non, répondit Béliard, on ne peut pas. Il ne faut pas les déranger, ils n'aiment pas ça. Ils tiennent à leur tranquillité. Et puis vous avez le statut de visiteur, n'est-ce pas, je ne peux pas vous laisser rencontrer les pensionnaires. Je peux vous dire en tout cas qu'ils sont au calme, chacun chez soi dans son petit intérieur dont il a choisi le style. C'est une formule qui plaît. Comme le parc est très vaste, on peut y vivre en paix, on n'est pas les uns sur les autres. Mais ils se retrouvent, quelquefois. Ils disposent d'équipements pour les activités sportives, il y a des terrains de golf, des tennis, des clubs nautiques sur les plans d'eau, tout ça. Je dois dire que les prestations sont bien. Ils organisent aussi des petits concerts de temps en temps, des petits spectacles, personne n'est obligé d'y assister, bien sûr. Chacun fait comme il veut. Je vais quand même vous faire voir un logement de plus près. On peut aller y jeter un œil, c'est inoccupé en ce moment.

Il guida Max vers un minuscule cottage de type anglo-saxon flanqué d'un jardinet foisonnant de roses et d'anémones, de phlox et de nigelles, de cléomes et de pavots, sous les arcs-en-ciel fugitifs que déployait le système d'arrosage automatique, à l'ombre des lentisques et des liquidambars. Mais regardez-moi ça comme c'est joli, s'émerveilla Béliard, ils peuvent même cultiver leur jardin. Et puis il y a des arbres fruitiers tant qu'on veut dans le parc, voyez-vous, on peut tranquillement manger de tout. Enfin, quand je dis de tout, à vrai dire c'est surtout de la papaye, hein. C'est qu'il n'y a pratiquement pas de saisons ici, n'est-ce pas, le climat est idéal. Donc ça pousse sans arrêt, la papaye, ça n'arrête pas. Enfin tout à fait entre nous, la papaye, il faut aimer ça, personnellement je ne la digère pas bien. Je vais quand même vous montrer quelques maisons plus exotiques, on va profiter de ce qu'il n'y a personne. Normal, d'ailleurs, elles sont moins confortables, elles servent surtout de lieux de passage.

Max put donc admirer, tour à tour: une loge construite sur piliers de chêne, avec poutres en marronnier et perches en saule, le tout couvert de chaume composé de couches d'aiguilles de pin disposées sur un treillis d'osier; une cabane circulaire dont la charpente, les murs et les toits étaient un entrelacs de roseaux, de bambous et de joncs; une hutte au sol couvert de nattes de feuilles de palmiers tissées avec de la laine de chèvre, et dont la toile épaisse des parois et des toits tenait par de grosses cordes ligaturées; une cagna conique au châssis en flèche construite sur des assises de briques enduites d'un mortier constitué de boue, d'herbe hachée, de fumier de cheval, cimentées à la tourbe et à la bouse de vache.

Tout ça fait quand même un peu musée de l'Homme, reconnut Béliard, c'est assez ethnographique, on va s'arrêter là. Mais vous avez aussi des choses moins exotiques, voyez. Max aperçut en effet, comme ils marchaient, des cabanons méditerranéens, des abris de pêcheurs ou de jardins ouvriers et même, encore plus bricolés, des caravanes, wagons ou fourgons détournés, des bunkers et blockhaus customisés, des coques de bateaux renversées. Vous voyez, dit Béliard, il y a de tout, c'est au choix du client. Oui, dit Max, et c'est chauffé comment? Tout est climatiquement très étudié, sourit Béliard, on n'a pas besoin de chauffage ici, jamais, pas plus que de ventilateurs. Enfin voilà, conclut-il, c'était pour vous donner une petite idée du parc, de toute façon vous serez fixé demain. Mais vous voyez comme vous pourriez être bien, non? Oui, reconnut Max, la seule chose, c'est que j'aurais un peu peur de m'ennuyer. Ah, dit Béliard, ça, évidemment c'est tout le problème. Bon. Eh bien il se fait tard, je crois qu'on va rentrer.

Comme il regagnait sa nouvelle chambre, Max croisa de nouveau Doris dans le couloir. Elle s'arrêta à sa hauteur, tout sourire, vous n'avez besoin de rien? Tout va bien, assura Max, tout va très bien. Alors vous avez pu visiter le parc, vous avez vu comme c'est joli? Magnifique, certifia Max, vraiment beau. Eh bien je vais vous laisser, j'ai fini mon service, indiqua Doris, je vous souhaite une bonne nuit. Bonne nuit, dit Max, bonne nuit. On se quitta sur des sourires prolongés, des regards appuyés. Puis Max n'était pas rentré dans sa chambre depuis trois minutes qu'on frappa à la porte. C'était encore Doris qui entra sous un prétexte futile, prétendant que les femmes de service y avaient oublié quelque chose, cherchant en vain cette chose puis se retournant fougueusement vers Max et, contre toute attente, lui tombant dans les bras. Et c'est ainsi que Max Delmarc, un beau soir, posséderait Doris Day.

18.

Nuit d'amour avec Doris Day

19.

Le lendemain matin, Max s'éveilla très tard et tout seul dans son lit. Comme il s'y retournait d'abord une ou deux fois, les yeux encore fermés, le premier mouvement de sa pensée fut spontanément de se rappeler sa nuit. De prime abord, ce phénomène avec Doris paraissait à ce point improbable qu'il le soupçonna d'être un rêve mais, une fois qu'il eut ouvert l'œil, se dressant brusquement sur son séant pour examiner sommairement les draps, l'état de ceux-ci lui confirma la réalité du fait. Il se laissa retomber sur le dos, ramenant les couvertures sur lui en soupirant avec satisfaction. Puis, une fois qu'il se fut projeté les principaux temps forts de la nuit, survint le deuxième mouvement de sa pensée: c'est pour aujourd'hui, se souvint-il. C'était ce jour-là, selon Béliard, qu'il devait être informé de son avenir.